Bloc-Notes 2018
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Au petit bonheur des horreurs …

Mauriac, au moment de l'indépendance de l'Algérie, juste avant un long texte où avant les inquiétudes, il annonçait préférer saluer l'importance d'un événement qui avec l'avènement d'un peuple lui semblait ouvrir la perspective d'une libre coopération, fait référence à Maurice Barrès et aux Scènes et doctrines du Nationalisme tout en s'étonnant que celui qui en parlait le mieux ne venait pas de la droite mais plutôt de la gauche en la personne de JM Domenach, héritier du personnalisme d'E Mounier, qui dirigera longtemps la revue Esprit.

Mauriac, il faut le répéter, fut dans sa vie de chrétien, bousculé dès son enfance par les prises de positions de l’Église durant l'Affaire Dreyfus qui le heurtèrent non seulement pour l'injustice faite à l'homme que pour les dérives politiques et nationalistes qui s'en suivirent. Chrétien, homme de droite, mais capable plus que tout autre de ne pas se tromper de combat et d'aller se battre contre les siens quand ceux-xi faisaient fausse route.

Cet été 62, c'était peut-être l'indépendance algérienne qui allait prendre corps, mais aussi cette furie destructrice de l'OAS, résolue à la politique du pire, celle de la terre brûlée. Intéressant qu'à cette occasion, Mauriac se pose la question de la postérité politique de Barrès et qu'en même temps ce soit la comparaison avec Maurras qui s'impose. Que l'on puisse être de droite peut se comprendre ; doit en tout cas s'admettre. Je devine bien ce qui s'y joue même si ceci me reste largement étranger. Même si à droite on ne cessera de poser que de l'autre côté, avec le communisme, la question se poserait aussi ! Ce qui ne me semble pas exact : l'extrême-gauche n'a jamais versé dans le terrorisme et le PCF, même en ses heures de gloire, n'est jamais sorti des clous républicains. Mais, dans les cas, la seule question qui vaille est bien celle-ci :

A partir de quel moment, de ce côté-ci, sort-on des lignes ? dérape-t-on sur la pente de l'extrême ? Qu'est-ce qui rend Maurras totalement insupportable quand, en dépit de ses positions, Barrès demeure attachant autant pour Mauriac que pour Blum ?

De qui les membres de l'OAS sont-ils les héritiers ?

Une question qui peut sembler de pure curiosité intellectuelle ou historique ; qui ne l'est aucunement !

Car l'histoire prend son temps. Sa prétendue accélération est liée à des apparences. Au vrai, elle ne hâte ni ne ralentit son train, qui n'est pas accordé à celui des éphémères que nous sommes.

Faut-il rappeler quel improbable attelage vient d'accéder au pouvoir en Italie ? Avec quel poigne Orban tient la Hongrie ? Ou la piète qualité démocratique du gouvernement polonais ? Que cette offensive se pare de l'incroyable concept d'illibéralisme ne change rien à l'affaire ! Sous des allures apparemment nouvelles, ce sont bien de vieilles scies qu'on nous ressert : elles ont nom oligarchie ; dictature ; tyrannie ; fascisme. Mauriac voit juste ! L'histoire ne change pas tant qu'il y semble ; elle bégaie mais ceci n'a rien de drôle. D'autant moins que c'est en Europe, au cœur de l'Union Européenne que ceci est en train de se passer balayant ainsi tous les arguments jusqu'ici avancés : non l'entrée dans l'UE n'a protégé en rien contre les dérives totalitaires et même au contraire, s'agissant notamment de la Hongrie qui sembla dans un premier temps la mieux placée des nations du Pacte de Varsovie pour assurer la transition démocratique, paraît bien être sinon la cause en tout cas le prétexte de la dérive

Aujourd'hui comme hier, une incapacité à penser un processus qui n'a pourtant rien d'inédit ! Incapacité même à le nommer : on conviendra en effet que populisme n'aide pas à penser qui autorise à confondre dans le même sac d'opprobre Mélenchon et FN ; Orban et Mouvement 5 étoiles etc … [1] Quoi d'étonnant à ce que la presse s'en emparât, elle qui est toujours avide d'affriolants prêts-à-penser et pour qui l'an dernier le doublet ancien monde/nouveau monde ; le en même temps, le pouvoir jupitérien auront rejoint système et populisme comme outil courtisan pour flatter ce nouveau pouvoir que les journalistes mettront un peu plus de temps à critiquer que par le passé mais qu'ils balayeront au premier vent mauvais - car ainsi va la faiblesse courtisane qui ne s'attaque qu'aux faibles et la négligence - pour ne pas écrire paresse - intellectuelle qui va toujours au plus rapide et facile.

Eh quoi ? de quoi parle-t-on en définitive ?

Doit-on rappeler ceci de Barrès, précisément tiré des Scènes ? Doit-on rappeler que, derrière ce nationalisme qui se veut de bon aloi, il y a cette identité réduite à la race, ce dialogue qui n'aura jamais lieu tout simplement parce que l'interlocuteur n'est pas de son monde, de sa tribu, de sa race ! Je le regarde à ces racines : cet homme n'est pas un Français !

