Chronique du quinquennat

Les quatre valeurs du FN

Quand on ne regarde pas de trop près les valeurs essentielles autour de quoi se résume le programme du FN force est de constater qu'elles s'inscrivent, au moins pour les trois premières, dans la grande tradition républicaine. La liberté en est le grand acquis ; la propriété en est un des premiers droits affirmés ; la sécurité en est la condition et l'une des grandes missions régaliennes du politique. Quant à l'identité, n'a-t-on pas vu le quinquennat sarkozyste débuter avec la nomination d'un ministre de l'immigration et de l'identité nationale ?

C'est donc sur la manière dont ces valeurs sont entendues que l'on peut appréhender la dimension idéologique et éventuellement contre-révolutionnaire du programme FN.

Mais c'est en même temps repérer la constante de la démarche Le Pen qui joue à la fois sur le déplacement lexical (avancer son programme avec les concepts de l'ennemi) et sur la métonymie ( le tout pour la partie, le plus souvent ici) . Toute la logique FN s'opère par ce processus qui permet de conférer le véritable sens des choses ; le vrai fondement des valeurs et donc de corriger les dévoiements que l'histoire eût laissé s'opérer. Miracle de la rhétorique qui permet de se battre avec les mots de l'adversaires mais autorise en même temps via l'opposition entre l'apparence et le réel, entre le mensonge et la vérité. C'est exactement le même procédé, encore une fois, que Sarkozy aura utilisé lors des derniers meetings de Toulon et Toulouse.

Liberté

A droite souvent, à l'extrême-droite toujours on écrira le mot au pluriels. A l'ombre abstraite du concept, il n'y a que des illusions universalistes et bien pensantes ; on préférera ici parler de concret : des libertés. Or ces dernières, évidemment sont menacées par l'emprise soit des idéologies totalitaires soit de l'empiète ment inéluctable de l'Etat - a fortiori quand celui-ci est tenu comme en ces années-là par les socialistes. On défendra donc la liberté scolaire, la réduction des impôts, tout ce qui peut favoriser l'entreprise ... On se situe assez naturellement ici dans l'idéologie spontanée du capitalisme : ce libéralisme qui veut qu'il ne puisse y avoir de liberté politique si n'existent pas au préalable des libertés économiques. L'obédience est libérale est correspond assez bien à la grande offensive idéologique des années Thatcher et Reagan qui prend évidemment un sens tout particulier en France puisque ce sont en même temps les années où la gauche est au pouvoir. Quand les gaullistes quittent le pouvoir en 74, ils sont encore dirigistes et fervents adeptes du plan ; quand il reviendront, fugacement en 86 et à partir de 93 ils seront, avec le reste de la droite des libéraux. C'est dans ce contexte que s'inscrit le libéralisme du FN, finalement d'assez bon aloi, dont on ne remarquera pas alors la singularité puisque, traditionnellement, les courants fascistes se situent plutôt du côté d'un État fort - voire omniprésent.

S'il devait y avoir une nuance propre au FN elle tiendrait dans cet appel à un capitalisme populaire dont la vertu attendue serait de ne pas exclusivement profiter aux élites bourgeoises déjà en place mais à tout n chacun

Propriété

Où la propriété joue un rôle essentiel : garante à la fois de la responsabilité et de la liberté de chacun, la propriété est perçue comme le grand modérateur des excès du système capitaliste. Rejoignant ici le vieux rêve des physiocrates à la Turgot d'un citoyen propriétaire, le FN plus généralement considèrera dans la propriété ce qui enracine l'homme : dans un monde de moins en moins agricole, la propriété urbaine remplace avantageusement cette terre, si essentielle, cette terre qui ne ment pas et qui faisait du paysan l'homme vrai, à l'identité marquée, le conquérant comme le lutteur, celui qui jamais ne sombrait dans les illusions délétères. A cet égard le propriétaire est l'antithèse de l'immigré, de cet étranger qui n'a pas de terre, de ce métèque que fustigeait Maurras.Il n'est pas de propriété sans transmission de celle-ci : l'héritage fera donc partie de ces valeurs essentielles qui, précisément ne concernent pas que les biens matériels, mais s'appuie nonobstant sur eux. La suppression des droits de succession, leur réduction a minima en tout cas, fait partie de ces mots d'ordre fondateurs contre l'emprise socialiste qui verra toujours d'un mauvais oeil se constituer et proliférer des patrimoines en quoi elle verra toujours des verrues anti-égalitaires. Prôner l'héritage, ce sera donc à la fois critiquer la gauche, et asseoir la valeur fondatrice de ce nationalisme-là. 2

Dire que le FN a une perspective sociale serait beaucoup dire et il n'a pas grand chose à proposer pour permettre à ceux qui n'ont rien de devenir propriétaire et donc d'échapper à l'aliénation de ceux qui sont sans terre. Tout au plus reproduit-il le discours classique, déjà présent chez Maurras, qui permet de distinguer entre petits propriétaires et entrepreneurs et gros patronat, ou entre grands groupes multinationaux, nécessairement parasites et l'industriel nationale, soucieuse de l'intérêt national. Où l'on retrouve la distinction entre le capitalisme international, apatride, de spéculation - domination du protestant, du juif pour Maurras - et le capitalisme national d'épargne, de rigueur et de devoir.

