Elysées 2012

Rumeurs

Cet article plutôt drôle dans le Monde concernant l'apparition d'un nouveau métier : le fact checking.

Un nouveau métier ? une nouvelle fonction en tout cas consistant dans les rédactions à vérifier les informations circulant sur le web partant de la constatation que ce dernier démultiplie les informations ; que les réseaux sociaux ne font qu'amplifier le phénomène.

Le rappeler quand même :

- c'est la fonction première du journalisme que de vérifier l'information avant de la diffuser épousant en ceci la démarche scientifique et la règle cartésienne : ne rien admettre en sa créance qui ne soit vérifié ou prouvé.

- c'est se méprendre sur la rumeur que de croire que fausse rumeur serait pléonasme. Une rumeur n'est pas nécessairement fausse, elle est seulement un message non vérifié, dont l'origine est inconnue. Kapferer a raison : c'est le media le plus ancien qui vient simplement de ce que dans les communautés humaines on se parle et que cette parole sans cesse est relayée, transmise, déformée, complété, jugée . Parole libre, non censurée, brouillonne assurément, peu fiable sans doute, mais parole libre. De ce point de vue, rien de nouveau : Internet accorde seulement à cette parole une assise, un écho, une capacité de diffusion inédite.

La grande difficulté à laquelle se heurte la presse est que, contrairement à l'information classique, la rumeur est diffusée avant d'être vérifiée alors même que la presse est confrontée systématiquement à l'impératif de l'urgence, du scoop, de l'immédiat.

La grande difficulté des politiques est d'être désormais constamment sous les feux des projecteurs et, craignant le mot de trop, le geste intempestif, filtrent tellement leur communication qu'incontinent on serait peut-être passé de la communication à la méta-communication, de la critique à la méta-critique : il n'est qu'à voir à ce titre la prolifération sur tous les supports d'émissions visant à décoder le message. Mais aussi ces rubriques visant à décoder, type Desintox.

Narration, faits, explication, opinion, interprétation s'entre-mêlent vertigineusement au point que les canons classiques du journalisme s'en trouvent irrémédiablement bouleversés.

Nous l'avons tous dit : il y a quelque chose dans le Web 2.0 qui bouleverse les perspectives. Le citoyen et le collaboratif entrent en scène et l'information a cessé d'être un flux unilatéral allant d'un émetteur à un récepteur pour devenir un bouillonnement où tout part dans tous les sens.

D'aucuns firent en son temps la fine bouche sur Wikipedia arguant qu'une encyclopédie collaborative de ce type n'était pas fiable : l'expérience a montré, et fut tentée à de multiples reprises, qu'il ne faut que quelques minutes pour qu'une erreur, une provocation soit corrigée sur Wikipedia.

Il en va de même sur le Net, sans pour autant sombrer dans la naïveté ou l'angélisme ! Certains s'y spécialisent, assurément. Mais on peut effectivement dire, et la campagne à venir en sera indéniablement un indice, que désormais la langue de bois politique, le cliché voire le mensonge risquent de beaucoup moins bien passer qu'autrefois.

L'exemple célébrissime de ceci reste quand même l'épisode sarkozyste du Mur de Berlin * : Sarkozy affirme sur sa page Facebook avoir été sur place à Berlin le 9 novembre et avoir assisté en direct à l'événement. Il ne fallut que quelques heures pour qu'en boucle, sur Internet, d'aucuns soulignent l'invraisemblance d'un voyage décidé le matin pour assister à un événement qui demeurait quand même imprévisible.

Péripétie qui illustre deux choses :

- l'allusion, le mensonge, l'approximation ou la contre-vérité ne paient plus - ou pas longtemps ! A la lenteur mesurée et parfois pesante des réactions d'un courrier des lecteurs, filtré toujours par un journaliste, répond désormais le flot brouillon des blogs, des montages vidéos repris souvent par les médias eux-mêmes. Dans les années 60 les téléspectateurs écrivaient ça et là pour protester contre la faute de syntaxe, ou l'approximation grammaticale de certains journalistes en fustigeant cette langue qui fout le camp ! Désormais le public prend la place, se fait acteur et surtout producteur de contenu. Remarquable de ce point de vue que si évidemment la production de témoignages, de photos, de petites vidéos devient sensible en cas d'émeutes, de révolution, comme ce fut le cas cette année en Tunisie, Egypte et encore en ce moment en Syrie - ce qui est logique dans ces contextes où le pouvoir central bloque les médias et le travail de la presse étrangère au point de la condamner à puiser dans cette seule source d'information- ceci reste encore plus vrai dans les cas plus ordinaires des démocraties où l'opinion publique loin de rester passive devient acteur, critique et censeur. Avec l'impression assez nette que désormais elle ne laisse plus rien passer. Petits arrangements entre amis ou avec les faits et la vérité : plus rien ne passe !

- le politique a sans doute tort de vouloir courir derrière ce rythme trépidant de l'immédiateté virtuelle. Quoiqu'il arrive désormais, le Net ira toujours plus vite que les politiques, plus vite irrémédiablement que les transformations nécessairement lentes que le politique est supposé susciter ou adapter. Le stratagème sarkozyste avait quelque chose d'infantile : se faire valoir par un j'y étais - véridique ou fallacieux - dénote seulement la propension à vouloir se grandir en se déclarant initié, averti ou suffisamment malin pour savoir anticiper. Soyons clair : qu'il fut ou non à Berlin ce jour-là n'a aucune importance ni aucun sens. Il fallait juste montrer qu'en l'espèce on ne subissait pas l'événement : ce qui indique assez bien le désarroi des politiques.

Ce qui se dessine c'est bien une spirale où tour à tour chacun est acteur, destinataire, producteur d'information, critique et correcteur. Que certains se spécialisent dans cette tâche pour constituer cette rédaction virtuelle qu'évoque l'article du Monde est certain : néanmoins c'est l'ensemble des internautes qui désormais constitue cette rédaction.

Tour de Babel ou Pentecôte ? Je ne sais ! Dans ce nouvel espace de la communication où tout le monde parle en même temps, j'ignore s'il faut plutôt craindre le brouhaha ou espérer la parousie du sens. Les deux sans doute.

Ce que je sais avec certitude en revanche, c'est que dans la campagne qui a débuté, plus encore qu'en 2007, plus encore qu'en 2005 avec le référendum sur l'Europe, il faudrz écouter ce qui se dit sur le Net, et pas seulement sur les medias traditionnels. Sur l'Europe, le Net avait senti venir le non quand la presse classique continuait imperturbablement à présenter le oui comme une évidence, mais surtout, une certitude électorale.

Il faut revoir ce reportage fait en 2007 autour de la campagne présidentielle. Il esquisse ce qui se passait alors et qui n'aura fait qu'amplifier depuis.

 



Mur de Berlin: Juppé contredit-il la version de... par LePostfr