Ce n'est pas la peine ci, ceci le fut déjà ailleurs, de retracer le rôle décisif que joua l'Affaire Dreyfus dans la recomposition politique de la fin du XIXe en France : une droite conservatrice qui s'annexe définitivement le nationalisme et, pour longtemps, l'antisémitisme ; une gauche qui s'internationalise et cesse en tout cas de pouvoir se proclamer antisémite (Sternhell)

Mais nul n'est besoin de fouiller trop loin dans l'histoire pour rappeler combien le nationalisme de toute manière est une réaction bien plus qu'une pensée - en dépit des efforts de Barrès - une haine pas toujours rentrée à l'égard de tout ce qui n'est pas soi ou comme soi ; une fabuleuse sottise qui parle racine, ou enracinement, identité, peuple mais qui en réalité n'a de goût que pour la race, le gène tout ce qui d'inné, peut contraindre l'individu et sa foutue liberté à sa plus simple expression. Le nationaliste aime l'ordre - mais pas n'importe quel ordre, l'ordre naturel, immuable - l'ordre des choses pas des hommes. Il adore la soumission, le respect, la nuque baissée ; l'humilité résignée de qui pose besogneusement ses pas dans les traces laissées par ses ancêtres ; il aime oui la terre, celle qui ne ment pas !

Oh bien sûr un peuple qui se lève est émouvant et réclame son indépendance. Au nom de cela, par naïveté ou aveuglement, nous avons parfois légitimé sans le savoir ou le vouloir savoir, le pire des nationalismes. Et en payons désormais le prix. Indépendantiste aurait pu ne pas vouloir signifier nationaliste : ce fut si souvent le cas.

Et quoi ? faut-il rappeler ceci de l'ignoble Maurras à propos de Blum ? cet appel au meurtre qui hume le pire des ragoûts xénophobes, racistes … (Action Française du 9 avril 1935) ou tant d'autres invectives de la même veine putride qui amènera le triste sire à s'extasier devant l'avènement de Pétain - la fameuse divine surprise - lequel ne lui rendra pas ni son estime ni son éloge ! Doit on vraiment rappeler que c'est de cette même veine que surgiront les insurgés d'Alger qu'on avait déjà vu poindre leur nez durant la guerre d'Indochine !

Le ventre est encore fécond !

Mauriac feint de croire à un grand écart entre Barrès et Maurras : je ne suis même pas certain, qu'à l'affection près qu'il conserva pour celui qui fut son mentor en littérature, il en fût véritablement persuadé. Barrès fût-il allé jusqu'à la collaboration ? sa mort évite de se poser la question ; pour le reste, il demeure totalement associé à toutes les crises de la jeune et longtemps fragile IIIe République : de Boulanger à Dreyfus etc. Et non, même si la Ve de de Gaulle est parlementaire a minima, elle ne ressemble en rien à ce régime autoritaire, plébiscitaire que souhaitait Boulanger. Il n'en demeure pas moins - et c'est tout le secret de son personnage - que tout maurrassien d'origine que fût de Gaulle, tout pétri de ce conservatisme catholique perclus de certitudes qui caractérisait la bourgeoisie de cette fin de siècle, que de Gaulle était républicain et n'eût pas imaginé une seule seconde perpétrer jamais un coup d’État ! Même s'il sût à l'occasion s'accommoder des circonstances (1958) ou désobéir (juin 40) ou qu'il préférât que les partis fussent jugulés, le pouvoir du président fut toujours retrempé à la source du suffrage populaire. (voir l'explication qu'il en donna en 1965)

Oui, c'est vrai Barrès sut à l'occasion être élégant et conserver à ses animosités une allure policée, presque civile, quand Maurras, quoiqu'il arrivât, eut toujours la lippe haineuse et le propos vulgaire du petit monsieur qui n’aura jamais eu qu'une idée et qui s'y accrocha comme un chien à son os.

Mais les deux détestent leur temps ; vivent dans la nostalgie rance d'un passé qui ne fut brillant que dans leurs têtes étroites de petits bourgeois frustrés de n'être pas assez bien nés ; aucun des deux ne croit à l'homme mais seulement au groupe qui les façonne. Leur nationalisme cache, au mieux, une technolâtrie où il suffirait de correctement agencer les pièces pour obtenir ce tout qui seul prévaut et dont les individus ne seraient que les rouages ; au pire un véritable fascisme. Ce qui sauve Barrès c'est son culte du Moi, même contraint ; ce qui perd Maurras c'est son endémique haine. L'inné y prime sur l'acquis, la nature sur l'histoire, le groupe sur l'individu et, politiquement, l'Etat sur tout le reste. Tous les ingrédients du fascisme y sont réunis ou du moins de la technocratie. Barrès resta aux bords ; Maurras y versa !

