Chronique du quinquennat

Le grand dilemme du Front

 

Telle qu’elle fut conçue dans les années 80 par Le Pen la doctrine du FN apparaît décidément comme une synthèse, à droite, de courants divers et parfois bien contradictoires sans que cette synthèse parvienne véritablement à dépasser toujours ses contradictions mais paraît plutôt vouloir les masquer.


Depuis deux événements forts auront bouleversé la donne :


L’effondrement du bloc de l’Est qui ôte toute pertinence à la mise en évidence du danger communiste et oblige au remplacement de l’ennemi principal en même temps qu’il contraint à repenser toute la politique étrangère

Une mondialisation accrue sans commune mesure avec l’internationalisation des échanges qui pouvait encore prévaloir dans les années 80 et qui en procédant à ue ouverture inédite de nos sociétés et en particulier européennes oblige le FN à reconsidérer son rapport avec le capitalisme en général, la finance et les délocalisations, d’une part, et sa doctrine libérale d’autre part.


Quatre autres événements se seront produits d’importance plus réduite, plus locale puisqu’ils concernent la France exclusivement,  mais qui jouent invariablement dans la nouvelle stratégie doctrinale du FN


- des alternances politiques plus fréquentes : dans les années 80 encore, la droite et donc aussi l’extrême droite pouvaient considérer que la présence de la gauche au pouvoir était un accident de l’histoire, une expérience, comme le disait alors Chirac, dont on imaginait mal qu’elle pût durer de ce côté-ci de l’échiquier politique. Sauf à considérer que depuis, l’alternance, ne serait-ce que du fait d’une crise se prolongeant indéfiniment, sera devenue la règle. Mitterrand réélu en 88, Jospin avec un gouvernement de cohabitation de cinq années, Hollande élu cette année , ce seront au total 20 années de gouvernement entre 81 et 2017  en 36 ans soit sensiblement plus que la moitié ! Dans l’entremise le PS sera devenu un parti de gouvernement qui, malgré ses défaillances successives, ses inévitables divisions internes et – parfois – ses reniements , aura fait évolué le pays, l’aura transformé ou en tout cas accompagné ses mutations sans qu’on puisse ni dire qu’il se sera soumis à un totalitarisme extérieur désormais inexistant ni proclamé non plus qu’il aura par son incompétence mis le pays à bas.

- deux réformes constitutionnelles (quinquennat et synchronisation du calendrier d’une part ; celle de 2008 avec le renforcement du rôle du Conseil Constitutionnel d’autre part) une pratique sarkozyste du pouvoir aussi qui ensemble auront fortement contribué à changer la nature d’un régime penchant de plus en plus vers une présidentialisation accrue

- une extrême droite qui depuis vingt ans au moins se maintient à un niveau élevé (entre 15 et 20%) loin au dessus de ce que pouvaient être ses scores à la fin des années quatre-vingt et qui contraignent le FN à gérer ce patrimoine électoral d’autant plus finement que le mode de scrutin le tient encore éloigné de toute victoire possible mais que l’introduction ne serait ce que d’une faible dose de proportionnelle pourrait en changer la donne

- une offensive récente de la droite qui désormais, de manière plus systématique et plus ouverte, se met à chasser sur les thèmes et les terres du FN. Ce qui pose la question des alliances mais dans les deux sens : la mise à l’index du FN par l’UMP de Chirac a manifestement du plomb dans l’aile et va obliger le parti à repenser toute sa stratégie dans les années à venir quitte à risquer l’implosion ; mais la posture du FN, également, qui ne peut plus tout à fait rester sur son pré carré protestataire, et ne le semble d’ailleurs pas vouloir, et entame ainsi avec sa stratégie de dédiabolisation une mutation idéologique qui selon les cas le placera au centre de l’échiquier de la droite ou au contraire le balkanisera définitivement.

C’est pour cela qu’il fallait repenser le programme FN à partir de ses présupposés idéologiques et le faire en deux temps car on ne peut comprendre ce qu’implique la donne bleu-marine sans la comparer avec le logiciel FN des années quatre-vingt.

