Chronique du quinquennat

15 Mai

Le jour de la passation de pouvoir.

Second exercice après le 8 mai, où la République se met en scène et joue l'apaisement après les joutes parfois violentes de la campagne électorale.

La presse évidemment traquera chacun des gestes pour y repérer qui un style, qui un message, qui, non sans gourmandise.

J'y vois autre chose qui est simplement la représentation de la continuité de l'Etat. Il y a quelque chose de serein là dessous, a-t-on dit, mais qui n'est rien d'autre que le prolongement de l'ancestral Le Roi est mort, vive le Roi où se jouaient les deux corps du Roi.

le pouvoir se met en scène ou
la représentation de la représentation

On les a ici assemblés dans cette double image où chacun, successivement et respectivement, est l'hôte de l'autre. La scénographie, en miroir, jusqu'à l'entretien où l'on ne s'échange secrets d'Etat et glaive, est simplement une représentation du pouvoir. La monarchie s'était donné un rituel religieux - le sacre à Reims - qui consacrait la légitimité du monarque, une légitimité qu'il tenait non du peuple mais de Dieu. Le peuple avait été spectateur de cette onction, aussi imperturbablement qu'il l'est désormais de cette transmission. Au sortir de la cathédrale de Reims le Roi touchait les écrouelles comme pour mieux marquer sa dimension thaumaturge ... nous ne croyons plus aux miracles et les dieux se sont écartés de l'Etat ; pour autant le peuple continue de vouloir toucher le corps du nouveau monarque comme l'attestent les innombrables bains de foule auquel Hollande, visiblement prenait goût et plaisir.

Et chacun de traquer si le nouvel élu a ou non revêtu le costume, a ou non pris la mesure de la gravité, a ou non changé ... De dessiner en réalité les contours de ce second corps d'un monarque qui ne s'appartient plus. En réalité, c'est bien plutôt notre regard sur lui qui change. La focale a changé qui s'est inversée. Il n'est plus le sujet se présentant devant nous et offrant sa vision de l'avenir ; il est devenu l'objet, pur et abstrait, l'unique objet de nos sentiments et bientôt de nos ressentiments ; ce bloc incontournable autour de quoi tout va tourner : un moteur immobile.

Spectateurs aussi ces invités, corps constitués et autres qui patientent derrière le cordon rouge et qui, eux aussi toucheront le corps du monarque, poignée de main ou embrassade, c'est selon.... Spectateurs encore ces anciens premiers ministres, qui rappellent le temps qui passent et attestent, sans mot dire, de ce récit de la gauche que l'on suggère ainsi vouloir poursuivre.

Chose abstraite, autour de quoi tout tourne, mais qu'on ne voit jamais, le pouvoir dont le signe tangible était le sceptre, la couronne et, désormais, des codes nucléaires plus virtuels que réels et cette valise qui accompagne le président, jamais loin de lui et que porte un militaire l'accompagnant partout, révèle ici son irréfragable dimension guerrière. Le pouvoir est puissance plutôt qu'acte : il n'est pas de faire mais de pouvoir faire ce qu'illustre tellement la notion stratégique de dissuasion.

Comment représenter ce qui justement n'est pas tangible ?

C'est là le rôle de l'art. Ou du rituel.

Journée symbole, où tout commence mais rien n'a encore réellement commencé où chaque signe compte : celui de l'émotion d'abord puisqu'il faut bien donner consistance à ce qui n'en a pas, particulièrement visible chez Delanoë mais aussi chez ce grand ancien qu'est Mauroy. Symbole encore que cet homme seul qui, à ce moment précis et pour toute la journée est seul, seul à représenter le nouveau pouvoir, et cette solitude est incontestablement signe de sa prééminence. Symbole enfin, cette fois visible, du pouvoir de nommer que cette descente des escaliers à l'Hôtel de Ville où l'on appelle Ayrault à rejoindre le président et le maire de Paris, comme pour mieux incarner une nomination qui ne sera annoncée que quelques minutes plus tard.

