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Curieux livre que celui-ci que j'entreprends pour les miens, mes filles, mes petits-enfants, qui, néanmoins, va fouailler dans les entrailles de ces origines pourtant impossibles à excaver. Si rétives à se donner. C'est un livre rêvé parce que nul être tenant une plume ne pourra jamais ambitionner d'en écrire d'autre. Brosser un paysage intérieur qui s'étire des origines à la fin … juste avant que la main ne cède. C'est simplement écrire - décrire et raconter mais surtout pas expliquer - l'étoffe dont on se déchire ; le tissu qui nous relie au monde. Rien d'exemplaire ici ; juste de tout petits exemples. Mais la joie intense de faire revivre deux êtres à qui je dois tout et qui, encore, me font trouver la vie belle. Ecrire un tel livre c'est seulement laisser l'âme glisser le long des berges

1- rendre grâce II- bredouillements III- Absence IV-Présences V- Présence absolue VI- nombre du mouvement VII- terres et chemins VIII- grâces IX- de l'amour X- ne pas pleurer
A) Ce qui silencieusement se transmet B) La musique :
le chuchotis de l'être
être d'un instant, d'une musique être libre C) La vue paysages qui fuient D) Le toucher intimité des tissus qui se froissent frôlements du silence E) Le goût
du goût


avoir du goût

F) L'dodorat
XI-transmettre XII- de l'humilité XIII - de la pudeur XIV - écarter la violence XV de la gratitude XVI de la fidélité XVII - de la tolérance XVIII- de l'honnêteté XIX - de l'humour XX- de la tempérance

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Du goût

Sans doute faudrait-il l’évoquer avec l’odorat avec quoi il forme un duo inséparable capable d’ évaluer la saveur des aliments mais donc aussi de repérer saveurs détestables ou odeurs pestilentielles.

Je l’aurais fait, n’était sapidité qui évoque qualité de ce qui a du goût ou de la saveur, par opposition à insipide ou fade , n’était surtout la commune source latine – sapere – de savoir et de sapidité.

L’alsacien est une drôle de bête : fier de sa région, de ses coutumes et traditions – mais cette fierté est commune sottise – il l’est surtout de son panachage culturel autant à l’histoire qu’à la géographie. Il se targue d’avoir conservé le meilleur des deux : du français le souci de plaisir, de l’invention, de l’allemand l’exigence d’ordre et de rigueur. Notamment en matière gastronomique où ses spécialités ont le robuste de toute cuisine rustique mais revendiquent la sophistication d’une gastronomie de haute civilisation. Comme si, d’être à la marge, sur les frontières, à la fois l’un et l’autre ou bien ni vraiment l’un ni véritablement l’autre, vous permettait de réunir culture populaire et savante.

Il n’est pas faux que ceci prévaut assez bien dans les arts de la table ; mais en musique aussi. De Dvorak à Liszt ; mais sans doute est-ce vrai pour tous ou presque : il n’est pas de véritable musique qui ne s’enkyste dans l’épaisseur des choses et la turbulence des peuples. Il n’est pas d’art qui sourde de nulle part ! à l’extrême de l’expression, il y a abstraction mais ceci est affaire de raison, de science et de froidure. A l’autre extrême l’indéchiffrable salmigondis des choses, des causes et des interférences. Il n’est pas de terre sans ciel ni de cieux sans terre à enrober et magnifier. Ni évidemment d’ombre sans lumière.

C’est sottise finalement d’opposer la sensibilité à l’entendement : ce n’est pas pour rien assurément que Kant leur trouva formes a priori ; filtres et tamis.

Pascal, derechef avait raison : il serait tout aussi excessif de condamner la raison que les passions ; les sens que l’entendement. Eh quoi comment nier que l’un conduise à l’autre et qu’il n’en est, après tout, de synthèse plus édifiante que les arts.

Le secret est ici : mais bigre qu’il est difficile de le percer.

Inutile d’y revenir : le français s’identifie assez spontanément à son esthétique de la table. Ce n’est pas la première fois que nous voyons la finesse extrême de la culture, l’abstraction pure rejoindre ainsi l’épaisseur sensible de la réalité.

Aude sapere !

Le mouvement des Lumières est la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable, puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. Kant

Car savoir revient ainsi à donner goût, arôme et valeur aux choses. Je sais le français classique l’avoir deviné – pour l’oublier plus tard : l’appétence est bien cette tendance naturelle, presque instinctive, en tout cas pas nécessairement consciente, à rechercher dans tel objet de quoi satisfaire un penchant naturel.
On ne peut sans doute résumer mieux le poids des sens : ce n’est rien d’écrire qu’ils constituent le principe moteur de notre rapport au monde quand la raison se contente de nous placer en face de lui. En réalité, c’est grâce à eux que se noue le lien, que nous ne nous contentons pas de le jouxter, de longer la ligne de partage d’entre nous et le monde,  qui nous définit autant que nous en distingue, mais d’y demeurer extérieur  mais que nous parvenons à l’envahir, à nous y installer et y puiser, jusqu’à épuisement, les ressources que nous estimons nécessaires ou plaisantes mais d’un monde qui d’un même tenant s’insinue en nous, que nous ingérons volontairement ou qui nous agresse, selon les cas.

