Chronique du quinquennat

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Quatre Spécificités rationalisme pensée anti Lumières antisémitisme nationalisme
bibliographie        

Les quatre spécificités de la pensée maurrassienne
(suite)

La troisième spécificité de la pensée Maurras est évidemment l'antisémitisme. (1) Il est évidemment impossible ici de faire autre chose que de traiter la cohérence logique de l'antisémitisme dans la pensée d'extrême-droite dès son origine.

un antisémitisme

Il n'est évidemment pas inutile de rappeler que la fondation de l'Action Française s'inscrit totalement dans le contexte de l'affaire Dreyfus.

Henri Vaugeois (3) , professeur de philosophie de centre-gauche, républicain, appartenait à une cercle d'intellectuels de gauche, l'Union pour l'action morale, qui prit parti pour la défense du capitaine Dreyfus. C'est par réaction nationaliste, qu'Henri Vaugeois et Maurice Pujo quittèrent ce cercle pour fonder, le 8 avril 1898, le premier Comité d'Action française qui deviendra l'Action française. Maurice Pujo, quant à lui, lui aussi philosophe avait à ce point séduit par la publication de son premier livre Le règne de la grâce qu'il se vit salué par Jaurès qui crut voir en lui un républicain bientôt rallié au socialisme ...

Il n'est pas tout à fait anodin de repérer cette double origine à la fois républicaine et philosophique d'un côté et la rupture que représenta pour ces deux-là l'anti-dreyfusisme. On se souvient combien un Blum avait été étonné que Barrès ne ralliât pas le camp des dreyfusards ; il en va de même ici tant ces deux-là n'étaient pas prédestinés à virer du côté du nationalisme de droite ni par leur origine ni par leur formation d'ailleurs.

Mais l'antisémitisme n'est pas à prendre comme un legs collatéral de l'anti-dreyfusisme de la jeune Action Française. Tant avec Vaugeois qu'avec Pujo, il se révèle au contraire au centre même de ce nationalisme intégral qu'est en train de théoriser Maurras.

Dans un des tout premiers articles (1 Août 1899) Vaugeois fixe ainsi comme objectif à l'Action Française de

d’entretenir l’instinct de répulsion si sain, si gai, du Peuple français contre le Juif. L’antisémitisme aura ici des amis réfléchis, qui s’efforceront d’en approfondir et d’en éclaircir la légitimité historique et naturelle

L'antisémitisme apparaît donc bien comme un axe politique central mais aussi comme un moyen de propager les idées de ce mouvement. On y retrouve l'instinct - et ce n'est pas un hasard, on l'a vu, tant la pensée anti-Lumières est d'abord un anti-rationalisme. Mais ce sera justement tout l'apport de Maurras en l'adjoignant à l'anti-protestantisme dont il s'était fait une spécialité de le constituer comme un des socles théoriques du nationalisme.

Ce qu'il y a de remarquable dans l'antisémitisme de Maurras c'est que s'il n'est pas premier dans sa démarche - il s'en sera d'emblée plutôt pris à la Réforme - il cherchera très tôt, et dès l'Affaire à ne pas se contenter de l'ériger en stratégie de propagande mais au contraire à l'intégrer au creux d'une théorie cohérente. Très vite il aura vu qu'on ne pouvait se contenter d'une thématique négative et qu'il fallait pour devenir une force politique puissante donner aussi à rêver à l'instar du socialisme.

Drumont ne comprit jamais qu’un programme négatif, comme le sien, excellent pour détruire le mal, parfaitement capable de grouper des énergies et des passions nécessaires, ne suffisait cependant ni à rassurer les cadres civils et militaires de la nation – indispensables eux aussi (4)

C'est précisément en l'intégrant au monarchisme que Maurras donnera à l'antisémitisme les allures d'une pensée cohérente dont il serait l'un des quatre axes. Ce sera précisément sa force, qui explique le rôle si important et 'influence si longue qu'il exerça sur la droite nationaliste jusqu'en 44 : Maurras réussit à la fois à rassembler des courants épars et parfois opposés et à leur imposer un corpus théorique tout entier rassemblé autour de la monarchie.

