Elysées 2012

Université d'été de l'UMP

On s'était promis de faire de Marseille un anti-La Rochelle. C'est raté ! D'un côté, les socialistes ont plutôt fait bonne figure ; de l'autre, les vents mauvais ont bien soufflé du côté de Marseille :

- petite fâcherie de Raffarin (1) qui n'a pas apprécié une remarque faite par Sarkozy à son propos

- critique acerbe de Devedjian (2) sur l'absence de réels projets d'envergure

Preuve qu'à vouloir jouer sur l'image, on finit toujours pas se prendre les pieds dans le tapis. Après tout, que dans un parti, a fortiori un grand parti comme l'UMP, qui, ne l'oublions pas, résulte de la fusion en 2002 de presque tous les courants de la droite, il y ait des divergences, n'est-ce pas normal et au fond souhaitable ?

Mais c'est oublier trois tendances lourdes qui, inévitablement plombent l'ambiance.

- la prédisposition de Sarkozy à tout vouloir faire tout seul et, d'ailleurs, à penser que les autres font plus mal, voire ne commettent que des erreurs. Prédisposition aggravée par le fait que Sarkozy n'est pas encore officiellement candidat, et ne le sera vraisemblablement que très tard. Qu'enfin, à l'instar d'ailleurs des candidats socialistes, il ne se laissera pas imposer un programme politique.

- la méfiance nourrie à l'égard de Copé dont tout le monde sent, sait, qu'il joue aussi pour son propre compte, pour le coup d'après (2017) et dont certains commencent déjà à fustiger la trop grande tolérance à l'égard des incartades de la droite populaire. (3)

- la difficulté pour un président sortant d'échapper au bilan mais la nécessité en même temps de faire espérer, ce que la période de crise actuelle n'autorise pas vraiment. Et, c'est peu dire que le projet concocté par B Le Maire a peu enthousiasmé voire pris son électorat à rebrousse-poil.

L'UMP comme contre-sens, comme problème

Mais c'est oublier que l'UMP reste en soit le résultat d'un véritable contre-sens historique, et peut devenir, très rapidement, un boulet.

Petit rappel historique

Rêvée déjà par un Balladur en 93, réalisée finalement par Chirac en 2002, l'UMP est une réponse paradoxale au 21 avril, une réponse d'ailleurs incompréhensible de ce point de vue. Je ne m'explique toujours pas quelle cécité politique a pu faire se fourvoyer ainsi Chirac qui, à ce moment-là, avait un boulevard devant lui pour recomposer totalement l'échiquier politique et marquer l'histoire de son poids ? On imagine aisément ce qu'un de Gaulle eût pu faire d'une telle circontance, d'un tel score. Chirac, lui, se contenta de nommer Raffarin et de faire l'UMP, comme si de rien n'était.

Comme si, d'ailleurs, le score de Le Pen résultait des divisions de la droite !

Sans doute est-ce aussi à cela que l'on peut distinguer les grands acteurs des seconds couteaux les premiers seuls sachant faire ployer les circonstances et les mettre au service de leurs projets, les seconds se contentant de les subir. En tout cas, rien de ce que Chirac en explique, dix ans après, dans ses Mémoires n'est vraiment convaincant. (4) Il avait pourtant vu, que l'essentiel du 21 avril, n'était peut-être pas tant l'éviction prématurée de Jospin que le très faible score réalisé par l'ensemble des partis politiques traditionnels (5) Les français, on le sait, n'ont pas détesté les trois cohabitations qu'ils n'ont jamais confondues avec l'unanimisme mais qui leur donnait l'illusion d'une certaine coopération au niveau de l'Etat.

