Elysées 2012

Questions de sondages

J'aime assez que les sondeurs soient désemparés face aux primaires socialistes, pour toues les raisons justes avancées : incertitude sur la population à sonder ; consultation inédite ... Au point de les considérer comme des crash-tests... Je ne vois pas pourtant ceci les empêcher de les faire, ni la presse de les publier, ni d'ailleurs moi, de commenter les commentaires ....

1e leçon : autophagie des médias

On peut s'interroger sur les raisons qui font produire de telles enquêtes, reconnues par leurs auteurs eux-mêmes comme manquant de scientificité. Nous savons bien que les enquêtes politiques fonctionnent comme des vitrines pour les enquêtes commerciales que ces instituts, qui sont, ne l'oublions pas, des entreprises privées comme les autres, vendront. Au moins prennent-ils des risques. On sait que seul un dixième des enquêtes réalisées est seulement rendu public et, après tout, il n'est pas absurde qu'un parti politique, comme le pouvoir d'ailleurs, cherchent à mesurer, pour leur propre compte, l'audience et l'image qu'ils ont dans l'opinion publique.

Mais les médias ? qui le plus souvent financent ces enquêtes ? Si ce n'est l'assurance que les résultats de ces enquêtes seront repris en boucle sur les autres supports et donc leur nom répété .... jusqu'au prochain sondage. Et ce n'est rien de dire qu'ils se répètent jusqu'à satiété.

On touche ici à l'une des limites du genre : la presse est supposée rendre compte objectivement de l'actualité certainement pas de la produire. De ce point de vue, même s'il n'est pas faux qu'un sondage puisse éclairer le choix du futur électeur, et qu'ainsi on puisse considérer que la presse reste dans ses prérogatives en fournissant un éclairage, on peut néanmoins s'interroger sur cette lente transformation qui fait de la presse non plus un contre-pouvoir mais un acteur de plain-pied de la vie politique.

Un acteur ambivalent qui plus est : où est l'objectivité, où la rigueur lorsque l'on publie et interprète des informations dont on sait et reconnaît qu'elles ne sont pas fiables ? Où l'intégrité quand l'impression se fait de plus en plus forte que ces enquête sont moins faites pour être de l'information que pour servir de support publicitaire ?

Certes, la presse va mal, mais quand même ! Certes, une année électorale est toujours une bonne affaire pour les médias, mais quand même ! On se trouve ici dans la mécanique même de la perversité où le sondage est moins texte que prétexte ; où l'information cesse d'être le but ultime et où c'est le moyen - le support éditorial - qui sérige en fin en soi. Pour survivre, produire ; toujours plus ; toujours plus vite.

Il y a quelque chose ici de l'ordre de la spirale - et elle est infernale ; l'impression si forte que tout ceci tourne en boucle très vite. Au fond, la presse est auto-phagique. Elle se nourrit d'elle-même comme si le but ultime était moins de rendre compte du réel que de la manière dont on en rend compte, et que le travail de la presse fût de tenir analyse surtout de la manière dont les autres produisent, traitent et analysent l'information ; que le travail du journaliste fût moins d'être sur le terrain que dans l'épluchage du travailde ses collèques ; que le journaliste eût en réalité perdu son terrain ; que ce terrain ne fût plus qu'un méta-terrain : non plus le réel mais l'analyse de la représentation du réel.

Il n'est qu'à voir l'extrême susceptibilité de la presse dès lors que l'on s'en prend à elle ; le large écho qu'elle donne, systématiquement, à la moindre atteinte au droit d'informer ; où comment elle relaye toujours beaucoup plus fort, plus vite la moindre prise d'otage d'un journaliste pour comprendre que, certes placée aux premières loges pour ce faire, la presse a toujours tendance, spontanée ou calculée, à s'interposer entre le réel et nous. Il n'est qu'à observer la prolifération sur les diverses chaînes de télévision des émissions à la gloire d'elle-même : des enfants de la TV, aux bêtisiers divers et variés, mais surtout les historiques de la chaîne, des JT, etc. L'egolâtrie de la presse n'a aucune limite qui n'aime rien tant que de parler d'elle-même, d'exacerber l'importance de son rôle, de s'ériger en censeur et défenseur de la démocratie, qui ne supporte rien moins que la critique...

C'est ceci être parasite : s'interposer c'est-à-dire jouer pour son propre compte plutôt que de seulement se charger de transmettre.

2e leçon : impérialisme de la communication

Rien ne m'a jamais paru plus révélateur de ce passage de la politique à la communication que ces deux photos qui illustrent parfaitement comment on est passé du réel à la représentation du réel, combien le fait politique ou le phénomène social aura laissé sa place à l'effet de discours. Ici un acte sacré où la légitimité de l'histoire s'incarne dans l'urne via son hypostase présidentielle ; là une représentation brouillonne, plutôt sympathique qui n'a de sens que le plaisir qu'en peut tirer le public, qui est le sens exact de toute cette comédie.On est passé de la tragédie à la comédie mais, plus grave,

D'où aussi la prolifération d'émissions - excellentes d'ailleurs - telles que Deshabillons-les succédant à Arrêt sur images qui sont moins des analyses politiques que des décryptages des procédés et effets de discours.

Trucs et manoeuvres, subterfuges et habiletés : voici ce qu'on tente de toujours nous mettre en avant avec le risque encouru - mais pas assumé - qu'un jour ce trop plein de com ne finisse par tuer la com. Et le politique avec.

 


1) Libération 3 septembre

voir en 2009 la polémique autour du budget sondages de la présidence déclenchée par le rapport de la Cour des Comptes

voir le bilan - amélioré - pour 2010