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Curieux livre que celui-ci que j'entreprends pour les miens, mes filles, mes petits-enfants, qui, néanmoins, va fouailler dans les entrailles de ces origines pourtant impossibles à excaver. Si rétives à se donner. C'est un livre rêvé parce que nul être tenant une plume ne pourra jamais ambitionner d'en écrire d'autre. Brosser un paysage intérieur qui s'étire des origines à la fin … juste avant que la main ne cède. C'est simplement écrire - décrire et raconter mais surtout pas expliquer - l'étoffe dont on se déchire ; le tissu qui nous relie au monde. Rien d'exemplaire ici ; juste de tout petits exemples. Mais la joie intense de faire revivre deux êtres à qui je dois tout et qui, encore, me font trouver la vie belle. Ecrire un tel livre c'est seulement laisser l'âme glisser le long des berges

1- rendre grâce II- bredouillements III- Absence IV-Présences V- Présence absolue VI- nombre du mouvement VII- terres et chemins VIII- grâces IX- de l'amour X- ne pas pleurer
A) Ce qui silencieusement se transmet B) La musique :
le chuchotis de l'être
être d'un instant, d'une musique être libre C) La vue paysages qui fuient D) Le toucher intimité des tissus qui se froissent frôlements du silence E) Le goût
du goût


avoir du goût

F) L'dodorat
XI-transmettre XII- de l'humilité XIII - de la pudeur XIV - écarter la violence XV de la gratitude XVI de la fidélité XVII - de la tolérance XVIII- de l'honnêteté XIX - de l'humour XX- de la tempérance

 

 

Lettre ouverte … à vous deux qui demeurez tellement présents

 

Il n'est sans doute pas très élégant de commencer à vous écrire par un trait qui pourrait s'entendre truffée de mesquinerie envieuse mais quoi, comment le nier ? c'est en retombant hier, en quelque recherche hasardeuse dans cette bibliothèque que décidément je n'ai jamais su ranger, sur le Livre de ma mère d'Albert Cohen que, songeant que ce que Cohen avait su faire pour sa mère je devais bien pouvoir y parvenir pour vous deux ensemble - même si je n'ai pas la prétention du talent de Cohen ; parce que je me sais la sincérité d'une reconnaissance à transmettre. Parce que vous le méritez.

Des textes sur vous deux, j'en aurai écrit quelques uns déjà, à l'occasion de vos départs. Je pourrais les rassembler ; je ne veux m'en contenter.

Les fils sont une engeance affreuse et ils ne savent pas leur mère mortelle … Cohen

 

Ce n'est pas une crainte pour ce qui me concerne mais une certitude : je n'ai pas toujours été fils à la hauteur … parce que c'est impossible ; engeance affreuse est sans doute trop violent pour ce que j'ai à raconter, éprouver, avouer. Mais tout n'y fut pas rose. Passent encore les colères enfantines, les caprices ou les impatiences … mais ces petites lâchetés d'adulte qui me firent rester à l'écart quand j'aurais du me rapprocher... J'aime à voguer en cet entre-deux où l'objectivité n'aura jamais de prise non que je projette de déroger à la vérité mais plus simplement de ce que seuls de regards jetés, il sera fait mention. Je sais l'histoire vécue par mon frère totalement différente de la mienne et me garderai bien de dire qu'il eût tort ou raison. Nous sommes ici dans ces espaces, non pas troubles, mais fabuleusement épais, où le réel se teinte de nos rêves, pulsions et goûts ; de nos craintes, remords et échecs - ces espaces où finalement le réel ne tient pas - ou si malaisément - face aux rêves, nostalgie et incompréhensions.

Mais ai-je jamais cru à la réalité ? à la dureté de l'objet ? à l'épaisseur noire du roc ?