La grande chance, pour la République, c'est que cette droite nationaliste ne sut jamais se trouver de leader charismatique pour aller jusqu'au bout. Boulanger était un faux dur avec deux ou trois idées force qu'on avait fini par lui apprendre et qu'il récitait comme un enfant récite sa leçon ; Déroulède un obstiné mais sans envergure qui n'entraîna jamais que lui-même et son amitié pour Barrès.

Le malheur, pour la République, ce fut en 40, pas même Maurras qui n'intéressait pas grand monde et ratiocinait dans son coin sans que plus grand monde y prît garde, pas même Pétain qui aura été en la matière au moins aussi manipulateur que manipulé, que toute la clique nationaliste revancharde, adoratrice de la force, de la puissance et de l'autorité bien plus encore que de la Nation et, pour cela prête à se donner même à l'ennemi, même à l'étranger pourvu qu'il ne fût ni juif ni communiste. Les Déat, les Doriot, Laval …

Ont-ils des héritiers ces vieilles raclures de la collaborations ? ces nostalgiques de la monarchie ? ces thuriféraires de l'ordre ? Quand on lit l'histoire de la droite en France, on comprend vite que, derrière ces courants extrêmes, se retrouvent, parfois déchirés entre eux, parfois unis, à la fois les nostalgiques de la monarchie absolue, des chrétiens traditionnalistes, des nostalgiques de la collaboration etc, tout ce que le FN aura essayé et presque réussi de fédérer depuis les années 70. (voir documentaire sur FN) Il faut être aveugle pour ne pas voir dans ce nationalisme qu'ils portent l'expression politique que la droite légitimiste et césarienne avait perdue et qu'elle retrouvera, de manière confuse avec le Bloc National en 1919 et de manière plus précise encore dans les soubresauts des années 30 et à Vichy.

Et faut-il vraiment considérer comme un hasard le bruit qu'on fait en ce moment autour de Maurras, de sa commémoration, finalement rayée, ou de l'édition de ses œuvres dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle ne réunit pas vraiment les critères de scientificité ? Ne chercherait-on pas à nous revendre ces vieilles badernes en les faisant paraître novatrices ? (lire Compagnon)

Où ses héritiers ? dans cette clique douteuse qui tente de réhabiliter Maurras !

Sans doute aussi dans les embrouillaminis d'un FN qui se cherche après son échec de 2017 et qui, autour de la jeune Marion, mais aussi derrière les excités de la Manif pour tous, dans ce conservatisme de catholiques intégristes qui ont su redonner de la voix, autour de toutes ces mouvances qui gravitèrent autour de Fillon et désormais dans la déliquescence des Républicains ou dans les discours terriens d'un Wauquiez, est en train d'inventer de quoi faire sauter la digue qui tenait encore éloignées droite et extrême-droite. Sans doute, dans ce paysage explosé de l'ère Macron, où tout est cul par dessus tête mais rien encore reconstruit, tout semble possible et même l'alliance entre une droite sans plus trop de colonne vertébrale idéologique et une extrême-droite provisoirement illisible mais d'autant plus dangereuse précisément qu'elle l'est.

Je ne puis pas ne pas faire l'analogie entre l'avènement d'un de Gaulle en 58 qui, lui aussi, bouleversa tout l'échiquier politique, en même temps que le régime ; ni de faire le constat que cinq ans plus tard, certes différemment, le clivage classique gauche/droite s'était reformé. Parce qu'il me semble que ce sont là les gènes de la République.

Ce qu'il y a néanmoins d'inquiétant c'est que le libéralisme ambiant - qui est quand même le degré zéro de la théorie politique - demeure la seule alternative républicaine au moment même où elle est en train de dépiauter les ultimes acquis de l'après-guerre ! Le drame est que tout ceci se déroule dans une inquiétante passivité qui ressemble à la fois à du fatalisme et à un consentement plus ou moins conscient ! le drame est que ceci se déroule dans un vide idéologique total où les repères semblent ne plus exister pour personne et ne plus en tout cas pouvoir constituer de rempart.

Alors oui des héritiers il y en a ! ils sont devant nous et ont la même suffisance que ces autres en 33 qui crurent pouvoir contenir Hitler et furent rapidement avalés par l'hydre avant même qu'ils s'en aperçussent. Alors oui le vide est tel qu'à l'instar de 33 on retente de nous faire le coup de la compatibilité entre nationalisme et socialisme.

Le doucereux évangéliste pré-pubère qui nous gouverne nous mène à la catastrophe et nous le regardons faire ! Qui est le plus coupable ? Lui et sa suffisance indigne ou nous et notre lâcheté ?

Illibéral n'est finalement pas si mal trouvé que cela : ceux-là ne sont que l'envers du miroir ou du décor de ceux-ci !

La grande différence, Mauriac, c'est qu'ils n'ont même plus besoin de passer par le chemin plus court du coup d’État : ils sont déjà dans la place.

 

 

 

 

 


1) sur la question :

histoire du FN: docu