Contre l’hérédité de sang juif, il faut l’hérédité de naissance française, et ramassée, concentrée, signifiée dans une race, la plus vieille, la plus glorieuse et la plus active possible. (...) Décentralisée contre le métèque, antiparlementaire contre le maçon, traditionnelle contre les influences protestantes, héréditaire enfin contre la race juive, la monarchie se définit, on le voit bien, par les besoins du pays. Nous nous sommes formés en carré parce qu’on attaquait la patrie de quatre côtés.5

Le quadrilatère dit tout ; les quatre états confédérés aussi. Qui justifient les quatre axes de la monarchie telle que l'entrevoit Maurras : traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée.

- Traditionnelle la monarchie l'est parce qu'elle s'enracine dans le sol, dans l'histoire et illustre au mieux ce primat de la nature, de la race sur l'histoire. C'est pour cela que la tradition s'oppose au protestantisme qui sera toujours vu comme le primat de la volonté individuelle contre l'ordre naturel.

- Héréditaire parce qu'elle prolonge ainsi, comme l'eût fait un testament, la longue transmission qui maintient l'ordre social et la permanence en confiant au descendant le soin de poursuivre et maintenir. Rien n'est à ce titre plus étranger à l'esprit de Maurras que l'idée d'une quelconque positivité de la mobilité sociale.

- Antiparlementaire parce que rien ne semble plus couper du pays réel que les arguties rationalistes de ces bavards impénitents que sont les parlementaires. La démocratie parlementaire c'est pour lui le mythe délétère de l'égalité, de la rupture du lien social mais c'est aussi l'argent et le matérialisme qui coupe l'homme de ses racines.

- Décentralisée pour en revenir à l'organisation de la monarchie d'avant 89 et en finir avec le modèle napoléonien certes, mais surtout pour en finir avec la bureaucratie et l'Etat fort, conséquence pour lui inéluctable de la centralisation républicaine. Celle-ci seule capable de garantir la liberté, en bas, et l'autorité, en haut, renvoie en réalité à la liberté de se réunir et de collaborer, et rend possible le corporatisme seul moyen aux yeux de Maurras pour lutter contre la lutte des classes.

De ce point de vue, le juif représente la quintessence de ce qui est haïssable : homme sans patrie, sans terre, sans racine, il est telle la finance, de l'ordre de cet internationalisme où Maurras entrevoit tous les dangers, toutes les dilutions, toutes les menaces. Le métèque, l'étranger qui vit sur notre sol, est peut-être visible, repérable et une bonne organisation décentralisée pourra toujours en limiter l'influence, mais le juif, lui, plus encore que le métèque, est intégré et d'autant plus dangereux qu'il ne paraît pas pour ce qu'il est. Homme des ville, de l'ombre et de la puanteur, il est l'essence du parasite.

Pour le peuple, le Juif est dangereux, quelque nettoyé et adapté qu’il soit. Je dirais volontiers, en renchérissant sur ce verdict, que le Juif n’est jamais plus dangereux que lorsqu’il est nettoyé, adapté, civilisé. » Le propre de « cette race vieillie », c’est « la crainte et l’horreur de la nature » ; « le plein air, le plein jour, la pleine terre, l’arbre et la fleur l’importunent aujourd'hui’hui et l’inquiètent. Rappelez-vous le génie bizarre, morbide, d’un Henri Heine, par exemple, génie dont toute l’essence et tout l’enchantement tiennent dans ce mot qu’il faut répéter : Artifice 6

Mais à cette répulsion instinctive Maurras cherche une posture politique et c'est avec l'antisémitisme d'Etat qu'il la trouvera.

On n’en verra que mieux combien l’antisémitisme est affaire d’État. La réorganisation de l’État français peut seule régler cette haute et difficile question. Elle a été posée en 1886 par un maître de génie, par un grand Français, par Drumont. (...) Le Français, qui n’est pas une bête, commence à percevoir qu’il ne saurait y avoir de solution pratique de la question juive en régime républicain.