Le dilemme FN

Pour autant que nous ne nous sommes pas trompés en avançant qu’un parti fasciste ne peut prospérer qu’en temps de crise et ne penser son action au pouvoir qu’en des temps d’exception, sa banalisation ne peut qu’équivaloir à une implacable balkanisation qui en ferait un parti droitier comme les autres, au risque d’être absorbé par l’UMP. D’un autre côté, la réaffirmation de son logiciel fasciste ne peut que l’exclure durablement du jeu politique dont il ne pourrait alors plus que poursuivre son jeu traditionnel depuis les années quatre-vingt de trouble-fête. La question n’est pas qu’électorale mais idéologique : dans toute fusion il y a risque d’absorption ! Qui absorbera l’autre ? On voit mal l’UMP se fasciser au risque de s’exclure pour longtemps de toute accession au pouvoir. Vraisemblablement tentera-t-elle de ramener à elle les voix et pourquoi pas par une alliance bien conçue, le parti FN solution d’autant plus envisageable que le programme FN paraît se délester de ses scories fascistes les plus visibles. Oui ! le dilemme FN se pose bien en ces termes : disparaître ou … disparaître ! Rester soi-même et s’étioler à terme ; changer fondamentalement et être absorbé !
Dans toute union, chacun fait un bout de chemin vers l’autre : il va bien falloir désormais scruter les compromis idéologiques. Ce fut fait pour le discours sarkozyste. Il faut désormais le faire pour le discours bleu-marine.

Les contradictions internes

Récapitulons donc d’abord les contradictions non résolues du logiciel FN des années 80 :

Le FN se pose explicitement à droite au point de revendiquer à l’occasion être la seule véritable droite, l’autre ayant trahi ses principes ou s’étant compromis avec ce qu’il nomme le système.
Donc les couples d’oppositions supposés être les marqueurs du clivage
- droite/gauche ;
- capitalisme/socialisme ;
- libéralisme/collectivisme ;
- républicains/marxistes
sont immédiatement retraduits dans un couple bien plus large entre citoyens enracinés/individus cosmopolites.  Immédiatement retraduits non en terme économique de rapports de force mais en terme d’identité.
On y retrouve l’opposition entre tous ceux qui défendent les identités de base (famille, propriété privée, nation) et ceux qui tendent à ruiner ces identités collectives (l’internationalisme marxiste mais dès à présent obsolète) , les parisans du multiculturalisme (les antiracistes) les ultra-libéraux qui à force d’abolir les frontières bafouent toutes les différences et ruinent toutes les identités
Cette traduction identitaire de la réalité si l’on voulait simplifier place d’emblée le FN dans la catégorie du nationalisme voire du fascisme en contradiction flagrante non seulement avec la théorie marxiste qui retraduit les conflits sociaux en des termes économiques mais aussi avec la théorie libérale qui rejoint finnalement le marxisme en ceci qu’il considère lui aussi l’économique comme le déterminant en dernière instance.
Mais précisément ! Cette position eût du conduire le FN à condamner expressément tout ce qui conduisait au cosmopolitisme – et donc prendre le contre-pied systématique de la droite libérale. Or, fin des années 80, le FN, prisonnier de ses alliances atlantistes, et son optique libérale l’empêche d’aller jusqu’au terme de ses contradictions qu’il camoufle malaisément sous l’égide du capitalisme populaire sans réellement tromper personne.

1e abcès de fixation : le statut de l’individu

On l’a vu, la posture naturaliste aussi bien que l’héritage maurrassien poussent Le Pen à confirmer l’individualisme comme la pire des maux et à considérer que l’enracinement dans le groupe, la filiation, l’héritage, la soumission à la communauté organique et à un ordre naturel priment sur les valeurs héritées des Lumières d’une volonté et  liberté individuelles permettant à l’homme de forger son destin, de faire l’histoire et de se faire une place dans le corps social. Or entre ces deux modèles, la contradiction est flagrante qui suppose d’un côté la fusion de l’individu dans le peuple, de l’autre l’affirmation politique et la promotion de ce dernier. Le Pen croit avoir tranché en évoquant l’individu enraciné : la contradiction est plus baptisée que résolue. Or c’est bien cette fusion de l’individu dans le grand tout communautaire qui signe le fascisme.

