Elysées 2012

Affaires

le plaisir de l'honnête homme, c'est d'apporter son petit fagot sur le bûcher Nietzsche

Ce n’est vraiment pas de chance. Au moment même où une petite ouverture commençait de se faire avec l’affaire Guerini qui eût permis à l’UMP de critiquer le PS, c’est l’affaire Karachi qui revient sur le devant de la scène qui l’empêche désormais de jouer les pères la vertu. Ce qui ne va pas sans donner à ce début de campagne une atmosphère délétère qui n’est pas pour arranger les choses.
L’attitude première de la presse est de fouiner quitte à exacerber la pesanteur de l’ambiance ; la seconde est de s’inquiéter des dangers que lesdites affaires feraient courir à la démocratie.
L’attitude première des politiques demeure toujours la gêne : certes, il y aura toujours prédilection à pointer du doigt les manquements du camp adverse mais prudence quand même dans la mesure où chacun se sait toujours susceptible de se voir renvoyer demain dans les cordes ses propres prévarications.
Surtout, de part et d’autre, on en appellera à la modération de crainte d’éveiller l’ire populiste, les penchants antiparlementaires voire les tendances fascistes d’un peuple pas encore aguerri.
C’est l’ironie de la chose : on allume le feu d’un côté ; de l’autre on crie au feu !
La variété impressionnante des termes de notre langue dit tout le problème : prévarication ; concussion ; corruption ; malversation ; escroquerie ; forfaiture ; vol ; larcin ; maraudage ; rapine ; indélicatesse ; pillage ; grivèlerie...

Alors en parler ou non ?

Je ne connais pas de pouvoir s'installant qui n'ait proclamé un Etat exemplaire ou modeste, vertueux ou économe et qui, quelques mois plus tard, ne se prît les pieds dans le tapis de quelque affaire qu'il eût voulu cacher... Loi du genre ! Sarkozy nous avait ainsi promis une république irréprochable *. L'exécutif actuel s'est même donné une stratégie PAE, lui qui aime tant les acronymes : plan d'administration exemplaire. En règle générale cette vertu inaugurale ne franchit jamais le barrage des premières anicroches du quotidien.

En souligner quelques aspects cependant :

- la réforme du financement public des partis politiques initié et poursuivi depuis 93 n'aura manifestement pas suffi. La faute originelle de la Ve, installant dans les textes la défiance gaullienne à l'égard des partis politiques, aura fait qu'on ne définit aucun statut juridique aux partis ni donc aucun mode de financement. L'évolution des médias, la présidentielle au suffrage universel aura en quelques années fait démesurément gonfler les comptes de campagnes et contraint les partis à se trouver des sources de financement exotiques. Les lois de 93 étaient supposées mettre un terme à tout ceci : manifestement elles n'y auront pas suffi.

- le financement douteux d'une campagne électorale ou d'un parti n'est quand même pas la même chose que l'enrichissement personnel même si le non respect de la loi demeure également répréhensible.

- les capacités de rétorsion ou de sanction font tout autant problème : il n'est qu'à voir l'épisode 1 , révélé l'automne dernier, de la validation des comptes de campagne de Chirac et Balladur lors de la présidentielle de 95 . Il eût sans doute été délicat d'invalider l'élection d'un candidat juste élu mais ne pas le faire révèle l'inanité du contrôle des comptes que le Conseil Constitutionnel est supposé réaliser avant la proclamation des résultats. Quid alors du rôle, du sens et de la valeur du Conseil Constitutionnel ?

- l'indépendance de la justice en ces affaires reste problématique - et c'est d'ailleurs ceci qui choque le plus dans les derniers rebondissements de l'affaire Karachi : que l'Elysée ou Hortefeux puissent faire ouvertement état de pièces d'un dossier qu'ils ne sont pourtant pas supposés connaître en dit long non seulement sur la faribole du secret de l'instruction mais tout autant sur l'indépendance de la justice.
Notre récente histoire politique regorge de ces hommes, pointés du doigt par la justice, sanctionnés et parfois incarcérés, qui auront superbement rebondi ... comme si de rien n'était. Doit-on rappeler un Juppé dont l'insolente M Noir ministre sous la première cohabitation popularité politique semble avoir effacé l'opprobe passée ? ou, plus grave, l'incarcération d'un Carrignon (29 mois de détention) qu'on retrouve aujourd'hui dans les proches conseillers du président ? Pour un Michel Noir dont la carrière politique aura effectivement cessé après sa condamnation dans l'affaire Botton, ou un Tapie, reconverti dans les arts et spectacles avant peut-être demain de réapparaître sur les estrades, combien de Carrignon, de Juppé, que la sanction judiciaire aura à peine écorné ? combien de Chirac qui, finalement échapperont à toute sanction ?