Il faudrait un Freud assurément pour dire tout cela mais je ne suis pas même certain qu'il y parvienne totalement : sa rage à tout rebattre du côté des pulsions corse assurément la relation mais passe à côté ; il faudrait un Proust mais je ne crains que de son enfance il ne retînt que la souffrance, la béance, le gouffre abandonné ; il faut un Cohen, oui, assurément, mais sa mère est une fille de la Bible comme il l'affirme dans cet ITV, une presque caricature de la mère juive, omniprésente, imposante qui aura noué avec son fils une relation exclusive, idolâtre.

Ni la mort ni le soleil ne se peuvent regarder en face - ni nous-même. Du moins pouvons-nous confronter les reflets de ce que nous fûmes, qui tremblent encore dans nos vieilles lectures, et l'être que nous sommes devenu. Oui, voilà bien le fil conducteur de ce voyage à travers mes premiers enchantements. (Mauriac Mémoires intérieurs p 10 )

Il est tant à dire, décrire et expliquer quand l'enfance fut malheureuse, solitaire, voire abandonnée. Ratée ! Pourquoi donc n'y aurait-il rien à en embellir quand elle fut réussie ? Irait-il de l'enfance comme de la littérature ? sans valeur quand n'y seraient que de bons sentiments ? La mienne fut paisible ; heureuse. Comment la dire ?

Il faut avancer en âge pour entendre son enfance craqueler la surface entre tumultueuse des apparences et nous rappeler la pâte dont nous sommes pétris. Il faut approcher la fin pour comprendre que nous ne pourrons jamais ni plus regarder notre passé en face qu'augurer véritablement les traces laissées. Pourtant ce terreau-là nous constitue, dont les ultimes fumets colorent nos propos et nos rêves. Mauriac les chercha dans ses lectures : c'était manière de conjurer la contradiction d'un horizon depuis longtemps évanoui qui pourtant scande encore nos pas.

Cela fait bientôt une dizaine d'années que vous partîtes, l'un après l'autre emportant avec vous toutes ces réponses aux questions que je n'eus pas même le temps de vous poser. Qui dira qu'en partant, vous ne nous priviez pas seulement de vous et de votre affection : vous nous barriez la route d'un continent à jamais nébuleux désormais. Je regarde cette photo retrouvée dans vos archives et ne parviens même plus à être certain de l'identité de celui-ci ou celle-là à côté de l'aieul … et n'ai plus personne à qui le demander.

Que disait-on à l'enfant que j'étais pour le consoler de la mort d'un parent, d'un grand-parent - que sans doute j'aurai répété moi-même à mes filles ; qu'elles enseigneront à leurs propres enfants ? Que ceux-là, demeuraient toujours présents dans nos cœurs et qu'ils ne pouvaient mourir tant que nous pensions à eux …

Combien vivants vous demeurez alors !

Pourtant combien d'efforts me faut-il pour laisser remonter les souvenirs …

Néanmoins, je ne veux pas tomber dans le même piège que Cohen - si empressé de célébrer la mère, tellement oublieux du père … Non que je veuille par avance préserver mes propres traces car quoiqu'il arrive, elles existeront ! Comment mes filles pourraient-elles, au moins par leurs silences, ne pas m'évoquer devant leurs propres enfants car c'est ainsi que va la vie : les parents tracent des lignes plus profondes que des anfractuosités. D'anciennes bâtisses romaines laissent sur le sol des traces de leurs fondations visibles du ciel à l'œil nu ; nul n'est besoin de lunettes, de microscopes ou télescopes pour mesurer les sillons que nos parents ont gravés en nos âmes. Ainsi me contenterais-je, sincèrement, qu'elles trois se souvinssent de moi comme d'un père qui n'eût pas trop entravé leurs chemins ni souillé leurs espérances.

Ainsi, est-ce de vous d'eux, ensemble, autant que séparément que je veux dessiner le paysage, tracer le contour, retrouver la partition et - pourquoi pas ? - fredonner tout doucement le refrain entêtant.

 

 

 

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