Chronique du quinquennat

Une mutation Marine ?

 

Il ne faut pas s’y tromper : le virage idéologique du FN a été pris très tôt parce que très tôt, c'est-à-dire dès la fin des années 90 on a compris au FN à la fois que l’anticommunisme n’était plus un thème porteur et que la fin de la guerre froide allait donner un coup d’accélérateur aux échanges internationaux qui ne pourraient que prolonger la crise en ouvrant la voie au dumping social, aux délocalisations etc
Ce qui se voit avec les affiches, c’est la conversion idéologique du FN à l’anticapitalisme, à l’antimondialisation et l’approche d’un discours ouvriériste qui ne trompe peut-être personne mais dont la petite bagarre récente aux présidentielles pour savoir qui de Marine ou de Mélenchon attirerait plus les voix ouvrières est parfaitemet révélatrice.

On l'a vu le premier virage aura été pris dès les années 90 et, à n'en pas douter, le discours anti-mondialisation qui se fait à l'occasion discours anti-capitaliste aura surfé sur la vague du non au référendum de 2005.

Le second virage, apparent du moins, semble être pris depuis la prise de pouvoir de Marine Le Pen en 2011. La première des choses que fit Marine Le Pen qui ne relève pas du théorique mais du symbolique, c’est de se débarrasser des signes fascistes les plus ostentatoires. Ce qu’elle fit en excluant celui-ci ou celui-là, en interdisant les saluts nazis lors de réunions ou le port d’insignes trop visibles. Elle n’en a pas moins été assister à un bal d’anciens nazis en Autriche ; pas moins été obligée de soutenir la référence à Brasillach faite par son père…

Mais à bien y regarder ....

Immigration : continuité

Même si elle y met parfois les formes, par exemple à Lampedusa où elle déclare :

 " Je leur ai dit que si je n’écoutais que mon coeur, je les prendrais dans ma barque, mais ma barque va couler. Je préfère leur dire la vérité. Nous n’avons plus les moyens financiers d’accueillir ces personnes, en matière de santé comme de logement".La "fermeté est plus humaine que le laxisme", a-t-elle encore dit. (Francs 24)

d’un autre côté elle va jusqu’à affirmer que Sarkozy est trop laxiste, adjectif traditionnellement plutôt réservé à la gauche et annonce une islamisation de la France

Nicolas Sarkozy est en train en réalité de demander aux Français de s’assimiler aux populations immigrées. 1

On retrouve ici un argument de la droite classique : on ne peut pas accueillir des immigrés si l’on n’a pas les moyens de les loger, etc. Le différentialisme est ici masqué par des propos qui semblent rationnels.Au terme brutal d’expulsion, ellesubstitue l’expression plus classique de gestion de l’immigration qui est alors reliée à la notion de souveraineté nationale

Restaurer la souveraineté nationale, cela signifie d’abord sortir du carcan étouffant et destructeur de Bruxelles dans lequel on nous a enfermé malgré nous et qui nous prive de toute marge de manœuvre dans des champs entiers de l’action politique : la monnaie, la législation, la maîtrise de nos frontières, la gestion de l’immigration…

Anti islamisme : continuité et amplification.

En invoquant l’image d’occupation à propos des prières de rue, Marine Le Pen agit sur quatre registres : attirer l’attention des médias en utilisant des propos provocateurs, envoi d’un signal à destination des adhérents du FN et d’un électorat plus ou moins islamophobe, se poser en championne de la laïcité, et en filigrane désapprouver l’occupation allemande de la deuxième guerre mondiale. On constate sur cet exemple une réelle habilité dans sa stratégie de communication.

« Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c’est une occupation du territoire »... « Certes y’a pas de blindés, y’a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants

Antilibéralisme affiché et prétendue défense des travailleurs.


Surfant sur l’opinion très défavorable des français à propos de la mondialisation, et ce dès avant la crise de 2008, le FN va exploiter cette réalité idéologique en construisant une nouvelle résonance. Il a compris qu’un discours trop favorable au libéralisme n’était pas électoralement productif.