Au final, peu de gouvernements auront échappé aux affaires et, plutôt que de s'offusquer de la malignité humaine, ce qui ne sert pas à grand chose, mieux vaudrait sans doute, puisque la collusion du milieu des affaires avec le politique est inévitable et produit nécessairement ce type d'écarts, s'habituer à leur éclosion et se doter de contre-pouvoirs efficaces.

Mais alors ?

Mieux vaudrait aussi s'interroger sur cette spirale infernale des dépenses de campagne qui, à la fois, met à mal l'égalité des candidats devant les scrutins et demeure la cause déclenchante de toutes ces affaires.

Evidemment on pourra toujours vouloir prendre le problème à la racine et se dire que ce sont les fondements de la démocratie qui sont en jeu : oui, bien sûr, il n'y a pas de démocratie réelle sans indépendance de la justice et, oui, sur ce terrain-ci, manifestement, il y a encore un long chemin à parcourir. Mais, non, c'est omettre l'entropie ordinaire de tout système qui invariablement finira par corroder même les édifices les plus vertueux. Se souvenir alors que les solutions classiques restent encore les seules possibles même si pour autant elles ne sont pas pour autant infaillibles : pas de pouvoir sans contre-pouvoir et faire le pari, Internet aidant, que la visibilité des actes politiques finit toujours par l'emporter, même si plus souvent tard que tôt.

Refuser d'être pris en tenaille entre Charybde et Sylla : il y a peut-être une tierce voie entre l'incorruptibilité d'un Robespierre dont on sait ce qu'elle peut avoir de conséquences fâcheusement inquisitoriales voire de poussées dictatoriales et le laxisme ordinaire des prévaricateurs patentés : cette voie se nomme restauration de la puissance de l'Etat.

C'est en effet ceci qui me semble le plus inquiétant : trente ans de mattraquage idéologique libéral auront à ce point affaissé l'Etat que ce dernier ne peut plus rien, ni s'opposer aux folies du marché, ni répliquer à l'insolente mauvaise foi des banques, ni modérer les excès de ses propres acteurs. Ce sont désormais tous les rouages de l'Etat qui grippent et l'ultime preuve reste l'incroyable - et cynique - aveu de l'Elysée faisant état de sa connaissance d'un dossier auquel virtuellement il est pourtant supposé ne pas avoir accès.

C'est ceci qu'il faut sans doute entendre : nous n'en sommes plus à des questions de personnes, malencontreusement égarées dans les ornières de la malhonnêteté : non ! nous vivons le grippage structurel de tous les rouages de l'Etat !

Il faudra bien un jour qu'on s'y attelle ! VIe République ? pourquoi pas ! en tout cas une réforme profonde de l'Eat, assurément.

Et tout ceci, encore une fois, va dans le sens de la radicalisation, et certainement pas de la modération des propositions.

Au risque de me tromper lourdement, je sens venir une campagne qui ne sera pas ordinaire ; une élection qui ne sera pas la simple reconduction ou éviction d'un président sortant mais au contraire l'occasion d'un véritable tournant.

Le mandat finissant de Sarkozy comptera dans l'histoire pour ceci : il marque assurément la fin d'une période et les prémisses d'une mutation nécessaire, urgemment nécessaire.

Au jeu des discours on peut toujours se la jouer sur le registre moral 2 : je crains que ce ne soit vain, contre-productif et finalement assez hypocrite. La question, avant d'être morale, est structurelle.


