Chronique du quinquennat

Le FN et la Révolution

On le voit, même si mise au goût du jour, la théorie du FN comporte plus que des similitudes avec la doxa maurrassienne et le nationalisme intégral. Mais si pour un Maurras, à la fin des années 1890, la Révolution qui n'avait alors que cent ans, et la République qui n'était sérieusement installée que depuis 20 ans, pouvaient encore être présentées comme des accidents de l'histoire, voire des déviations regrettables , en revanche en cette fin du XXe siècle, il en va bien différemment. Hormis l'intermède vichyste, la République a désormais bientôt un siècle d'assise solide et elle qui était bien isolée dans l'Europe de 1875 sera devenue après la 1e guerre mondiale et surtout la seconde le modèle quasi universel de gouvernement. Car, après tout, même les royaumes subsistant en Europe se seront survécu sur le mode parlementaire et constitutionnel qui en fait des exemplaires folkloriques peut-être mais réels de démocratie.

Il devient difficile et presque ridicule d'en appeler au retour de la monarchie. Le temps est passé par là et Maurras avec. Rappelons que Bertrand Renouvin, co-fondateur de la Nouvelle Action Française, fut le dernier candidat explicitement royaliste à la présidentielle en 1974 et recueillit ... 0,17% des voix ! C'est tout dire !

On pourrait en dire autant du rôle symbolique, emblématique et, en réalité fondateur de la Révolution de 89. La République s'est construite autour de cette grande épopée fondatrice - quitte à lui donner des sens différents selon les époques - mais lui a surtout conféré un tel rôle d'identification fondatrice qu'il eût été contre-productif, désuet et ridicule de mener une critique frontale de la Révolution. Il fallait bien que le FN procédât à une réinterprétation de la révolution afin de l'intégrer dans son propre discours. Et ceci pour au moins deux raisons - d'ailleurs liées :

- c'était déjà le propre du maurrassisme, ce le fut encore plus du fascisme que de jouer sur la corde révolutionnaire. On l'a vu notamment à propos de la mystique du chef qui prédispose plutôt à des temps d'exception

- l'histoire même du maurrassisme qui inspira la Révolution Nationale de Vichy 1 et qui résume assez bien ce qui fit le fond du pétainisme qui ne se contenta jamais de n'être qu'une réponse à la défaite de 40 mais se voulut bien au contraire, au delà de la réponse politique, une réponse morale, sociale mais surtout sociétale qui se pensa comme régénérescence d'une Nation égarée dans la facilité.

En réalité, la Révolution est en France une donnée incontournable et l'est tellement que l'extrême-droite n'aura eu d'autre solution soit que de vouloir la nier, quitte à en justifier la logique, en appelant à une véritable contre-Révolution ; soit en tâchant de la récupérer en l'intégrant à sa doxa, quitte à faire le tri des valeurs admissibles et à les réinterpréter.

C'est le choix fait par le FN

Intégrer la Révolution dans le bloc national en la nuançant ...

Condamner les privilèges d'il y a deux siècles, pourquoi pas ? Mais combattons aussi les féodalités bureaucratiques et syndicales du XXe siècle, sans oublier l'arbitraire fiscal. Saluer l'avènement de la souveraineté du peuple: fort bien, mais laissons la s'exprimer au lieu de la soumettre ... aux préjuges de la caste technocratique et des media... le FN appelle de ses voeux une vraie révolution française qui rende la parole au peuple 2

Le FN assume ce qu'il y a de national dans le passé de la Nation et à ce titre la Révolution mais ceci s'opère toujours sur le mode de la remise en perspective d'un événement qui, après tout, est peu - deux cents ans - en considération des deux mille ans d'histoire chrétienne, ou des quarante rois qui ont fait la France. Toute l'argumentation se joue sur le mode du oui mais du on assume mais on remet à sa juste place. La rupture avec le nationalisme contre-révolutionnaire d'un Maurras est ici totale puisqu'elle assume cette part du passé, sans pour autant lui reconnaître sa dimension fondatrice, non sans se réserver le bénéfice d'inventaire, certes, mais l'assume au contraire du maurrassisme qui aura toujours dénié toute légitimité à 89 et ses suites. C'est assez dire que l'on ne gardera de la Révolution que ce qui est purement national et conforme au double héritage de la culture occidentale et de la religion catholique. C'est assez dire aussi que la Révolution n'entrera dans la doxa que préalablement expurgée de ce qui ne serait pas national, des scories de la pensée des Lumières. C'est assez souligner enfin que si le monarque n'est plus à l'ordre du jour, c'est alors précisément le héros révolutionnaire, la passion française pour le politique qui sera magnifié et qui remplacera le guide royal désormais déficient.

