index

 

Curieux livre que celui-ci que j'entreprends pour les miens, mes filles, mes petits-enfants, qui, néanmoins, va fouailler dans les entrailles de ces origines pourtant impossibles à excaver. Si rétives à se donner. C'est un livre rêvé parce que nul être tenant une plume ne pourra jamais ambitionner d'en écrire d'autre. Brosser un paysage intérieur qui s'étire des origines à la fin … juste avant que la main ne cède. C'est simplement écrire - décrire et raconter mais surtout pas expliquer - l'étoffe dont on se déchire ; le tissu qui nous relie au monde. Rien d'exemplaire ici ; juste de tout petits exemples. Mais la joie intense de faire revivre deux êtres à qui je dois tout et qui, encore, me font trouver la vie belle. Ecrire un tel livre c'est seulement laisser l'âme glisser le long des berges

1- rendre grâce II- bredouillements III- Absence IV-Présences V- Présence absolue VI- nombre du mouvement VII- terres et chemins VIII- grâces IX- de l'amour X- ne pas pleurer
A) Ce qui silencieusement se transmet B) La musique :
le chuchotis de l'être
être d'un instant, d'une musique être libre C) La vue paysages qui fuient D) Le toucher intimité des tissus qui se froissent frôlements du silence E) Le goût
du goût


avoir du goût

F) L'dodorat
XI-transmettre XII- de l'humilité XIII - de la pudeur XIV - écarter la violence XV de la gratitude XVI de la fidélité XVII - de la tolérance XVIII- de l'honnêteté XIX - de l'humour XX- de la tempérance

 

 

Précédent

Odeurs …

Qu'en dire qui ne le fut déjà sinon combien l'odorat est étroitement lié au goût sinon qu'il appréhende plutôt les substances volatiles. Comme celui-là, celui-ci constitue un système d'alerte pour tout objet qu'il serait dangereux d'absorber ou au contraire d'appel pour ce qu'il semble bon d'ingérer. Lié donc étroitement à notre rapport au monde. Il est révélateur sans doute que nous l'ayons moins développé que certains animaux - chiens par exemple dont, dès lors, nous nous servons comme éclaireurs ou pisteurs - voici signe de notre prétention à l'abstraction que nous ayons développé plus intensément ouïe et vue.

Que nous soyons plus sensibles aux odeurs de l’extérieur qu'aux nôtres propres, illustre assez bien combien elles nous parviennent à travers des filtres qui sont aussi bien des habitudes sociales que des hantises remontées du plus profond de notre enfance. Un roman - Le parfum de Suskind - nous a rappelé combien les senteurs envahissaient autrefois tout l'espace urbain et combien depuis nous nous sommes acharnés à les couvrir de parfums ou de déodorants.

Telle est sans doute la plus étonnante contradiction de notre époque qui se crut libérée de libérer le corps mais l'entravait en même temps de règles impossibles en lui interdisant tout d'un même tenant d'être lisse et sans odeur ; d'être indéfiniment jeune et sans défaut !

Encens, parfums et aromates occupent l'espace du sacrifice et semblent comme pouvoir effacer l'effroi de la mise à mort de l'animal voire parfois la remplacer, effaçant d'un coup la distance présumée infranchissable d'avec les dieux. Ils sont, au même titre que les ornements et bijoux ce qui fait le monde ; le rend aimable … au moins supportable.

Ce qui remonte de notre enfance doit bien un peu contribuer à ce paysage intérieur qui, presque toujours, se rappelle à nous sans que nous l'appelions pour autant. Je cherche, presque en vain, de lointaines rémanences.

Je dois avouer, mienne gourmandise ou tienne, maman, - que ce sont des odeurs de cuisine : celles des pâtisseries préparées pour Noël - ces fameux Winachtsbredele - qui envahissaient l'espace à partir de la St Nicolas et que tu préparais avec méticulosité comme s'il s'agissait d'un rituel sacré mais après tout c'était peut-être de cela qu'il s'agissait puisque de prolonger un geste incrusté dans le creux de notre histoire. Je traînais souvent dans cette cuisine à l'affût de quelque douceur à grappiller, de quelque reste de pâte sucrée ou d'œufs montés en neige à récupérer ce qu'avec amusement tu me laissais faire. Ces odeurs aussi de pâte que tu faisais monter après l'avoir battue à trois reprises, et qui enflait comme une promesse à la chaleur du poêle à charbon dans une bassine d'abord dans son moule ensuite : l'odeur de ce Kougelhopf qui accompagna chacun de nos petits-déjeuners dominicaux.

L'odeur du charbon peut-être aussi qui imprégnait tout mais trop présente pour que nous la remarquions encore sinon rien de mieux que ces vapeurs de vin chaud qui s'attardaient dans les allées du marché de Noël quoique je me soupçonne avoir plutôt conservé celle de la cannelle …

Je lis ici et là qu'odorat comme goût s'exercent et s'affinent à mesure de leur sollicitation ; les miens ont sans doute souffert d'années de tabagie. Ma mémoire s'aiguillonne de plus de musique et de paysages que d'odeurs ou de saveurs. Décidément.

Restent ces relents de cuisine. On ne dit pas assez la part que constitue les mets d'enfance dans la construction de nos êtres. Pas plus que les autres versants de la culture ; pas moins non plus. L'alsace a cette particularité, ou s'en vante au moins, de participer à la fois du raffinement à la française et de la robustesse allemande. Il n'est pas faux que ses plats traditionnels comme tous les plats paysans traditionnels participent de ce mélange roboratif où la quantité s'amuse de préparer et servir en un même pot ou assiette légume, viande et parfois même salade. On est loin de la finesse de plats préparés séparés, finement découpés en lamelle de la cuisine extrême-orientale telle que la décrivit Barthes. L'alsace procède plus de l'entassement que du mélange mais il est vrai que le bien manger fait partie de la fierté locale et du souci de chaque famille.

Je ne sais si tout y releva des arts mais la table, oui, fut omniprésente.

Quand je cherche à explorer l'odorat ce n'est certes pas un hasard si c'est aux odeurs des mets que je songe d'abord.

 

suite