Chronique du quinquennat

Petite analyse des discours de Toulon et de Toulouse
(entre deux tours de la présidentielle)

1) lieux communs avec FN
2) Deux remparts
3) Premier ennemi : l'immigré
4) Second ennemi : la gauche
5)La république sarkozyste
6) La Nation
7) La frontière

rappel Introduction 2 remparts Quatre ennemis solutions
Maurras lieux communs entre droite et extrême droite La France l'immigré la République nouvelle
anti-lumière   La République l'anti-France La Nation
antisémitisme     la gauche La frontière
nationalisme intégral     les corps intermédiaires  
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Ce qu'est la République

Ce qu'elle n'est pas


 

Second ennemi : de l'Anti-France à la gauche

La droite maurrassienne avait un second ennemi, ennemi de l'intérieur, la gauche, évidemment. Marque de cette droite-là, qui ne manquait pas une occasion de pointer ce qu'avait de délétère l'idée même d'une France une et indivisible. L'indivisibilité était incarnée par le monarque mais des ennemis il y en avait qui formaient le quadrilatère.

Au premier rang desquels, parmi les républicains, ces francs-maçons qui, au service putatif d'une raison dont nous savons qu'elle manque systématiquement à appréhender la réalité du pays, coupent la Nation de ses racines et la jette aux pieds des intérêts particuliers en tout genre.

Palabres interminables, incompétences, perte de temps et d'efficacité, ce qui est reproché à la république c'est bien, et c'est en ceci que nationalisme comme fascisme partagent la même analyse technocratique, le manque de rigueur et l'inévitable affaissement de l'Etat que ceci implique au profit de clientélismes divers.

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Sarkozy ne dit pas autre chose dans ce discours de Toulouse : le système socialiste c'est justement quand les corps intermédiaires prennent le pouvoir dans l'appareil d'Etat et défendent des intérêts particuliers, ou bloquent les décisions importantes.

Quand on écoute bien les hontes de la république qu'il se complaît à égrener on comprend bien que cela vise exclusivement les syndicats qui défilent avec le drapeau rouge plutôt que tricolore, les syndicats encore qui prennent parti politiquement, ou encore les enseignants qui s'interposent et ne font plus leur travail républicain de transmission.

Remarquons d'ailleurs que ce qui est le plus reproché aux enseignants ce n'est pas de ne pas faire le travail de transmission de la connaissance, c'est bien plutôt de ne plus transmettre la morale républicaine - travail ; mérite ; effort ; autorité ... -

Retour à Maurras :
de la classe ouvrière conçue comme un ordre

On ne peut pas vraiment dire que l'Action Française ait été particulièrement sensible à la question ouvrière et me maurrassisme est bien plus une doctrine politique qu'une théorie sociale. Remarquons néanmoins ce texte, écrit autour des événements de 1908 à Draveil en qui illustre à la fois sa pensée, son rapport à la classe ouvrière et à ses représentants - les syndicats.

On sait de ces événements, les manifestations dures et les représailles fortes du gouvernement Clemenceau qui en résultèrent, combien ils marquèrent définitivement le pas pour le syndicalisme révolutionnaire autant qu'ils maintinrent jusqu'à l'après deuxième guerre mondiale l'interdiction de la grève des fonctionnaires, ces derniers étant présumés être des serviteurs de l'Etat.

L'ambivalence de la république

Or ce que dit Maurras -est intéressant à deux titres :

- les ouvriers n'ont rien gagné avec l'effondrement de la monarchie et l'établissement de la République. Au contraire !

Situation sans analogie dans l'histoire. Le serf avait sa glèbe et l'esclave son maître. Le prolétaire ne possède pas sa personne, n'étant pas assuré du moyen de l'alimenter. Il est sans «titre», «sans état». Il est sauvage, il est nomade. On peut souffrir de ce qu'il souffre. Mais plus que lui, en souffre la société elle-même. On comprend la question ouvrière quand on a bien vu qu'elle est là. *

C'est que Maurras se représente la classe sociale exactement comme il se représente le peuple, enraciné dans son être. On est ouvrier comme on est bourgeois. Sans qu'il soit véritablement possible de s'affranchir de cette essence qui vous définit et détermine.