D’autant que l’état du Juif en France est plus particulier et qu’il ressemble moins à la condition des autres Juifs de l’Europe et du monde. Le Juif d’Algérie, le Juif d’Alsace, le Juif de Roumanie sont des microbes sociaux. Le Juif de France est microbe d’État : ce n’est pas le crasseux individu à houppelande prêtant à la petite semaine, portant ses exactions sur les pauvres gens du village ; le Juif d’ici opère en grand et en secret. On le soupçonne, on le découvre, mais on le voit peu au travail. Du centre même du pays, il a commencé par tenir l’État grâce à la finance ; puis, à la faveur de ces liens, il a envahi les fonctions de l’État. Juifs de Conseil d’État, Juifs d’Université, Juifs d’armée, Juifs de justice, Juifs de Chambre, de Sénat et de ministère, les Juifs détiennent, grâce à notre fameuse centralisation administrative, tous les noeuds vitaux de notre existence d’État. Ou l’on n’en finira jamais avec la juiverie ou l’on devra commencer par l’attaquer dans les postes d’État. 7

L'antisémitisme est donc bien au coeur du projet maurrassien : le nationalisme a besoin pour définir son ancrage dans la tradition et la terre d'un ailleurs, d'un étranger, d'une frontière. Il se définit d'abord par ce qu'il expulse. Nous y reviendrons sans doute plus bas mais il est important de le noter ici : si la pensée des Lumières s'impose par ce qu'elle englobe, ici on se pense par ce que 'on exclut. Le nationalisme est une pensée de combat, d'exclusion ; sûrement pas de rassemblement.

Simplement la grande force de Maurras aura été de donner à cet ensemble une allure de cohérence : fini l'antisémitisme primaire, instinctif et répulsif 8 ; on entre avec Maurras dans une affaire politique grave : l'antisémitisme devient une affaire d'Etat. De l'exclusion des juifs de la communauté nationale à leur dénaturalisation, on a ici un des termes de ce que sera la politique de Vichy et l'on comprend bien alors pourquoi il n'eut pas même été nécessaire que le Reich allemand demandât à Pétain une politique juive : elle aura toujours déjà été en creux l'objet même de la Révolution Nationale.

Un nationalisme intégral

quatre États Confédérés (juif, protestant, maçon, métèque)

 


1) sur l'histoire de l'antisémitisme le livre de référence incontournable demeure encore à ce jour celui de Léon Poliakov, désormais accessible en format poche

2) Laurent Joly, les débuts de l'Action Française

3) de lui Maurras écrira après sa mort :

Chaque pas de l’Action française devra lui être rapporté ; il n’en a pas toujours eu l’honneur, il en eut toujours le mérite car l’impulsion était toujours venue de lui. De lui procèdent toutes les transformations de notre oeuvre ; soit qu’en 1889 il acceptât mes Monods peints par eux-mêmes (ça, c’est un acte, disait-il), soit qu’il rompît avec des amis vénérables tels que M. de Mahy, par fidélité à la logique royaliste de son patriotisme, soit qu’il entreprît d’un bout à l’autre de la France ces infatigables campagnes de petites réunions ou de vastes conférences qui soutinrent et qui propagèrent l’Action française, soit enfin que la petite Revue grise se transformât en grande Revue, puis en journal quotidien, grâce à la merveilleuse adhésion de Léon Daudet qu’Henri Vaugeois et nul autre sut attirer, saisir, assurer à jamais. *

4) id., Drumont et le Juif-Roi, L’Action française, 16 juin 1944

5)Maurras, Le quadrilatère, L'action Française, 25 Aout 1910

6) H Vaugeois L’Action française, revue bimensuelle, 15 janvier 1900.

7) Maurras, L'Action Française, 23 fev 1911

8) L'adhérent de l'A F souscrit nécessairement à la déclaration suivante qui illustre parfaitement combien l'antisémitisme est au coeur du projet politique monarchiste et nationaliste.

« Français de naissance et de coeur, de raison et de volonté, je remplirai tous les devoirs d’un patriote conscient. Je m’engage à combattre tout régime républicain. La République en France est le règne de l’étranger. (...) Notre unique avenir est donc la monarchie telle que la personnifie Monseigneur le duc d’Orléans, héritier des quarante Rois qui, en mille ans, firent la France. Seule, la Monarchie assure le salut public et, répondant de l’ordre, prévient les maux publics que l’antisémitisme et le nationalisme dénoncent. Organe nécessaire de tout intérêt général, la Monarchie relève l’autorité, les libertés, la prospérité et l’honneur. Je m’associe à l’oeuvre de la restauration monarchique. Je m’engage à la servir par tous les moyens. »