Il ne faut jamais oublier qu'entre 81 et 2002, qu'en vingt ans, les français auront systématiquement sanctionné les sortants :

- en 86 la majorité d'union de la gauche en ptovoquant la 1e cohabitation

- en 88 la majorité parlementaire de droite en réélisant Mitterrand

- en 93 la majorité socialiste en provoquant la 2e cohabitation

- en 95 la gauche en élisant Chirac

- en 97 la majorité de droite en provoquant la 3e cohabitation

Non ! sans doute ce que l'électorat aura sanctionné tient plutôt au sentiment d'impuissance que la tête de l'Etat aura distillé : entre un Chirac qui ne justifie la dissolution en 97 que par une mondialisation à la logique de quoi il faut se soumettre et un Jospin qui en pleine campagne électorale affirme que l'Etat ne peut pas tout il y avait manifestement de quoi inciter à aller voir ailleurs. Non, décidément, la politique est affaire de projets mais surtout de volonté et l'électeur s'éloigne à chaque fois qu'il a l'impression que ce n'est plus le cas, et s'enflamme quand il croit les percevoir. La forte victoire de Sarkozy ne s'explique pas autrement : le sentiment du retour du politique et de la détermination.

Un cercle vicieux

La création d'un parti unique à droite qui semblait également pouvoir prévenir les risques de dissémination des voix qui, en partie, avait fait l'infortune de la gauche plurielle en 2002, n'aura en réalité fait que renforcer la tendance déjà lourde de la présidentialisation du régime instituée par la réforme constitutionnelle du quinquennat et de l'inversion du calendrier ; présidentialisation aggravée par l'hyper-activité de Sarkosy évidemment, mais n'oublions pas que celle-ci n'eût pas été possible sans celle-là.

Dès lors, ce qui eût du rester la norme de tout régime républicain - le dialogue, le débat - cesse de pouvoir avoir lieu :

- le premier ministre est rabaissé au rôle de simple collaborateur

- le parlement est réduit plus encore qu'il ne le fut jamais au rôle de chambre d'enregistrement

- la concertation entre les partis envolée puisqu'il n'y a plus qu'un seul parti majoritaire dans une constitution qui déjà se défie des partis et en a voulu d'emblée réduire l'impact. (Les partis n'y font que contribuer à exprimer la volonté générale - texte de la constitution)

Second rappel historique :
le régime des partis

Dès lors on est bien entré dans ce qu'étymologiquement on appelle monarchie, le régime d'un seul. On peut toujours discuter de la conception gaullienne des partis dont de Gaulle affirmait en 65 qu'ils étaient incapables de diriger le pays (c'est trop dur) on ne peut en revanche que souligner qu'il n'envisageait pas qu'un président pût être partisan, d'un parti plutôt que d'un autre, que ceci impliquait qu'il dût rassembler en lui les deux courants contraires de l'ordre et du progrès. On ne peut que lui rendre acte de la lucidité qu'il mit à déclarer la fragilité de toute constitution et le risque à jamais rampant d'un retour du régime des partis.

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Dans l'optique du Général, l'arrivée au pouvoir de Mitterrand en 65 eût représenté un tel risque et il y a peu de doute qu'il eût interprété ainsi à la fois son élection en 81 et le principe même des cohabitations pour lui inimaginables.

Le parti unique : le risque de l'autisme

Le plus grand danger de tout pouvoir étant toujours celui de l'isolement, de la perte de contact avec la réalité sociale, avec la base populaire, l'inexistence d'un dialogue de l'exécutif avec la société civile, comme on dit désormais, l'absence de réelle négociations avec les partis, même majoritaires parce que, réduits au régime du parti unique qui plus est contraint à la subordination absolue, conduit inévitablement la présidence à l'autoritarisme mais aussi à la cécité politique.

Rien n'est plus étonnant, à ce titre, que la certitude que Sarkozy met en sa réélection - mais peut-il faire autrement ? - dans ce contexte si particulier où tout semble montrer un rejet profond de l'opinion publique.

Le risque de l'éclatement

Mais rien n'est dès lors moins étonnant que ça bruisse, maugrée et grommelle dans le parti majoritaire.