Je ne crois pas qu'il faille flétrir la bourgeoisie ni désirer qu'elle disparaisse. À quelque classe qu'on appartienne, on doit en être comme on est de son pays, et j'avoue que ma qualité de bourgeois français m'a toujours parue honorable. *

Ce qui importe c'est de prendre sa place dans l'ordre où la nature vous a mis et alors évidemment les organisations corporatistes telles que l'ancien régime les avait instituées représentaient au mieux l'idée de collaboration, de synthèse. En conséquence, rien n'étant plus dommageable que la division, lutte des classes d'un côté, mépris bourgeois pour l'ouvrier de l'autre, sont les signes tangibles de la perversion de la République qui oppose au pays réel, fait d'unité et de soumission, un pays légal qui entretient la division t l'exploitation au nom de profits particuliers.

L'ouvrier est donc un nomade c'est-à-dire exactement tout ce qui horripile la droite monarchiste. Arraché à sa terre, à ses racines, à sa nature, par la république, il n'y est pour rien assurément, et mérite pour cela toute la considération de Maurras ; mais arraché par la république et c'est assez dire qu'en réalité pour Maurras la question ouvrière n'est pas une question sociale mais bien politique. C'est d'ailleurs vraiment le sens à donner au Politique d'abord, qui fut sa devise, qui ne signifiait pas que l'économique n'eût pas d'importance mais au contraire que rien d'économique ne pourrait être tenté et réussi sans qu'au préalable la question politique ne fût résolue par le rétablissement de la monarchie. 1

La République démocratique tend à faire de tout ouvrier un insurgé, et l'absence du roi fait de tout conservateur une borne. Ainsi la République exclut toute paix sociale, et la réforme sociale n'est pas possible sans le roi. *

Ce qu'il attend de la monarchie c'est qu'à nouveau elle enracine l'ouvrier, autant que le paysan, et le mette dans un esprit de cohérence et de collaboration - ce que précisément l'on attend des corporations.

- la bourgeoisie au pouvoir dans la république n'a que mépris pour la classe ouvrière qu'elle ne peut que maintenir dans un état de dépendance pour préserver ses intérêts particuliers ; à qui elle ne peut qu'offrir de vagues espérances qui ne se concrétiseront jamais ce qu'illustre à la fois les relations complaisantes avec les socialistes, présentés ici comme des alliés objectifs de la bourgeoisie, et le refus d'interdire la CGT ce qui eût selon Maurras été la conséquence logique des événements de Draveil. La république à la fois excite et bride la revendication sociale : elle n'aurait d'ailleurs pu s'établir sans elle. Pour Maurras la république - et c'est bien en ceci qu'elle est, essentiellement désastreuse - ne peut s'ériger que sur les décombres de la division et donc sans cesse les susciter mais en même temps, parce qu'elle est essentiellement bourgeoise, ne peut que s'opposer aux revendications ouvrières.

M. Clemenceau ne dissout pas la Confédération parce que, cet organisme prolétarien qui lui cause aujourd'hui une gêne cruelle, il compte bien l'utiliser dès qu'il sera sûr de l'avoir en main. Il ne lui serait pas facile de reforger à neuf un instrument révolutionnaire de cette précision, de cette portée, de cette puissance. En se bornant à lui donner des chefs plus dociles, il tiendra le plus merveilleux outil de domination politico-sociale qui se puisse rêver.*

Les ennemis de Sarkozy

Lui aussi désigne des ennemis. La gauche en général d'abord ; les syndicats ensuite; les instituteurs pourtant supposés être le socle de la République.

