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Curieux livre que celui-ci que j'entreprends pour les miens, mes filles, mes petits-enfants, qui, néanmoins, va fouailler dans les entrailles de ces origines pourtant impossibles à excaver. Si rétives à se donner. C'est un livre rêvé parce que nul être tenant une plume ne pourra jamais ambitionner d'en écrire d'autre. Brosser un paysage intérieur qui s'étire des origines à la fin … juste avant que la main ne cède. C'est simplement écrire - décrire et raconter mais surtout pas expliquer - l'étoffe dont on se déchire ; le tissu qui nous relie au monde. Rien d'exemplaire ici ; juste de tout petits exemples. Mais la joie intense de faire revivre deux êtres à qui je dois tout et qui, encore, me font trouver la vie belle. Ecrire un tel livre c'est seulement laisser l'âme glisser le long des berges

1- rendre grâce II- bredouillements III- Absence IV-Présences V- Présence absolue VI- nombre du mouvement VII- terres et chemins VIII- grâces IX- de l'amour X- ne pas pleurer
A) Ce qui silencieusement se transmet B) La musique :
le chuchotis de l'être
être d'un instant, d'une musique être libre C) La vue paysages qui fuient D) Le toucher intimité des tissus qui se froissent frôlements du silence E) Le goût
du goût


avoir du goût

F) L'dodorat
XI-transmettre XII- de l'humilité XIII - de la pudeur XIV - écarter la violence XV de la gratitude XVI de la fidélité XVII - de la tolérance XVIII- de l'honnêteté XIX - de l'humour XX- de la tempérance

 

La fidélité

Je n'avais pas songé, au départ, m'attarder, si peu que ce soit à la fidélité à quoi je n'accordais à tort, non pas aucune valeur, mais que peu d'importance. J'ai des excuses. Cela fait depuis bien longtemps qu'infidèle ne désigne plus celui qui n'a pas de foi, le mécréant ou au moins celui qui n'a pas la vôtre. Le terme est peu amène et vise évidemment à exclure l'autre au moins avait-il une connotation morale de quelque dignité.

Il faut reconnaître que pour le langage courant fidélité est plus souvent entendue comme un de ces devoirs conjugaux à quoi la loi nous invite - « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. » — Article 212 du Code civil - quoiqu'on l'entende moins comme constante sentimentale que sexuelle. L'infidèle est celui qui baguenaude dans les délices de l'adultère - longtemps un crime pour les femmes ; un délit pour les hommes.

Sans compter l'acception actuelle. Il suffit de consulter un moteur de recherche : fidélité ne vous offrira aucune illustration ou poétique ou picturale. Mais la série sans fin des cartes dont les commerçants de tout poil surchargent nos portefeuilles et, désormais, nos smartphones. Sorte de subterfuge utilisé dans le monde des affaires pour lutter contre un taux d'attrition trop élevé. On pourrait s'agacer de cette sinistre manie des économistes, managers et commerciaux de tous ordres à violer sans vergogne la langue. Ce serait évidemment en vain. Serait-il ironique de rappeler qu'attrition et avec contrition l'un des deux termes qui évoquent le regret d'avoir offensé Dieu : cette dernière étant un repentir sincère, celle-là ne résultant que de la crainte du châtiment. La langue des affaires a au moins le mérite de montrer sa dilection obsessionnelle à l'intérêt et à l'utilité. Nous sommes loin de l'éthique de l'intention.

M'en avez-vous parlé comme d'une de ces valeurs essentielles ? Sûrement pas, en tout cas s'agissant des relations de couple pour qui la chose était bien trop intime pour être seulement discutée. Elle devait pour vous revêtir tout l'éclat de l'évidence et donc l'inutilité de l'évoquer. En revanche s'agissant des engagements que l'on prenait c'était une toute autre affaire.

Que ce soit l'engagement qu'on prenait face à l'être, ou la simple parole donnée à l'autre, pour quelque raison que ce soit ou quelque objet que ce soit, n'y pas être fidèle c'était ne pas l'honorer. C'eût été affaire de déshonneur.

C'est en songeant à cela que je compris mon erreur : la fidélité, si elle sonne faux quand on l'évoque comme un devoir, est néanmoins la condition de possibilité de toutes les autres valeurs. Que serait honnêteté, pudeur, tolérance ; que serait notre souci de nous prémunir de toute violence et de n'empiéter jamais sur l'autre ni sur sa liberté si nous n'étions pas fidèles à l'engagement pris ; que, par négligence ou oubli, nous y dérogions ?

Peut-être ne saurait-il être aucune vertu sans la fidélité ! Fidélité à l'autre, bien sûr ; à Dieu évidemment ; à soi surtout, à l'engagement pris, à l'intention qui préside à nos actes comme à nos pensées ?