Paradoxalement c'est à l'endroit même où le FN s'écarte de Maurras qu'il en reproduit la geste : Maurras avait tracé une ligne ferme de partage entre ce qui était national et ce qui participait de l'Anti-France ; Le Pen agit de même en distinguant dans l'héritage révolutionnaire ce qui est recevable - l'exaltation du peuple français, le soldat héroïque - mais condamne, rejette ou passe sous silence tout ce qui contreviendrait au sentiment national - en premier lieu l'universalisme des droits de l'homme ; en second l'idéal égalitaire, l'humanisme, l'individualisme...

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Mais remarquons le, c'est sous le même concept de l'héritage que Sarkozy aura posé son programme de défense de la Nation - un héritage où ici aussi on va entremêler chrétienté, civilisation, héroïsme de la Résistance ... C'est d'ailleurs la même propension à aller quérir des références dans le camp d'en face : Le Pen va piller Rousseau ; Sarkozy Jaurès Hugo ou Camus. Mais à bien scruter le processus est classique 3

Trois valeurs corrigées

Reprendre les items révolutionnaires a un fabuleux avantage politique pour le FN qui lui permet à la fois de moderniser son discours en s'épargnant d'en appeler à une restauration explicitement désuète de la monarchie, de s'inscrire dans l'histoire et donc d'offrir une lecture cohérente de l'histoire nationale, d'assumer en la transcendant la dimension (contre)révolutionnaire du projet politique. Le Pen le fait autour de trois items :

- dénonciation de l'ennemi extérieur : variante de la Patrie en danger de la période révolutionnaire, la mise en perspective de notre histoire sur le mode affiche 1915du danger, permet au FN de retrouver les marques de l'Action Française puisque lui permet de dénoncer l'ennemi dans sa double dimension extérieure et intérieure et ainsi de dessiner les contours de cette anti-France où figure en bonne place l'immigration présentée comme une cinquième colonne ou un ennemi de l'intérieur mais aussi évidemment la gauche et tout ce qui participe de l'idéologie dite égalitariste ...

- abolition des privilèges : d'autant plus aisément reprise comme revendication légitime que dans la démarche alors libérale qui est la sienne le FN dénonce un État parasite qui n'aura fait que déplacer les forteresses et les féodalités au profit de nouvelles élites, bourgeoises, technocratiques continuant à spolier le peuple et étouffer la nation. ce qui permet ici encore au FN de proposer savoureusement un programme anti-révolutionnaire en s'accaparant de son mot d'ordre emblématique.

- souveraineté du peuple : reprenant non sans un ironique paradoxe le thème de Rousseau de la démocratie directe, le FN s'offre le luxe à la fois de s'inspirer de la référence républicaine par excellence, de faire mention implicite à la radicalité elle-même qu'aura pu représenter Robespierre tout en en prenant l'exact contre-pied. La contre-révolution nationale est en même temps l'accomplissement même de la Révolution, ce qui assoit définitivement la souveraineté du peuple par une relation directe. Dans ces eaux troubles de la dénonciation de l'Etat, des corps intermédiaires où l'on aura retrouvé successivement aussi bien des anarchistes de gauche et de droite, des ultra-libéraux, des libertariens et l'extrême-droite, et, désormais Sarkozy et une partie de l'UMP, se dessine à la fois le thème d'un État, nécessairement parasite, la nécessité d'un chef qui assure la relation directe avec le peuple et la dénonciation de la république sous la forme représentative qui est celle de la IIIe, IVe et même encore, même si amoindrie, de la Ve. D'où cette référence si fréquente à la Suisse qui se prolonge jusqu'à aujourd'hui. Sur ce point, même si revisité sur le mode de la démocratie - et non plus de la monarchie- on n'est plus - ou pas - très éloigné de la distinction maurrassienne du pays légal et du pays réel qui a besoin surtout d'une relation directe avec le prince, relation seule possible quand elle serait ancrée dans la légitimité du Roi.

C'est au reste à cette croisée que se retrouvent l'approche tout aussi bien politique qu'économique de la Nation : le FN à ses origines se donne plutôt, économiquement une approche libérale et en ceci se distinguait radicalement de l'héritage maurrassien. Traditionnellement d'ailleurs le fascisme - et on l'a bien vu avec Hitler - relève plutôt d'un dirigisme absolu dérivant vers un véritable culte de l'Etat quand, à l'inverse, le nationalisme intégral d'un Maurras ne voyait l'Etat qu'incarné dans le monarque et recherchait une liaison directe entre le principe du chef (Autorité en haut) et la vitalité du peuple (liberté en bas). Le premier FN, et c'est peut-être ceci qui est en train de changer avec Marine) était libéral épousant l'air du temps ; progressivement, et de manière accentuée, il redevient dirigiste - ou se proclame tel, en tout cas. ) 4

 


1) discours de Pétain :

ordre nouveau

après Montoire

Discours de Laval

Actes Constitutionnels

2)J.-M. Le Pen, Pour une vraie rcvolution française, National-Hebdo, 62, 26 septembre l985,

3) par exemple cette affiche reprenant une formule de Jaurès, formule que Sarkozy a lui-même reprise dans ces derniers discours ....

4) voir programme FN sur démocratie ; voir accointances avec la Droite populaire