La gauche et les syndicats

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Dans ce passage remarqué de ce discours de Toulon, la gauche est présentée comme le contraire de la République comme ce qui a trahi la République :

- parce qu'elle est laxiste en refusant toute autorité - à l'école notamment

- parce qu'elle est égalitariste, démagogique, en distribuant des diplômes qui n'ont aucune valeur

- parce qu'elle laisse grande ouverte la porte du communautarisme

- parce qu'elle refuse de lutter contre la délinquance et l'immigration sauvage (toujours associées)

- parce qu'elle refuse d'assumer ses responsabilités et l'autorité

Qu'on ne s'y trompe pas : c'est une chose, dans un cadre républicain, de désigner l'autre camp comme adversaire : c'en est une autre de le désigner comme anti-républicain. Bien entendu, on peut toujours évaluer ce type de discours comme ces hyperboles endémiquement incluses dans le débat électoral ; bien sûr, on se doit par honnêteté, de faire ici la part des choses et remarquer en conséquence que c'est d'une conception de la république dont il s'agit ici.

C'est bien ici un autre point commun avec la pensée maurrassienne. On avait pu penser que le candidat ferait sa campagne sur des mots d'ordre économiques et sociaux et qu'il s'appuierait sur l'expertise que sa pratique des crises lui eut conférée ; au contraire, faisant litière de la crise, il aura d'emblée déplacé le problème du côté politique en désignant plus que des adversaires ... des traîtres à la République, à la civilisation.

Regardons bien, parce que c'est ici que le mot traîtrise prend tout son sens : ce qui ne va pas dans la République tient justement à la défaillance de tous ceux qui étaient supposés la soutenir, la construire :

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les enseignants d'abord, ces hussards noirs, qui n'apprennent plus ni l'autorité ni le respect, qui d'ailleurs sont supposés ne plus aimer leur métier - ne plus avoir la vocation. La charge est violente, systématique, leur défaillance étant pointée dans toutes les dimensions de leur métier et en particulier le nivellement par le bas ; l'incapacité à apprendre à lire ou écrire ...

- les magistrats encore supposés n'être pas assez répressifs mais au contraire laxistes en ne faisant pas exécuter les peines

- les syndicats qui outrepassent leur rôle en prenant parti mais qui, surtout, s'entremêlent des décisions de l'Etat, en les bloquant ou les inspirant ; qui se contentent de défendre des intérêts catégoriels ou politiques au lieu de se mettre au service de l'intérêt général.

- les corps intermédiaires en général sans qu'ils soient toujours précisément définis.

Tout aussi révélatrices ces deux anathèmes jetés au titre de la honte, répétée deux fois. Honte renvoie à déshonneur - ce qui n'est pas rien et déplace la question du côté de la morale : devoir, responsabilité, mérite sont ainsi présentés comme les axes cardinaux de la République.

Où, encore, il retrouve Maurras.

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Outre la prédilection à présenter l'élection comme un choix décisif tant nous serions à la croisée entre deux mondes ; tant il faut préparer l'avenir - ce qui est jouer assez logiquement sur la dramatisation - il est remarquable que Sarkozy pose la question morale de la République comme un héritage à ne pas dilapider ; comme un héritage à transmettre et prolonger.

Or dans cet héritage, il y a

- travail
- effort
- civilisation
- chrétienté,
- révolution,
- Résistance

Ce poids marqué sur l'héritage du passé, cette volonté de réunir dans une synthèse qui lui est propre, tout ce qui a forgé la Nation n'est pas sans rappeler ces quarante Rois qui ont fait la France. Bien entendu Maurras eût désavoué la Révolution et la Résistance, mais certainement pas la chrétienté. Ce qui souligne encore une fois combien le discours du Latran aura été tout sauf un accident.

Les corps intermédiaires

Le paysage qui se dessine en filigrane, dans l'ensemble de ces discours, est bien celui, binaire, et pour cela résolument conflictuel, d'une Nation composée d'un côté par le peuple, indifférencié d'ailleurs, autant sociologiquement que politiquement, et de l'autre du Prince, supposé l'incarner. Est anti-France tout ce qui viendrait s'immiscer entre les deux.