1)

Le Point décembre 2010 (ci dessous) mais aussi Le Monde

PARIS (Reuters) - Les comptes de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 étaient sous-évalués de plus de 13 millions de francs (deux millions d'euros) et auraient pu donner lieu à de lourdes pénalités, selon des pièces saisies par la police publiées mercredi.
Les rapporteurs du Conseil constitutionnel estimaient les dépenses totales de la campagne du rival de Jacques Chirac à 97,2 millions de francs et non 83,8 comme l'avait déclaré le trésorier, dans un rapport d'experts du Conseil constitutionnel cité par le site internet d'information Mediapart.
Ce rapport sur les comptes d'Edouard Balladur a été saisi et placé sous scellés avec les pièces comptables par la police en mai dernier, dans une enquête pénale sur un supposé financement de la campagne par une corruption en marge d'une vente de sous-marins au Pakistan.
Le total de 97,2 millions de FF excédait le plafond légal de 7,2 millions de FF (1,09 million d'euros), somme qui aurait donc dû être remboursée au Trésor public, selon le code électoral. Par ailleurs, Edouard Balladur n'étant plus éligible aux aides publiques pour ses dépenses, il aurait aussi dû rembourser beaucoup d'argent.
Les rapporteurs faisaient par ailleurs mention de versements en espèces de 13 millions de FF aux caisses de campagne, non justifiés, car l'explication d'Edouard Balladur parlant de vente de T-shirts et de gadgets était jugée peu crédible, selon des éléments déjà publiés dont Reuters a eu connaissance.
Au vu de tous ces éléments, les rapporteurs ont proposé au Conseil constitutionnel de rejeter les comptes mais l'institution, sous la présidence du socialiste Roland Dumas, l'a refusé après une réunion à huis clos le 3 octobre 1995, selon la décision finale officielle.
Selon un récit de la réunion publié par plusieurs médias et que Roland Dumas ne conteste pas, il a été retenu qu'un rejet était impossible car les comptes de campagne du candidat élu, Jacques Chirac, présentaient des irrégularités similaires. Il ne pouvait selon Roland Dumas être question de faire annuler sa victoire, et le président a fait adopter ce point de vue.
Le Conseil n'a donc réintégré dans les comptes officiels de la campagne Balladur qu'une partie des dépenses "oubliées", pour rester en dessous de la limite légale des 90 millions.
Les pièces publiées par Mediapart montrent que le trésorier d'Edouard Balladur n'avait pas déclaré des dépenses telles que 4,2 millions de FF pour les permanences électorales, 1,5 million de sondages, 2,2 millions pour des affiches, 2,4 millions pour des réunions publiques, ainsi que des factures de grands hôtels.
L'affaire est aux mains du juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke, qui a demandé une extension de sa saisine visant le marché pakistanais à un autre marché d'armement en Arabie saoudite, qui a aussi donné lieu à versement de commissions.


Le Monde du 24 Septembre

Passe d'armes sur la moralité en politique entre Ségolène Royal et l'UMP

Ségolène Royal est attaquée par l'état-major de l'UMP pour avoir dénoncé dans Libération un "système totalement corrompu" après la mise en examen de deux proches de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Karachi.

Pour les dirigeants de l'UMP, les propos de la candidate à la primaire socialiste sont '"absolument scandaleux et insultants (...) à l'encontre du président de la République, de l'UMP et de tous les représentants de la majorité présidentielle". Dans les colonnes de Libération, Mme Royal estime que le chef de l'Etat devrait logiquement "être convoqué pour être auditionné par la justice", s'il ne bénéficiait pas de l'immunité présidentielle.

"M. SARKOZY A BESOIN DE L'IMMUNITÉ PRÉSIDENTIELLE"

Pour la présidente de Poitou-Charentes, M. Sarkozy "a besoin de continuer à être protégé par l'immunité présidentielle". "On le voit avec toutes les affaires qui l'approchent de si près ! Il a été avocat de Servier, lui a donné la Légion d'honneur et les rapports du Sénat ont été falsifiés par des sénateurs UMP. C'est quand même extrêmement grave."

"Comment une personne qui a été soutenue activement en 2008 par Jean-Noël Guérini, lui-même mis en examen pour 'association de malfaiteurs' (...) et dont elle ne pouvait ignorer les pratiques douteuses, peut-elle se permettre de donner des leçons de morale aujourd'hui?", lui rétorquent les patrons de l'UMP.

Dans la soirée, Guillaume Garot, porte-parole de Mme Royal, s'est étonné dans un communiqué de cette réaction. "Ouvrons les yeux des dirigeants de l'UMP : ce sont les Français qui sont indignés par l'affligeant spectacle des pratiques et des comportements du pouvoir actuel", écrit-il. "N'est ce pas le système qui est corrompu en son cœur, lorsqu'un conseiller du président de la République, ancien ministre, surgit dans une procédure judicaire que le secret de l'instruction devrait protéger", demande le député PS de la Mayenne en allusion à Brice Hortefeux ?


 
UMP - Je veux une République irréprochable par ump