Rituel républicain qui n'a rien d'évident pourtant. Comment ne pas oublier que ce protocole ne se mit en place que lentement, à partir de 74,

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de Gaulle en 69 n'ayant pas reparu et vite parti en Irlande voulant marquer qu'il ne pouvait avoir de successeur ; Pompidou mort en 74 ne pouvant laisser place qu'à un protocole à peine esquissé par un président par intérim, pour la seconde fois (Poher). Comment ne pas oublier encore comment de Gaulle en janvier 59, après une passation émouvante qui n'était pas qu'entre deux hommes mais entre deux régimes, comment après la très belle phrase de Coty qui avait tant fait pour favoriser le retour du Général au pouvoir le premier des français est désormais le premier en France, se vit assez cavalièrement planté seul place de l'Etoile par un Général redescendant les Champs, seul ?

On a bien sûr envie d'écrire qu'ici tout fait sens mais que rien n'a véritablement d'importance ... Pourtant un Giscard entrant à l'Elysée à pieds en 74 et en sortant en 81 à pied également voulait bien signifier sa volonté d'une démocratie moins conflictuelle et qu'on lui doit assurément le début de cet apaisement que l'épopée gaullienne n'autorisait pas vraiment - même si l'inédit de la première alternance fit un peu rater l'exercice, Giscard sortant sous les huées du public. Pourtant l'image qui se voulait moderne d'un Sarkozy arrivant avec sa famille aura joué, lui dont on a beaucoup écrit qu'il aura raté son début de mandat sur cette image trop people, trop bling bling !

Un tout petit point d'histoire

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Alors demeurent les discours d'intronisation qui donnent sinon le la en tout cas l'esquisse d'un projet. La comparaison entre celui de Mitterrand en 81 et celui de Hollande en 2012 est édifiante. Elle dit l'époque qui a tant changé et dément assez l'idée d'une continuité du récit.

Si les deux en appellent à l'Histoire, en commençant leurs discours, Mitterrand lui relève d'abord, dans une phrase restée célèbre, combien, avec lui,

désormais la majorité politique des français, démocratiquement exprimée, vient de s'identifier à sa majorité sociale.

Véritable rupture au moins en ceci que les institutions permettent aux classes populaires d'accéder au pouvoir autrement que de manière fugace, Mitterrand entend son accession au pouvoir comme la consécration d'une histoire qui commença avec Blum et se poursuivit à la Libération. Mitterrand se place sous l'autorité de Jaurès et entend son mandat comme la troisième étape, qu'il espère décisive, d'une histoire qui a commencé en 89. Mitterrand est homme d'histoire, dont il a le sens et le goût et il y a bien chez lui cette vieille idée comtienne, qu'il partage d'ailleurs avec Maurras, que la nation est faite de plus de morts que de vivants. 1 Le discours s'il n'est pas dogmatique est en tout cas idéologique et se veut socialiste. Réconcilier socialisme et liberté, à une époque, ne l'oublions pas où l'URSS existe encore et où la détente connaît des ratés inquiétants, c'est plus que simplement affirmer que la gauche est capable de gérer un grand pays, c'est affirmer qu'elle le peut tout en demeurant dans le cadre républicain sans jamais rien céder de la démocratie. En juin des ministres communistes feront un peu peur aux américains et l'on s'y fera tellement qu'en 97 avec Jospin le fait ne fera même plus problème.

Avec Hollande, c'est tout autre chose : la gauche aura déjà été trois fois cinq ans au pouvoir et son illégitimité politique n'est plus soulevée. La crise rôde, avec ses menaces de tous ordres, et l'Europe est présente, omniprésente même - bien plus qu'en 81, Maastricht et l'euro sont passés par là - et la certitude où tous se rejoignent non seulement que les marges de manoeuvre sont réduites mais que surtout, transferts de compétences à l'Europe obligent, le pouvoir d'un Président est assurément plus réduit qu'il y a trente ans.

Tout le monde aura retenu le

Je ne déciderai pas de tout pour tout et partout

et le rappel à l'article 20 de la Constitution qui stipule que le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, c'est sans doute répéter ce qui fut une promesse de campagne, c'est assurément une référence à l'hyper-présidence précédente, mais c'est aussi avouer, finalement, que le nouvel élu n'a peut-être de marges de manoeuvre que là : sur la façon d'incarner et d'exercer le pouvoir.

Autre façon de dire que le pouvoir, décidément, est d'abord affaire de symbole.

Autre lecture, plus conforme à la lettre de la constitution, ou promesse qui à la longue ne pourra être tenue ?

On verra.


1) relire cet entretien accordé à l'extrême fin de son mandat où Mitterrand explique son rapport à l'histoire