2e abcès de fixation : le modèle économique – libéralisme ou pas

Réaffirmer les valeurs du libéralisme économique et sa foi dans le capitalisme suppose invariablement la promotion de la libre entreprise individuelle, la réhabilitation de l’argent, de l’ambition et de la réussite alors même que le paysage nationaliste classique se caractérise au contraire par un mépris prononcé pour les idéaux marchands, pour l’argent en général privilégiant plutôt les valeurs spirituelles, le devoir, la soumission à l’ordre, mais aussi par la condamnation assez systématique des gros, des affairistes et une survalorisation du petit, de celui qui accomplit son travail et son devoir sans se plaindre, du peuple …
Le FN de cette époque se situe bien dans le contexte de cette libéralisation des échanges qui font sortir l’occident et en particulier l’Europe, et plus spécifiquement la France, de ce modèle dirigiste qui détermina toute l’après-guerre et la phase de reconstruction et qui, en France, s’exprime dans l’héritage de la Résistance et du programme du CNR dont tout notre modèle social est la conséquence. Il ne s’en écarte pas. Et ce n’est certainement pas le modèle du capitalisme populaire qui s’aurait résoudre cette contradiction , cette valse-hésitation d’où précisément semble désormais sortir Marine Le Pen dans ce contexte si particulier de la crise de la dette qui permet plus aisément de fustiger le capitalisme cosmopolite et d’en appeler à un retour à un capitalisme national – traduisons dirigiste. Il ne faut jamais l’oublier le nationalisme de Maurras, très marqué encore par une France qui commence à peine sa révolution industrielle et demeure une nation agricole, le maurrassisme oui était anticapitaliste ; mais le fascisme d’un Mussolini et d’un Hitler, aussi, même si pour d’autres raisons. Le libéralisme du FN était une curiosité fasciste ; le retour au discours anticapitaliste est simplement un retour aux sources.

3e abcès de fixation : le rapport à la démocratie

Il y a chez Le Pen, on l’a vu, à la fois la reconnaissance de la République et de son histoire, la reprise de concepts républicains comme la souveraineté populaire  mais aussi l’intégration de concepts nationalistes plus classiques comme la mystique du chef, le principe organique du peuple . La contradiction n’est jamais résolue autrement que par l’improbable annonce d’une craie révolution à mener qui laisse supposer qu’on puisse promouvoir une révolution contre-révolutionnaire. A plus d’un titre le régime rêvé par Le Pen est moins celui d’un Etat fort que celui d’un Chef fort entretenant avec le peuple une relation exclusive de tout corps intermédiaire ce qui est évidemment le contraire des principes républicains. Cette contradiction, camouflée, qui lui aura permis en son temps, de fédérer à la fois des monarchistes, des intégristes, d’anciens collaborateurs, des fascistes, n’est pas gênante tant qu’on n’est pas au pouvoir et ne risque pas de l’être, elle n’en reste as moins irrésolue tant l’opposition est forte entre les deux modèles.

4e abcès de fixation :  l’universalisme

Tant l’idéal républicain que les principes même du christianisme poussent à la promotion des valeurs humanistes et universelles qui viennent irrémédiablement s’entrechoquer avec le modèle d’unne société fermée, rétive à tout apport étranger et extérieur, en fin de compte xénophobe. Le modèle fasciste et nationaliste est plus païen que chrétien ; plus athénien que romain, pour reprendre le modèle de Fustel de Coulanges. L’argument utilisé par le pen de la hiérarchie des dilections illustre cette opposition en même temps que tente de la masquer sans y parvenir réellement  et manifestement la préférence nationale, même si retraduite récemment par la priorité nationale de m Le Pen ne change rien à cette hiérarchie qui brise toute idée d’universalité humaniste .

Le lepénisme au fond peut se résumer autour quatre points

Une relation personnelle au peuple : rien ne peut fonctionner sans un chef charismatique sachant dialoguer de manière exclusive avec le peuple

Un peuple perçu de manière globale sans aucune considération de classes ou de quelconques distinctions sociologiques

L’appel au peuple sain dont serait préalablement retranché tous ceux qui à un titre ou à un autre l’affaiblissent ou le pervertissent (dénonciation des féodalités, des oligarchies, du système, de l’établissement) et rejet des étrangers immigrés etc

Un appel à la rupture, au changement radical et donc rupture avec l’étatisme ambiant, qui n’est rien d’autre que la rupture avec l’etat providence