Pour deux raisons :

- l'UMP n'a pas effacé les différences de sensibilité politique et notamment n'en a pas fini avec le - ou les - centrismes. Elle n'avait pas réussi en 2002 à séduire l'UDF de Bayrou, n'avait réussi en 2007 qu'à diviser cette UDF par le ralliement de centristes comme Morin etc. Si la dissidence Borloo est une chose qui marque cependant une crise d'identité au centre, demeure néanmoins à l'intérieur de l'UMP une tendance centriste assez bien incarnée par Méhaignerie. Le débat finalement a lieu même s'il est condamné à apparaître de manière conflictuelle.

- dans tous les cas de figure la succession Sarkozy sera bientôt ouverte puisque désormais - réforme constitutionnelle oblige - il ne peut plus y avoir que deux mandats consécutifs. Mais il semble assez évident qu'à mesure que la réélection de ce dernier paraîtra problématique, les divisions s'exacerberont et s'aiguiseront les ambitions.

De là à penser que l'UMP n'a plus forcément d'avenir, c'est le pas que franchit Libération dans un article du 2 septembre :

Mais il en faudra plus pour surmonter les profondes fractures qui divisent le parti. Toujours très mal à l’aise, certains centristes de l’UMP et gaullistes sociaux suivent d’un œil bienveillant la précampagne de Jean-Louis Borloo ou, selon les goûts, celle de Francois Bayrou, ou encore Dominique de Villepin.

Sans leader naturel pour l’après-Sarkozy, la majorité a des raisons de s’interroger sur l’espérance de vie de l’UMP, maison commune de la droite dont Alain Juppé fut, en novembre 2002 le premier président. Pour la plupart des cadres du parti, l’explosion de la droite et du centre droit ne fait aucun doute en cas de défaite de Nicolas Sarkozy en 2012. Mais même en cas de victoire, certains doutent que l’UMP puisse sauver sa peau.

Tiraillements. Pour son second et dernier mandat, le Président, s’il est réélu, n’aura plus besoin de cette lourde machine. Et puisque diviser aide parfois à régner, il pourrait être tenté de laisser s’exprimer, dans toute sa diversité, la coalition qui soutiendra son action. Dans l’entourage du chef de l’Etat, on est convaincu que l’UMP ne survivra pas, en tout cas pas sous cette forme, à la campagne présidentielle. «L’UMP va évoluer. On devrait assister à une recomposition de la majorité avec la constitution d’un vrai pôle centriste», affirme un proche du chef de l’Etat. Pour ce conseiller, les tiraillements au sein de l’UMP, entre la droite populaire et les ex-UDF, sont là pour durer. «Il y a une tradition historique centriste qui a aujourd’hui du mal à trouver un débouché politique», poursuit ce conseiller. Le premier campus d’été de Copé pourrait bien être son dernier.

L'analyse me semble juste. Rajoutons simplement que, sous ce rêve d'un parti majoritaire unique, se cache sans doute aussi le vieux rêve d'un bi-partisme de type britannique voire surtout américain. Et l'on sait la prédilection sarkozyste pour le modèle US, que, justement Chirac lui reprochait tant :

J'ajoute, et c'est le plus important, que nous ne partageons probablement pas la même vision de la France. (Chirac)

Or, si la France a toujours éprouvé de nombreuses difficultés à trouver le bon équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif (7), du fait, notamment du si grand nombre de partis à gauche comme à droite, elle demeure finalement assez gourmande en nuances politiques dont elle repaît les débats qu'elle affectionne. Ce pays n'est pas binaire et semble éprouver d'autant plus fortement le besoin de pluralité et de nuances que le régime aura installé un exécutif fort et une présidence jalouse de ses prérogatives.

Bref, tout n'est pas rose pour l'UMP dont cette rentrée à Marseille semble annoncer les prémices.

Rien n'est joué, certes ; rien n'est perdu ; mais rien n'est gagné non plus. Et il n'est effectivement pas impossible que la grande perdante de ces élections, quoiqu'il arrive, soit l'UMP elle-même.

