Elysées 2012

Le Sénat vire à gauche

Nouvelle donne pour 2012, titrait le Monde lundi sans doute. Faut-il y voir les prémices d'une victoire de la gauche aux présidentielles ? soyons prudent.

Certes, depuis les débuts de la Ve, jamais le Sénat ne fut à gauche, même si, dans une posture centriste qui lui est classique, il s'opposa à de Gaulle non seulement à l'occasion du référendum de 62 sur l'élection du président au suffrage universel dont il contesta la procédure (forfaiture selon son président G Monnerville) mais surtout en 69 en s'opposant vigoureusement et efficacement à la réforme du Sénat proposée au référendum et refusée par le peuple, précipitant ainsi le départ du Général.

Certes, tout est fait pour que le Sénat émousse les heurts de l'histoire et les brusqueries de la vie politique.

Certes, tout, du mode d'élection, à la durée du mandat est fait pour que le centre de gravité de cette chambre soit sinon à droite, en tout cas dans un centre qui n'apparaît structuré qu'au Sénat.

Chambre modérée, faite pour modérer (voir son histoire) le Sénat connaît donc une alternance inédite pour lui, qui peut s'interpréter de multiples manières.

- ou bien l'on considère que ce basculement du Sénat reflète un basculement profond du pays profond

- ou bien au contraire on voit dans ce vote à gauche du pays rural, à la fois un changement de la sociologie de la ruralité et d'ailleurs, de la rurbanité d'autant plus sensible que la part des paysans dans la population active s'est réduite à peau de chagrin

- ou bien, enfin, et plus cyniquement, on interprètera ce vote comme la preuve que le PS se serait tellement modéré, centrisé, qu'il ne ferait plus peur à personne.

Discours

Explication toute faite à droite, tellement répétée sur les plateaux de télévision qu'elle n'est assurément pas le fait du hasard : il se dit que l'Elysée offrirait un prêt à expliquer à tous les intervenants. Elle tourne autour de deux points :

- la division coûte cher : il y a eu de multiples listes dissidentes à droite, moins à gauche, et les grands électeurs ne l'auraient pas pardonnée

- la défaite est arithmétique découlant irrémédiablement des victoires de la gauche aux municipales, régionales et cantonales dont il faut rappeler qu'ils forment la cohorte des grands électeurs.

Autrement dit, une logique dépolitisante.

En face, évidemment, on se réjouira de l'événement en espérant qu'il annonce une victoire ultérieure.

Politique ?

Un facteur sans doute important demeure la réforme du financement des collectivités locales qui aura été menée tambour battant, à la hussarde, sans vraiment tenir compte des réticences des acteurs locaux qui auront vu depuis longtemps les compétences transférées aux régions sans toujours le financement correspondant, ou alors gelé ; qui vit d'ailleurs la mainmise des collectivités sur leur budget ramenée à pas grand chose. Et ceci effectivement n'est pas passé.

Elle est peut-être ici la cause profonde du désaveu et le commun dénominateur de tous les antagonismes ; elle est ici la source du rejet apparemment profond que Sarkozy suscite dans le pays : le président dans sa rage de tout faire, dansson empressement à vouloir faire bouger la France et la préparer aux mutations de la mondialisation, ne lui aura laissé aucun répit, ne l'aura jamais laissé souffler, l'aura violée.

Ce pays est un vieux pays qui a autant de culture à ses semelles que besoin de dialogue et de lenteur. Sur un rythme trépidant et incessant, Sarkozy l'aura lassé puis épuisé avant de l'écoeurer. A chaque fois, empressement, dialogue républicain bâclé, fristrations suscitées, et rancoeurs nourries. Tout ceci est en train de ressortir.

Décidément il n'aura rien compris au temps long du politique. Il est en train de le lui rendre.