Ce que sanctionne la malédiction, c'est la disparition de la correspondance entre les mots et les choses qui est en jeu dans le serment. Si l'on rompt le lien qui unit le langage et le monde, le nom de Dieu qui exprimait et garantissait cette connexion bien-disante, devient le nom de la malédiction, c'est-à-dire d'un mot qui a brisé sa relation véridique avec les chose
Agamben p 68

Comment ne pas repenser à cette remarque d'Alain sur le préjugé qui sonne tout-à-coup comme une évidence ; une cruelle évidence : si nous répugnons à changer d'avis, c'est souvent bien sûr, par paresse ou simple habitude. C'est aussi, bien plus périlleux, par crainte de trahir ; par souci d'être fidèle. Comme si la fidélité n'était pas valeur en soi mais dépendait surtout de ce à quoi l'on a prêté serment de fidélité. La trahison est laide quand elle suit une logique de mercenaire ; elle n'est jamais bien honorable, toujours un peu honteuse mais quoi, reconnaître qu'on s'est trompé, est-ce véritablement trahir ou seulement traduire.

Penser, croire, parler est serment à soi ; or le serment est seule garantie qu'on se peut offrir qu'à nos mots prononcés corresponde une réalité. Sans cela tout s'évanouirait autant l'épaisseur noire du monde que le mystère fragile de nos âmes. On ne franchir pas le fleuve impunément ; on ne passe pas à l'ennemi sans ruiner quelque chose de soi. Coriolan le sait. Dans un monde où rien ne changerait jamais la fidélité résonnerait comme une habitude et peut-être l'est-elle bien un peu. Je ne saurais oublier que notre entendement ne saisit que ce qui se répète que ce qui est, identiquement, fidèle à soi. Que le monde vienne à changer de règles, nous y perdrions le Nord …

Je n'ai, je crois, pas voulu être philosophe pour d'autre raison : creuser, miner, critiquer, nier en espérant que quelque chose résiste à l'acide du doute. Se complaire à la controverse, contrefaire le diable et en tirer argument pour être certain de ne pas parler seulement par convenance, par habitude ; par paresse. Etre fidèle à soi, à ce que l'on croit, à ses engagement, revient à tout constamment vérifier ! Savoir revient constamment à contrefaire l'ignorance. Mais surtout : il ne sera jamais qu'on puisse d'un seul tenant, penser et agir tout en remettant en cause autant ce que l'on pense que la légitimité de son action. Il ne se peut pas, qu'à chaque instant nous retenions notre pensée, feignions la certitude, pour rendre seulement possible l'acte. Il y a donc bien un moment où je ne pense pas. Une béance ; comme un trou noir : où tout devient possible ; où tout fléchit mais se ressemble ; où tout s'oublie. J'aurais aimé, c'est vrai, quelque fois interrompre un cours et dire, excusez-moi, je vais réfléchir, je reviens plus tard ! mais évidemment ce ne se peut. Le monde enclenche et enroule ses effets sans attendre ni nos scrupules ni nos doutes.

Alors non, je ne sais ce qu'est être fidèle. Ce ne peut, en tout cas, vouloir être constant …

Qui peut imaginer, sous peine de forfanterie, que ceux-ci qui s'épousent aujourd'hui eussent songé d'emblée à la fin de leur union ? Et pourtant … Demain l'un des deux, les deux parfois, s'éloigne et comme on dit, trompe l'autre. Trompe-t-il ? ou s'était-il trompé lui-même ? Il y a assurément des manières plus ou moins élégantes et honnêtes de se désunir ; il n'en est aucune qui ne soit douloureuse. Mais est-ce tromper que se tromper ? Est-ce être infidèle à une entente qui s'est déjà dénouée ?

Je l'ai écrit déjà, mes parents ont présenté une image d'une entente parfaite, d'un couple uni. N'était-ce qu'une image ? Je n'en veux rien savoir ; je sais seulement combien cette image aura forgé l'idée même que je me fis d'une relation amoureuse. Illusoire ou non, fusionnelle ou pas, elle se construisit … et me laissa démuni lorsqu'elle se brisa. J'y appris ceci au moins : combien rien n'est assez solide, jamais, pour résister sans effort à l'assaut des affairements quotidiens. Cela encore : que seule prévaut, alors, la fidélité que l'on se promet à soi-même. Demeurer digne même en ces instants périlleux et agir en sorte que toujours on puisse se regarder dans la glace en se disant ceci je l'ai fait et n'ai nulle honte à en éprouver.

Mais c'est encore fidélité à soi ! à la sincérité de ses intentions.

J'y aurai appris ceci encore : qu'aussi poignantes que puissent être les contours d'amours fusionnelles elles ne se peuvent survivre en excluant le monde. J'aime assez ce que La Fontaine écrit à propos de Philémon et Baucis - Eux seuls ils composaient toute leur République - mais pour autarcique que sembla leur union, ils ne dérogèrent pas à l'impératif d'hospitalité. Leur république appelait le monde comme les dieux. Et, surtout, quand même, après la mort, restèrent- ils unis - tilleul et chêne, branchages entrelacés - ils ne cessèrent pour autant de regarder le monde.

Alors oui !

Fidélité a à voir avec la foi c'est-à-dire avec la confiance que l'on accorde. Elle aussi est un lien que l'on tisse et ne cesse de nouer.

Elle est acte qui s'efforce de n'injurier ni le passé ni l'avenir ; de n'oublier rien et de préparer ce qui se peut. De réparer ce qui se peut encore.