C’est au reste le propre du vivant : qui ne naît, n’existe et ne survit que d’entretenir, je veux dire maintenir, des flux avec le milieu extérieur ; ce qui signifie aussi une différence qui ne se résume pas seulement à celle de la température

Il n’est pas de figure de la violence qui ne prenne la forme de l’ingérence – empoisonnement, viol, meurtre …jusque et y compris la mise à mort cynique dans les camps par inhalation d’un air vicié par un gaz  - non plus que de plaisirs sitôt que l’intrusion est souhaitée. Rien n’est à ce titre plus révélateur que ce soit souvent le même geste qui, selon les cas meurtrisse ou réjouisse.

Je cherche ceux des plaisirs que vous concédiez sans honte : évidemment ceux de la table y prenaient grande place même si, ma pauvre maman, ta cuisine fut plus roborative que raffinée – mais je le découvris bien plus tard. La TV quand elle entra dans la maison, au milieu des années soixante, ne supplanta la lecture qu’aux soirées où elle s’imposait mais ne l’effaça jamais complètement. Le prétexte culturel joua à plein : La caméra explore le temps ou le théâtre de la jeunesse facilitèrent l’argument. Le Don Juan de Lorenzi avec Piccoli et Brasseur autant de grands moments de TV qui furent aussi des soirées partagées. Et j’appris en arrivant à Paris qu’un repas pouvait ne pas être gras ; les différents ingrédients ne pas être mêlés les uns aux autres et les entrées ne pas se résumer à quelque copieuse charcuterie.

Je ne voudrais pas une seconde laisser de vous le souvenir d’adultes étriqués seulement gouvernés par un sens autoritaire du devoir : comme tout le monde vous aviez vos petites manies, faiblesses et grandes paresses. A mesure que les années passèrent, vous lûtes moins. Toi, tu écoutais de plus en plus de musique et te laissa t’éloigner dans tes étranges méditations ; toi, tu partageas tes journées entre tricot, mauvaises séries TV l’AM et lecture de tes invraisemblables romans d’amour que tu engloutissais avec une régularité chronométrique.

Tu m’amusais souvent de gourmander ces sottes qui s’attardaient à la lecture des romans-photos alors très en vogue Nous Deux en était la publication phare – mais tes Herzroman valaient-ils vraiment mieux. Je n’ai jamais réussi à savoir si cette dilection était pour toi manière de garder lien à la fois avec tes rêves de petite fille, cette langue allemande qui avait presque été ta langue maternelle et ta propre mère, si roide d'accès, mais avec qui tu partageais cette passion douteuse. L’âge venant, surtout quand tu te retrouvas seule, tu t’abandonnas à la TV : tu ne gagnas pas au change mais tu ne cherchas alors qu’à oublier et patienter jusqu’à l’issue.

Mais quoi savoir est affaire de sapidité. J’aime à considérer qu’aux deux extrêmes de l'abstraction d'une part, de la sensualité de l'autre, il soit question de saveur sans doute parce que le goût est pourvoyeur de connaissances en tout cas d’informations ; sans conteste parce que la connaissance est affaire de plaisirs, de sensations fortes parfois ; est surtout truchement par quoi la réalité revêt couleurs, chaleurs et sens.
J’ai vécu ma vie durant à le croire et m’en assurer. Que tous n’y veuillent se rassasier, je le comprends aisément ; ou ne le puissent comment ne pas le regretter ; je sais assez qu’ici comme en d’autres domaines, le chemin est escarpé et n’offre que rarement d’agréables compensations et méprise les  légitimes rétributions : c’est qu’on ne se sert pas de la connaissance ; on la sert.

Ce qu’elle prête, d'abord éblouit et pour longtemps. Mais à l'instar du message au Mont Horeb délivré, la lumière qu’elle diffuse bouleverse le chemin et fait la vie ressembler enfin à l’existence.

J’en veux à tous ces professionnels de la connaissance qui ont réussi à convaincre des générations entières que la connaissance était trop ardue pour eux et se la sont accaparée en usuriers égrillards qu’ils ne cessèrent jamais d’être. Regardez la joie que met l'enfant à découvrir, apprendre ; comprendre … vous saurez ce qu’est sapidité ; et trouverez son sens au Redevenez comme des enfants.

 

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