Le pays, une fois de plus, après toutes les élections intermédiaires, vient de regimber encore et il l'a fait du creux de ses entrailles, par l'institution qui symbolise sans doute le mieux cette lenteur nécessaire et ce souci du dialogue.

Anomalie

Il n'en reste pas moins vrai que le Sénat demeure une anomalie démocratique ainsi que l'avait relevé en son temps Jospin : c'est d'ailleurs le sens de l'éditorial du Monde de Lundi.

Anomalie non tant pour sa vertu tempérante que tous les républicains semblent avoir désormais avalisée, mais pour l'injustice électorale que crée son mode de scrutin. Anomalie surtout à notre sens, parce que le Sénat représente, de manière outrancière de surcroît, une France qui n'existe plus.

La gauche majoritaire au Sénat n'y changera rien ; non plus sans doute qu'elle ne ârviendra à modifier l'équilibre interne de cette assemblée si jalouse de ses prérogatives.


Editorial du Monde daté du 27 sept 11

La gauche a beau avoir remporté, dimanche 25 septembre, la majorité des sièges au Palais du Luxembourg, le Sénat n'en reste pas moins une anomalie parmi les démocraties . La formule avait été employée, en 1998, par le premier ministre, le socialiste Lionel Jospin. A l'époque, elle avait beaucoup choqué, à droite. Elle reste juste, pour l'essentiel.

Qu'il ait fallu attendre plus d'un demi-siècle pour que s'y produise une alternance entre les deux grands courants politiques nationaux témoigne assez qu'il s'agit là d'une exception, inimaginable il y a peu encore.

Et pour cause. Non seulement le mode de renouvellement partiel de la seconde Chambre du Parlement - hier par tiers tous les trois ans, depuis 2003 par moitié - amortit efficacement les évolutions politiques du pays. Mais surtout, le mode de scrutin des sénateurs surreprésente de façon stupéfiante la France que l'on qualifie de " profonde " : plus volontiers conservateurs ou modérés, les milliers de villages, de petits bourgs et de communes de moins de 9 000 habitants représentent la moitié de la population française, mais fournissent près de 70 % des " grands électeurs " sénatoriaux. La France urbaine, traditionnellement plus à gauche, souffre donc, au Sénat, d'un handicap structurel.

Pour le surmonter, la gauche aura dû attendre une conjonction d'astres exceptionnelle : une succession de victoires dans les élections locales depuis dix ans, en particulier aux municipales ; une lente mutation du monde rural, ou plutôt rurbain, qui en modifie peu à peu la sociologie électorale ; des divisions et dissidences à droite ; une grogne sourde des élus locaux, y compris à droite, contre la réforme des collectivités territoriales imposée à la hussarde par le gouvernement ; enfin le discrédit profond qui touche l'actuelle majorité et son chef, le président de la République.
Le bouclier électoral dont la droite a si longtemps bénéficié au Palais du Luxembourg reste donc parfaitement anormal. Le Sénat est chargé par la Constitution d'assurer " la représentation des collectivités locales ". Que la gauche ait dû patienter, pour y être majoritaire, de diriger vingt et une régions sur vingt-deux, soixante départements sur cent et la majorité des communes de plus de 9000 habitants témoigne, pour le moins, d'un déséquilibre.

Le " comité Balladur ", chargé en 2007 de réfléchir à la réforme des institutions, avait entrouvert la porte en recommandant de mieux tenir compte de la démographie locale dans la répartition des électeurs sénatoriaux. Les sénateurs s'y étaient alors opposés. Si la gauche revient au pouvoir en 2012, elle sera bien avisée d'engager cette réforme.
Non pas pour remettre en cause le principe même d'une seconde Chambre : plus tempéré, souvent plus solide et sérieux dans ses travaux, meilleur défenseur des libertés publiques, le Sénat constitue un contrepoids utile aux emballements de l'Assemblée nationale. Mais pour assurer au pays et à sa représentation parlementaire une véritable équité politique et une meilleure respiration démocratique.