Et, à bien y regarder, ce qui aura fait la faiblesse du PS - sa division en courants, et la lutte des egos - aura peut-être été en même temps la condition de sa survie, même malaisée.

L'ultime leçon à en tirer :

- si on ne gagne pas une élection présidentielle sans être adossé à un parti puissant - l'exemple de la candidature Debré en 81 qui ne recueille qu'1,66% -

- si on ne gouverne efficacement qu'appuyé sur une majorité parlementaire sans faille - exemple de Giscard d'Estaing sans cesse émoustillé par le RPR de Chirac de 76 à 81 ce qui fragilisa considérablement Barre et facilita indéniablement la défaite de Giscard en 81-

- en même temps ce n'est jamais le parti qui fait l'élection.


1) "Les déclarations brutales à mon endroit, en mon absence, de Nicolas Sarkozy, au cours du petit déjeuner de la majorité, sont surprenantes et méritent clarification. D'ici là, je me place en congé de cette instance"

2) Devedjian dans le Monde du 2

3 ) laquelle d'ailleurs n'est pas tendre à l'égard de Raffarin ou Devedjian : ainsi L Luca

Devedjian a des aigreurs, et Raffarin demande des comptes au président de la République ! Qu'est ce que c'est que ces has been qui viennent torpiller le mouvement au moment où il se lance ? Raffarin et Devedjian ont été, aujourd'hui ils ne représentent pas grand-chose

4 ) relire ce qu'il en dit dans ses Mémoires parus en Juin :

Pourquoi n'ai-je pas aussitôt envisagé la formation, au lendemain de ma très probable réélection, d'un gouvernement d'union nationale ? Beaucoup ont été déçus, je le sais, que je paraisse fermer les bras au lieu de les ouvrir, comme il leur paraissait logique et souhaitable que je le fasse. Je me dis aujourd'hui, en y repensant, que j'aurais sans doute dû tout mettre en oeuvre pour parvenir à constituer une équipe dirigeante plus représentative des 82 % d'électeurs qui m'ont apporté leurs suffrages le 4 mai 2002. Je ne l'ai pas fait et ce fut probablement une erreur au regard de l'unité nationale dont j'étais le garant.

Si un autre choix m'a paru préférable à ce moment-là, non sans avoir proposé des responsabilités ministérielles à des personnalités de gauche indépendants comme Nicole Notat et Nicolas Hulot – mais sans succès –, ce fut d'abord par souci de retrouver, au terme d'une longue cohabitation, plus de clarté et d'efficacité dans l'action gouvernementale.

Un nouveau compromis politique entre des dirigeants d'opinions divergentes sur la plupart des grands sujets eût probablement abouti à ces mêmes impasses que les résultats du 21 avril avaient, d'une certaine manière, sanctionnées.

Il comportait, en outre, un danger évident pour notre démocratie : celui de faire apparaître durablement le Front national comme la seule force d'alternance face à une coalition des partis traditionnels que plus rien ou presque ne distinguerait aux yeux de l'opinion.

5 ) quelques lignes plus haut :

 Même s'il ne subsiste plus guère de doute sur mes chances d'être réélu, je n'ai pas le coeur à m'en réjouir. À mes yeux, ce n'est pas seulement le candidat socialiste qui vient d'être sanctionné, mais la classe politique tout entière. J'ai probablement ma part de responsabilité dans le désarroi et l'exaspération qui ont conduit une partie de nos compatriotes à rejeter les partis traditionnels, confondus dans la même réprobation après cinq années de cohabitation.

6) Intervention à la TV dans le cadre de la campagne présidentielle de 65 entre les deux tours - décembre 65 :

- l'intervention complète

- les deux passages sur le régime des partis

- le passage célébrissime sur l'ordre et le progrès

7) relire Mendès sur ce point dans ce passage très éclairant de Choisir



Jospin: "L'Etat ne peut pas tout" par RichardTrois