Elysées 2012

Procureurs complaisants pour emplois fictifs
Le Monde du 22 septembre

Alors qu'il approche de son terme, le procès des emplois présumés fictifs de la Ville de Paris est exemplaire. Doublement, et déplorablement, exemplaire.
Il le fut, en novembre 2009, lorsque la juge Xavière Simeoni, chargée d'une interminable instruction, décida de renvoyer Jacques Chirac, ancien maire de la capitale et ancien chef de l'Etat, devant le tribunal correctionnel pour " abus de confiance et détournement de fonds publics ".
Protégé, entre 1995 et 2007, par l'immunité pénale dont bénéficie le président de la République en exercice, M. Chirac se voyait, alors, rattrapé par le passé et par ces affaires de financement occulte de la vie politique qui défraient la chronique depuis trop longtemps.
Contre l'avis du parquet, qui, déjà, réclamait un non-lieu général, une juge indépendante et déterminée estimait qu'il y avait matière à poursuivre, quelle que soit la qualité éminente du principal prévenu.
A l'inverse, ce procès est aujourd'hui exemplaire d'une magistrature bienveillante, pour ne pas dire complaisante, à l'égard d'un puissant. D'une justice qui n'offre d'elle-même qu'une parodie.
Que les conseils et les avocats de Jacques Chirac aient, depuis toujours, bataillé pour lui éviter un procès, puis une comparution, enfin une éventuelle condamnation, est conforme à leur rôle. En mars 2011, à la veille de l'ouverture du procès, l'un des coprévenus de M. Chirac soulevait, opportunément, une question prioritaire de constitutionnalité. Efficace manoeuvre dilatoire qui a retardé de sept mois l'ouverture du procès. A la veille de celui-ci, voilà trois semaines, les défenseurs de l'ancien président invoquaient son état de santé pour obtenir qu'il n'assiste pas aux audiences.
A chaque étape, la justice a fait droit à leurs demandes. Mais le comble de la mansuétude a été atteint, mardi 20 septembre, par les deux procureurs, chargés de requérir la relaxe générale des prévenus, conformément aux consignes de leur hiérarchie, c'est-à-dire le ministère de la justice. Non seulement ils ont écarté d'un revers de main les charges retenues par la juge Simeoni. Mais ils se sont échinés à justifier, un à un, les emplois fictifs incriminés et à dédouaner M. Chirac.
Bref, ce fut un " Circulez, il n'y a rien à voir ! " général. On se demande bien, dans ces conditions, pourquoi l'ancien président de la République avait décidé, en août 2010, de dédommager, à hauteur de 2,2 millions d'euros, la Ville de Paris, obtenant au passage que celle-ci retire sa plainte. On se demande, de même, pourquoi, dans une affaire connexe, Alain Juppé avait été condamné, en 2004, à dix-huit mois de prison avec sursis et dix ans d'inéligibilité - ou Michel Roussin à quatre ans de prison avec sursis, qui le conduisirent à passer quelques nuits à la Santé.
M. Chirac n'a cessé d'afficher sa volonté " d'assumer ce procès, utile à la démocratie, car il démontre que tous les citoyens sont égaux devant la loi ", ainsi qu'il l'écrivait au tribunal début septembre. C'est la démonstration du contraire qui est apportée aujourd'hui. Hélas pour la démocratie.