Sécurité

Impératif régalien par excellence la sécurité, ne l'oublions pas, est chez Rousseau la contrepartie du contrat social : la renonciation à son droit de vengeance et de poursuite en échange de la reconnaissance et de la défense des droits ainsi créés. Il m'a toujours semblé que Rousseau avait vu - et c'est une des raisons pour lesquelles il n'était pas partisan de la démocratie représentative - qu'entre ordre et liberté il ne pouvait y avoir que contradiction, en tout cas contrariété, tout pouvoir tendant finalement à se poser comme volonté particulière face à la volonté générale.Le thème de la sécurité n'est donc pas spécifiquement de droite ou de gauche : il est inscrit dans le fait politique comme acte fondateur et s'il devait distinguer la gauche de la droite, il m'apparaît que ce serait plus dans la nuance qu'elle devrait s'inscrire - la gauche tendant à privilégier la liberté plutôt que l'ordre, et la droite l'inverse, surtout en période de crise- ou que, ais la différence est alors plus radicale, que la gauche tend à voir dans la liberté une condition de l'ordre quand la droite, inversement, verrait plutôt l'ordre comme une condition de la liberté.

Quoiqu'il en soit, et on le sait, le thème de l'insécurité fonctionne au FN comme un produit d'appel : c'est sa marque de fabrique, par quoi il attire les électeurs en jouant à la fois sur les craintes et sur les incertitudes. Mais au delà de la considération électorale, on peut considérer que le thème de l'insécurité fonctionne comme un marqueur de l'extrémisme. C'est qu'en réalité, il va servir à distinguer radicalement entre le libéralisme acceptable d'un point de vue économique - au moins dans ces années-là - mais systématiquement assimilé à la décadence, au délitement, à la faiblesse quand il s'agira de l'ordre politique. Ici, le libéralisme est assimilé à laxisme. Autant dire que la société prônée par le FN c'est la liberté économique dans un État autoritaire.

Identité nationale

S'il est un thème qui fait le fond de la doctrine frontiste c'est bien celui-ci. S'il est un objet qui peut donner lieu à une révolution nationale, c'est bien celui-ci. C'est qu'il est question de Nation : de ce qui est le bien commun mais diffère tant dans sa définition selon que l'on se situe à gauche, à droite ou à l'extrême-droite.

On y retrouve à la fois les thèmes barrésiens et maurrassiens d'un individu fait par le sol et l'héritage reçu autant de la nature que de la famille. Thème classique de ce côté-ci de la droite, où l'individu est fait par le système auquel il appartient et où la Nation est la valeur suprême qui couvre la famille et le sol, à quoi Le Pen rajoute les chromosomes.

D'où l'importance de l'héritage ; d'où l'urgence aussi de ne pas laisser cet héritage se dilapider : l'identité n'est jamais perçue comme une valeur progressiste mais bien comme une résistance à la menace que, de dehors, fait courir l'étranger ou l'ennemi.

L'afflux des familles d'immigres - traditionnellement prolifiques au titre du regroupement familial annonce la submersion démographique de la France et la substitution d'une population originaire du Tiers Monde à la population française, condamnée à devenir minoritaire dans son propre pays. Dans quelques années, les 6 millions d'immigrés, qui sont actuellement chez nous, risquent d'être deux ou trois fois plus nombreux. Il ne faut pas s'y tromper : c'est I'existence même du peuple français qui est en cause 3

L'extrême-droite réinvente la guerre, l'invasion barbare ou Attila : simplement, à l'invasion militaire ont succédé les conflits économiques et les flux migratoires qu'on ne sait pas maîtriser. La Nation est sur la défensive : toujours. Plus tard viendra le thème de la mondialisation et la crainte de la perte de la civilisation par simple homogénéisation des comportements ; plus tard viendra la critique de la mondialisation ou de la finance internationale qui suppose délocalisation ; pour le moment ce sera seulement l'entrée massive du métèque qu'il importe de juguler.

D'où d'un côté pour préserver la race, une vigoureuse politique nataliste et l'abrogation de la loi Veil souvent présentée comme l'exemple parfait du génocide anti-français ; d'où, de l'autre une politique de reconduite systématique à la frontière des immigrés ; d'où enfin la politique de la préférence nationale.


1) La métonymie (substantif féminin) est une figure de style appartenant à la classe des tropes qui consiste à remplacer, dans le cours d’une phrase, un substantif par un autre, ou par un élément substantivé, qui entretient avec lui un rapport de contiguïté et peut être considéré comme équivalent sur l’axe paradigmatique du discours. Ainsi, la métonymie est une figure opérant un changement de désignation. Souvent, cette relation de substitution est motivée par le fait que les deux mots entretiennent une relation qui peut être : la cause pour l’effet, le contenant pour le contenu, l’artiste pour l’œuvre, la ville pour ses habitants, la localisation pour l’institution qui y est installée…

2)

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ne pas avoir à s'excuser d'être riche, d'avoir réussi, ne pas voir son patrimoine empiété systématiquement par l'impôt, la grande vertu identificatrice de l'héritage ... faut-il rappeler que ce furent certains des ultimes mots d'ordre des discours sarkozystes ? que le fruit du travail et sa transmission furent présentés comme les conditions même de la liberté ?

En réalité il y a bien ici thème commun. (relire)

3) Le Pen La vraie opposition National Hebdo Avril 1984

sur la droitisation de l'électorat voir R Simone