Elysées 2012

Légitimité

Bizarres impressions, après l'intervention de DSK sur TF1, hier soir.

- celle d'abord d'un temps qui s'engouffre de plus en plus vite. Quatre mois, il aura suffit de quatre mois pour que celui qui était présumé quasi élu avant même d'avoir annoncé sa candidature n'apparaisse plus que comme un sinistre barbon devant se flageller publiquement pour ses frasques sordides. Les révolutions mangent souvent leurs enfants; dit-on ; l'histoire pour tout dire dévore aisément ses protagonistes ... la presse quant à elle ne prend même plus la peine de déglutir.

- d'une immense gêne. Il y a ici quelque chose de l'ordre d'une formidable indécence à quoi, finalement, la politique à la française ne nous avait pas habitué. L'homme public a longtemps suffi à alimenter la chronique, même si, ça et là, d'aucuns purent se féliciter de l'intégrité d'un de Gaulle payant lui-même ses factures d'électricité. L'ombre de Robespierre plane décidément toujours, celle de l'intégrité tranchante, presque dangereuse, qui fit longtemps les français préférer un homme faillible, certes, mais politiquement engagé à un personnage propre sur lui mais fadasse ; sans compter la prédilection tellement gauloise pour la gaudriole qui finalement aura flatté plus qu'indisposé. Tous nous apprîmes en son temps les écarts matinaux d'un Giscard ou les séductions ancillaires d'un Mitterand sans que nous crussions vraiment devoir y prendre garde.
Indécent oui que ce spectacle où nous sommes pris à parti, contraints d'être témoins alors qu'honnêtement, nous avions envie de tout, mais pas de ça.

Plus intéressant reste la question - non posée - de la légitimité d'une candidature, de la légitimité d'un candidat. Nous aurions sans doute aimé respecter - sans le dire - l'adage anglais the right man in the right place. Sans trop le dire pour ce que ceci suppose de technocratie si évidemment incompatible avec la démocratie.

Telle que l'aura conçue de Gaulle, l'élection présidentielle est la rencontre d'un peuple avec la nation. Rencontre, dialogue, avec cette certitude que celui qui dût l'emporter, nécessairement se fût préalablement hissé au-dessus des partis, fût non pas le porte-parole d'un clan, d'une classe, mais au contraire celui de la nation tout entière. Il faut entendre et réentendre encore ce passage déjà cité de la conférence de presse de septembre 65 où il proclame la majorité nationale qui a une envergure bien différente de cette majorité centrale qu'appelle Bayrou.

Cette rencontre est celle d'un programme, en bonne démocratie, mais on ne me fera jamais croire que ce faisant l'homme y compterait pour rien. De Gaulle parle du président comme d'un guide : le mot est fort, d'allure messianique ; métaphysique en tout cas. Force d'entraînement, il se veut non pas seulement celui qui gèrerait l'Etat, et par là on mesure la dégringolade, mais au contraire bien plutôt celui qui, par le charisme qui est le sien tout autant que par ses idées et projet, exhausserait la Nation, sinon le peuple. A l'exacte intersection de l'histoire dont il tient les rennes, et de la politique dont il dessine les contours.

Bien sûr il y a quelque chose d'imaginaire, sinon de mythique dans cette représentation de la présidence et plus d'un s'y sera, depuis, cassé les dents. C'est que de Gaulle aura, par sa stature, masqué l'aporie dirimante de la Ve : peut-on vraiment demeurer à la fois guide, arbitre et acteur de plain pied ?

Il n'empêche : ce qu'il en reste est notre voeu, sinon notre rêve d'un président qui nous dépasserait, qui incarnât le pouvoir précisément parce qu'il participerait en même temps des deux corps, historique et métaphysique ; qu'il couvrît en même temps le symbolique, le sacré et l'ordinaire de l'économico-social.

Ce qui ne va évidemment pas avec la mise en scène de cette contrition médiatique. Remarquable dans cette affaire reste qu'une candidadure DSK soit devenue proprement impensable, en réalité illégitime.

On voit bien ce que peut être la légitimité d'un acte politique, d'un acteur politique : le 18 juin 40 en aura donné une illustration flamboyante et, implicitement, Rousseau la référence absolue. Quand la loi devient injuste, quand elle ne porte plus la volonté générale mais se contente de défendre des intérêts particuliers, alors il y a peutêtre encore légalité mais certainement plus légitimité et la révolte contre la loi devient sinon un devoir, au moins un droit.

"Les engagements qui nous lient au corps social ne sont obligatoires que parce qu'ils sont mutuels…"[...] "Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale." (1)

C'est bien de la convention que les hommes établissent entre eux que naît la légitimité du pouvoir. L'acte social est toujours un acte collectif, le passage de l'état de nature à l'état social revient au passage de l'infivuduel apeuré au colectif assuré de son avenir. Par voie de conséquence aucune loi ne peut exister si elle ne vise qu'une partie de la population.

Ce que nous avons entendu ce soir, est l'acte individuel d'une personne privée cherchant à se défendre - ce qui en soi est légitime ; ce n'est pas un acte politique. Affaire privée, pas affaire publique et elle ne semble l'avoir été que par la supposée stature électorale de DSL et le barnum médiatique autour de lui.

Politiquement l'homme est moribond ; moralement, discrédité. Il recouvrera quelque légitimité le jour où il s'adressera à la nation pour lui parler d'elle - et non de lui. Ce qu'il ne fit qu'à l'extrême fin de son intervention. (2)

Car, en réalité, c'est cela qui fut obscène.

 


1) Rousseau

2) voir à ce titre le rapprochement fait avec les excuses de Clinton le 17 Aout 98

L'acte de contrition de DSK fait écho à celui de Bill Clinton