Alors que le FN réclamait il y a encore peu de temps la suppression de l’impôt sur le revenu, se posant ainsi comme un des partis politiques les plus ultralibéraux de France, cette intervention permet à Marine Le Pen de se poser comme candidate anti patronale, défendant les petits contre les gros. Mais cette stratégie vient de très loin : tous les historiens qui ont étudié l’extrême droite en France ou en Europe connaissent par coeur cette stratégie classique de conquête des " classes laborieuses".

En effet, en réponse, Marine Le Pen répliquait, par exemple, le 13/02/2011

"C’est absolument normal ! La représentante du grand capital mondialisé a vu juste : le projet du Front National s’inscrit en rupture totale avec les dogmes ultralibéraux qui guident toute la pensée du Medef, et de ses relais politiques UMP et PS. Nous la rassurons : « rien ne plaît » au Front national dans le projet économique du Medef, qui consiste à mettre nos travailleurs en concurrence déloyale avec le monde entier, à nous enfermer dans le carcan européen, et à priver notre pays d’une arme utilisée par 95% des pays du monde : la monnaie….Cette attaque démontre que le Front national incarne une alternative crédible, cohérente, qui inquiète tant l’oligarchie au pouvoir qu’elle se sent obligée de grogner et de montrer les crocs."

Comme dit ci-dessus, ce démarquage par rapport au Medef avait déjà été affirmé en décembre 2010. Cela permet ainsi au FN de se positionner avec encore plus de force comme parti "anti établissement".

Un article de La tribune du 25/03/2011 intitulé : Marine Le Pen veut défendre les petits contre les gros résume bien l’entreprise de séduction envers les salariés.

Faut-il faire semblant de ne pas voir qu’apparaissent dans notre pays, comme du temps de Zola, ceux que l’on appelle les "travailleurs pauvres", c’est-à-dire les travailleurs honnêtes et courageux que des salaires de misère acculent par exemple à coucher dans leur voiture ? » le 11 mars dernier, à Bompas, dans les Pyrénées-Orientales.

Et de décliner dans la foulée une série de remèdes miracles pour panser les plaies d’une population meurtrie par la crise : sortie de l’euro (« pour rendre du pouvoir d’achat aux Français ») ; défense des services publics ; préservation des acquis sociaux (avec « la priorité pour les Français ») ; baisse immédiate de la TIPP compensée par « une surtaxation des profits des grandes compagnies pétrolières et gazières ».... Un mélange de bric et de broc,

Le discours classique, c’est celui de la protestation anti-élitaire, anti-européenne et anti-immigrés. Le populisme lepéniste, père ou fille, reste un nationalisme qui cherche des boucs-émissaires selon un procédé éculé. Rien de nouveau ici ni dans le discours ni sans doute en termes d’impact dans l’opinion ou l’électorat – l’essentiel est déjà fait. L’évolution qu’elle poursuit, c’est celle qu’elle a elle-même entreprise il y a quelques années en faisant bouger le discours économique et social de son parti sinon vers la gaucheen tout cas vers un anti-capitalisme national

Mais qu'on ne s'y trompe pas, la sollicitude à l'égard de la classe ouvrière comme d'ailleurs de la paysannerie en perdition demeure à l'état de discours. En effet, pour que le FN soit quelque peu crédible sur ses prétentions de défense des travailleurs, il eût fallu qu’il témoignât d’un minimum de solidarité avec les mouvements sociaux impulsés par les différentes associations et les syndicats représentatifs. À défaut même d’une participation de sa part aux manifestations multiples et variées, le FN n’a même pas voulu faire preuve de neutralité bienveillante à l’égard de ces mouvements, bien au contraire.

 


1) lire

site étonnant bien dans la veine frontiste intitulé Chronique de la mort d'une Nation

Le fond de page plutôt réussi distribue à gauche ce qui fait l'histoire et la grandeur de la France ( de Voltaire - eh oui! à une cathédrale, un chateau-fort, Marianne) et à droite sur fond rouge feu des scènes de violence et de destruction) une distribution qui n'est pas sans rappeler les affiches de campagne, en tout cas du début de campagne de Marine