On est ici très loin de la doxa républicaine, en tout cas dans sa version parlementaire, et l'on comprend bien alors la charge toujours portée contre Hollande qui déclarait vouloir rétablir un exercice plus équilibré des pouvoirs.

C'est l'autre point commun avec Maurras même si celui-ci en appelait à la restauration de la monarchie quand celui-là reste dans le cadre de la démocratie - mais avec un accent autocratique tellement prononcé !

Second point commun encore : la dimension transgressive. Il est vrai que Maurras utilisera volontiers le terme de révolution - qu'on retrouvera dans la Révolution nationale de Vichy, quoique Pétain n'aimât pas le terme - tout autant que Sarkozy tant dans sa pratique présidentielle que dans ses discours de campagne, aura constamment joué de la rupture plus que du changement au risque de la brutalité, bousculant le pays pour le faire entrer à marche forcée dans la mondialisation, au risque de détruire les fondements de son système social hérité du pacte social de la Résistance.

Troisième point enfin, ce qui ne peut que relever de l'exclusion : au même titre que les quatre États confédérés, qui relèveront de cette Anti France que Vichy pourchassera, de la même manière Sarkozy traque, taille et exclut. Exclusion des corps intermédiaires de la chose publique ; exclusion des immigrés si souvent assimilés à la délinquance

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quand ce n'est pas au terrorisme ; exclusion - en tout cas mise au pas - des fonctionnaires et en particulier des enseignants sommés d'obéir et de faire respecter l'ordre ; exclusion des tricheurs, des assistés .... Exclusion de tout ce qui ne participe pas de la doxa éthique présentée comme intangible où dominent plus les items contraignants (devoir ; responsabilité ; respect ; obéissance ; assimilation) que ceux, plus ouverts mais singulièrement absents des discours (universalité, tolérance droits de l'homme ...) Exclusion qui lui fait présenter, à Toulouse, son public comme le peuple de France par opposition au peuple de gauche.

 

Nous ne saurons pas ce qu'il serait advenu en cas de victoire de Sarkozy et je gage qu'il demeure dans tout ceci quelque chose de la baudruche polémiste et électoraliste. Pour autant ce qui semble bien se dessiner ici c'est une droite ultra-montaine, furieusement réactionnaire et prompte à revenir au nom de la modernité et de la crise sur tous les acquis sociaux de la Résistance.

C'est bien tout le challenge de la droite de demain : d'avoir à repenser son logiciel et selon qu'elle opine plutôt dans ce sens ci ou plutôt vers la doxa humaniste qui lui était classique depuis de Gaulle, d'avoir à repenser ses rapports avec le FN.

Le fait que le score de Sarkozy soit tout sauf ridicule en dépit des grincements dans son propre camp et de l'appel au vote Hollande de Bayrou, montre en tout cas que cette glissade maurrassienne ne heurte pas tant que cela la frange droite de l'électorat et, assurément, ses partisans joueront sur cet argument pour la prolonger. Ce sera demain le problème politique de son unité ; c'est dès à présent celui de Hollande qui devra bien faire avec et dessiner des perspectives permettant à cet électorat de ne pas glisser plus encore vers l'extrême-droite.

 

 

 

La république sarkozyste

 

 


* toutes ces citations qui suivent sont extraites de cette série d'articles écrite autour des événements de Draveil en 1908

1) on remarquera d'ailleurs que ce fut exactement la même démarche qu'adopta de Gaulle à son retour au pouvoir en mai 58 : en dépit de la grave tension en Algérie, où l'on frôla le putsch militaire, en dépit des graves crises économiques, la première action politique aura délibérément été l'adoption de la nouvelle constitution - preuve s'il en fût, que dans l'esprit du Général rien ne pouvait être fait sans qu'auparavant les bases politiques ne fussent posées.