Histoire d'un quinquennat

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La presse note, non sans gourmandise le soin attentif que Hollande met à bichonner son image, en souvenir sans doute et pour en éviter les conséquences fâcheuses, des débuts du quinquennat sarkozyste.

Et revoici la normalité

Ce thème qui avait fait sourire en début de campagne réapparaît, en tout cas sous la plume des journalistes. Nul doute que Hollande veut tenter à la fois une image moins thaumaturgique de la fonction présidentielle, plus humaine et donc plus proche du public. D'où ces incessantes signatures d'autographes, de bains de foule improvisés où il prend un plaisir évident et qui ne sont pas sans rappeler ces images anciennes de cet autre corrézien que fut Chirac. Normalité que l'on retrouve dans le désir de continuer à demeurer chez lui plutôt qu'au Palais par exemple, celui de sa compagne de continuer à exercer son métier de journaliste, et de n'être pas une potiche ...

Et pourtant !

L'approche moins autocratique de la fonction qu'il a promise, le rôle restauré du Parlement d'une part, et le plein exercice de la fonction gouvernementale d'autre part impliquent une approche plus collégiale du pouvoir et sans doute une distance plus grande de quelqu'un qui, fixant les grands objectifs laisserait les responsables les mettre en oeuvre.

Ce paradoxe c'est celui non tant de F Hollande que celui de la constitution elle-même qui a voulu un président à la fois arbitre, guide mais en même temps acteur plein de la vie politique et clé de voûte du système.

Les dérives présidentialistes apparaîtront inévitablement : crise et logique de la constitution y pourvoiront amplement. On jugera demain le mandat du nouvel élu à sa capacité - ou non - de se frayer un chemin, nécessairement sinueux, entre le désir d'efficacité et le souci républicain. 1 Entre l'esprit et la lettre de la constitution, il y a sa pratique. Le quinquennat Sarkozy laissera inéluctablement des traces mais la réforme constitutionnelle aussi.

L'histoire permet d'apprendre que les débuts sont déterminants. Et le sont d'autant plus qu'ils sont symboliques au moins autant que politiques. Cette toujours étonnante phase intermédiaire qui va de l'élection à la prise de fonction, période courte où rien n'étant encore commencé, tout demeure dans le mirage virtuel de l'image, période aussi où l'on peut innocemment se réjouir parce que rien n'aura donc été raté,, période qui se prolongera un mois jusqu'aux législatives puisqu'aussi bien l'exécutif va se retrouver seul sans véritable contre-poids législatif, cette période, oui, Hollande a sans doute raison de la vouloir soigner. Elle ne présage pas tant de ce qui va se passer durant cinq ans, mais au moins des intentions. Et ce sera bien à l'aune de l'écart entre les intentions et les actes de demain que l'on pourra juger l'exercice hollandien du pouvoir.

L'ombre du passé

Celle de Mitterrand, évidemment, à quoi Hollande aura constamment fait référence à la fois pour se couler dans le moule et s'en démarquer. A qui il fit mention à Tulle comme à la Bastille - et comment faire autrement quand on n'est que le second, trente ans après, à accéder à la magistrature suprême ?

Mais le temps n'est pas le même, nous le savons tous et, en particulier certainement pas celui de la même espérance. Si le désir d'alternance est réel, ce n'est rien de dire que le nouvel élu n'aura suscité ni attente excessive ni illusion irrationnelle. La crise est passée par là, qui rôde, et qui empêche chaque électeur de gauche d'imaginer quelque rupture que ce soit. Ce manque d'enthousiasme qui participe d'ailleurs de la normalité du candidat est paradoxalement une chance pour le nouvel élu : la déception, inévitable, n'en sera que moins intense. Celui-là venait de la droite et aura appris progressivement à parler socialisme sans vraiment le pratiquer ; celui-ci, participe pleinement de cette mue de la gauche française qui la vit épouser la logique du système et même parfois la favoriser au point de n'offrir plus que des inflexions sociales à une politique où dans l'expression social-libéralisme il faudra sans conteste ponctuer plus le second terme que le premier. Ce que l'on appelait autrefois la seconde gauche est désormais au pouvoir sans pour autant que la première se fût pour autant tue : il appartiendra à Hollande, au PS de savoir conjuguer cela : belles joutes oratoires et mesquineries ambitieuses en perspective.

Dans l'attente, celui qui n'avait même pas fait figurer la référence au PS sur son affiche électorale, s'offre le plaisir très storytelling de renouer avec le récit de la gauche - et l'anniversaire du 10 mai lui en offrait évidemment une belle occasion.

Petite visite sur le site de la BNF en compagnie de Mazarine, rose à la main ...
Oui, évidemment c'est ici symbole de ce récit qu'au Bourget il avait déclaré vouloir poursuivre.
C'est ici le symbole de cette synthèse que cet homme de dialogue entend promouvoir : tenir dans ses mains en les reliant sans jamais les confondre ces deux voix de la gauche qui n'ont jamais cessé de s'opposer et épauler, de ces deux voix qui font la gauche où réforme et révolution, rupture et continuité dessinent un paysage qui prolonge nos vieux fonds girondins et montagnards qui font la passion politique de la France. C'est aussi le symbole de la politique à mener demain où il faudra bien, sans pour autant reproduire la gauche plurielle de Jospin, entendre, même affaiblis, les échos confus, brouillons mais réels, du Front de Gauche et de l'écologie.

Mais après tout ce n'est qu'histoire qui recommence ; débat qui se sera toujours imposé. Parce qu'à sa façon l'histoire est un éternel recommencement.

Et, Nietzsche n'avait pas tort, ce poids-là de l'histoire est peut-être le poids le plus lourd.

 


1) voir sur ce point ce que nous écrivions à propos de l'esprit de la Ve République

2)

Le poids le plus lourd: Et si un jour ou une nuit, un démon venait se glisser dans ta suprême solitude et te disait: “Cette existence, telle que tu la mènes, et l’as menée jusqu’ici, il te faudra la recommencer et la recommencer sans cesse; sans rien de nouveau, tout au contraire! La moindre douleur, le moindre plaisir, la moindre pensée, le moindre soupir, tout de ta vie reviendra encore, tout ce qu’il y a en elle d’indiciblement grand et d’indiciblement petit, tout reviendra et reviendra dans le même ordre, suivant la même impitoyable succession … cette araignée reviendra aussi, ce clair de lune entre les arbres, et cet instant, et moi aussi ! L’éternel sablier de la vie sera retourné sans répit, et toi avec, poussière infime des poussières! “ … Ne te jetterais-tu pas par terre, grinçant des dents et maudissant ce démon? A moins que tu n’aies déjà vécu cet instant prodigieux où tu lui répondrais: “Tu es un dieu; je n’ai jamais ouï nulle parole aussi divine!” Si cette pensée prenait barre sur toi, elle te transformerait peut-être, et peut-être t’anéantirait; tu te demanderais à propos de tout: ”Veux-tu cela? le reveux-tu? une fois? toujours? à l’infini?” et cette question pèserait sur toi d’un poids décisif et terrible! Ou alors, ah comme il faudrait que tu t’aimes toi-même et que tu aimes la vie pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle confirmation!