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Curieux livre que celui-ci que j'entreprends pour les miens, mes filles, mes petits-enfants, qui, néanmoins, va fouailler dans les entrailles de ces origines pourtant impossibles à excaver. Si rétives à se donner. C'est un livre rêvé parce que nul être tenant une plume ne pourra jamais ambitionner d'en écrire d'autre. Brosser un paysage intérieur qui s'étire des origines à la fin … juste avant que la main ne cède. C'est simplement écrire - décrire et raconter mais surtout pas expliquer - l'étoffe dont on se déchire ; le tissu qui nous relie au monde. Rien d'exemplaire ici ; juste de tout petits exemples. Mais la joie intense de faire revivre deux êtres à qui je dois tout et qui, encore, me font trouver la vie belle. Ecrire un tel livre c'est seulement laisser l'âme glisser le long des berges

1- rendre grâce II- bredouillements III- Absence IV-Présences V- Présence absolue VI- nombre du mouvement VII- terres et chemins VIII- grâces IX- de l'amour X- ne pas pleurer
A) Ce qui silencieusement se transmet B) La musique :
le chuchotis de l'être
être d'un instant, d'une musique être libre C) La vue paysages qui fuient D) Le toucher intimité des tissus qui se froissent frôlements du silence E) Le goût
du goût


avoir du goût

F) L'dodorat
XI-transmettre XII- de l'humilité XIII - de la pudeur XIV - écarter la violence XV de la gratitude XVI de la fidélité XVII - de la tolérance XVIII- de l'honnêteté XIX - de l'humour XX- de la tempérance

Le nombre du mouvement

Etrange impression que celle-ci. Je suis à ma table de travail, tôt matin comme souvent autrefois, plus rarement désormais, m'apprêtant à faire défiler, si possible, quelques pages, quelques lignes au moins, en cet instant si particulier où la ville n'a pas encore achevé de s'ébrouer et où chaque geste, chaque bruit semble encore enrobé dans ce semi-silence cotonneux qui nous fait travestir l'aube en promesse de sagesse. Etrange sensation, oui, de sérénité et d'enthousiasme - plaisir grand de transmettre ici ce que peut-être je n'aurai ni dit déjà ni dont je n'aurai véritablement pris conscience - mais d'un temps soudainement étale comme si nulle péripétie ne puisse plus le perturber jamais. Comme si, étrange vraiment, d'entre passé et à venir n'étaient de différences que superficielles.

Il n'est pas de plus jolie question, en philosophie, que celle du temps, ni de plus troublante. Forme de notre impuissance, entité à la fois implacable mais sans doute totalement idéale, dénuée de toute matérialité et pourtant si cruellement décisive, le temps tellement linéaire, si implacablement réversible qu'à mon âge je dusse en prendre ombrage, ce temps si lourd quand on se recueille, si fuyant quand on s'agite, ce temps qui vous inquiète et parfois, pourtant, fait rêver, ce temps finalement ne nous affecte peut-être qu'à la surface et nous trouvons mille et un subterfuges pour clamer, bravache, qu'il ne nous engage pas … ou si peu.

Ceci fait quelques jours, qu'écrivant, je tourne autour du souvenir de mes parents, de ma mère surtout et me frappe comme une évidence longtemps refoulée, rémanente pourtant, que les mères sont peut-être figures de notre passé mais en même temps horizon de notre avenir. Je n'ai jamais été passionné - c'est peu de le dire - par la hantise des origines, encore moins par le discours sulfureux sur nos supposées racines où j'entrevois le prétexte des abandons réactionnaires les plus honteux, lâches et putrides même si j'entends l'angoisse de ceux qui ignorent d'où ils viennent au point de traquer la moindre trace. Me méfie pourtant de ce truisme qui a tout de l'illusion selon quoi nous ne saurions, sans passé, avoir d'avenir. Ce n'est pas le même voilà tout. Après tout, les USA se sont construits avec l'idée de rupture avec un passé européen et ceci ne leur a pas si mal réussi. Ne l'oublions pas, l'histoire peut en même temps être promontoire et prétexte.

Elles ne sont pas seulement le terreau où croître mais la mesure de notre chemin, mais le sens non de notre destin mais de nos destinations. Je veux le comprendre parce que c'est ici que réside une partie du grand secret de la relation mère/fils ; une partie de la si difficile relation mère/fille. Freud la sexualise ; de son point de vue il n'a pas tort ; mais ne dit pas tout ; surtout pas l'essentiel.

Voici un être qui rassemble tout ce qui peut constituer un point d'origine quand, en réalité, elle n'est qu'un intermédiaire : impossible de remonter au-delà. Nous ne saurons jamais ce qui le poussa à nous engendrer : l'inopportune maladresse, le désir impérieux, le souci des convenances, l'appel comminatoire des entrailles. J'ai ici, devant moi, une cause de moi-même, mais cette cause n'explique rien. A l'instar de Dieu qui cause peut-être tout mais ne peut justifier pourquoi il crée, nos mères dessinent une origine qui n'est jamais qu'un point à partir de quoi mesurer … un point seulement qui n'est rien mais demeure indispensable. Le point n'occupe on le sait aucun espace géométrique. Les mères, parfois, le saturent ; tantôt, discrètement, s'en retirent. Elles n'en demeurent pas moins le critère ; la référence. Ce Nord magnétique qu'indique la boussole.

C'est en ce sens là, au moins, que les mères sont l'essence de la crise. Comme en ce tamis, elles sont ce qui sépare ou oblige à se séparer ; qui distingue ou oblige à distinguer ; pense ou oblige à penser, le clair et le distinct. Donnez moi un point d'appui et je soulèverai le monde. Les mères sont ce point d'appui qui permettent au moins de le penser. C'est en ce sens qu'elles dessinent autant terre que ciel ; passé que futur. Non qu'à chaque fois où nous agissions, nous nous demandions préalablement ce qu'elle en eût pensé - ce serait inutile nous le savons et l'avons toujours su - non même que nous nous y soumettions sans barguigner - ce sera même longtemps plutôt le contraire jusqu'à ce que, l'âge ou la maturité aidant, nous comprenions que son sourcil froncé n'avait jamais cessé de nous toiser - mais que cet avis qui venait de loin, de bien plus loin que d'elle-même qui n'en aura jamais été que le témoin, était comme une ligne de partage. Elle ne juge pas, non, mais permet de juger car cette ligne qui plonge au plus archaïque de nos mouvements, subtilement éclaire les dilemmes les plus troubles ; rend évident ceci même qui nous angoisse.

Les mères, décidément, sont à la fois celles qu'il nous faut quitter et que nous ne cessons pourtant de retrouver à chacun de nos pas.

Car ce n'est pas seulement de morale dont elles sont partage ; mais de métaphysique encore.

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