Histoire du quinquennat

 

Les deux familles de l’extrême droite
par Jean-Yves Camus et Philippe Rekacewicz
décembre 2004

Les droites extrêmes progressent électoralement en Europe, surtout dans les milieux populaires. Bien qu’elles soient différentes, par leur idéologie et leur stratégie, des fascismes traditionnels, leur succès en Europe occidentale s’explique par le rejet du système politique et économique dominant. En Europe centrale et orientale, elles sont plus en continuité avec les nationalismes des années 1930 et rallient les déçus du post-communisme.

L’extrême droite activiste, fasciste ou néonazie, est marginale en Europe, même si, sporadiquement, en Allemagne et en Suède principalement, se manifeste un terrorisme « brun » imitant des groupes américains comme Aryan Nations ou The Order. Autre expression du néonazisme, le mouvement skinhead, né en Grande-Bretagne, reste rétif à toute affiliation à un parti. En Allemagne, le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD) n’atteint pas 1% des voix. Les partis italiens qui se réclament du fascisme (Movimento Sociale-Fiamma Tricolore, Forza Nuova) restent marginaux, alors que l’Alliance nationale (ancien MSI) de Gianfranco Fini, grâce à sa mutation vers un conservatisme atlantiste, présidentialiste et centraliste, a réussi à devenir dès 1994 un parti de gouvernement. Enfin, en Espagne et au Portugal, anciennes dictatures corporatistes-cléricales, l’extrême droite, qui n’a pas su se moderniser après la chute du franquisme et du salazarisme, est groupusculaire.

Si les extrémismes nostalgiques sont marginaux, les nationalismes populistes et xénophobes, eux, progressent depuis les années 1970, lorsque sont apparus les partis anti-impôts scandinaves. Leur corpus doctrinal commun s’articule autour de trois thèmes : un nationalisme xénophobe hostile à la société multiculturelle et prônant la « préférence nationale », l’arrêt de l’immigration, voire le renvoi des étrangers ; une dénonciation des partis traditionnels combinée avec le souhait de remplacer la démocratie représentative par une démocratie référendaire ; un ultralibéralisme qui veut réduire au minimum l’intervention de l’Etat et sa fonction redistributive. La majorité de ces partis - mais pas tous - s’opposent à la mondialisation et à toute supranationalité (Union européenne, Organisation du traité de l’Atlantique nord). L’électeur type des nationaux-populismes est un homme, appartenant aux milieux populaires, de faible niveau de qualification et d’éducation.
Ethnicisme et irrédentisme

Quelques-uns de ces partis, s’ils ont modernisé leur discours, restent dans la filiation partielle des extrémismes traditionnels. Ainsi, nombre des cadres du Front national français ont participé aux combats du poujadisme, de l’Algérie française, d’Occident et d’Ordre nouveau. Le Vlaams Blok, en Flandre belge, se réfère aux « Grands Pays-Bas » et reste marqué par le nationalisme d’avant 1940. Le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ) de Jörg Haider ­- qui a gouverné l’Autriche en coalition avec les conservateurs chrétiens à partir de 2000, avant de subir, fin 2002, un cuisant revers électoral -­ est un parti « mixte » : né en 1949, sous le nom d’Union des Indépendants (VdU), pour recycler les anciens nazis épurés, il est devenu libéral dès les années 1960 et a abandonné son orientation nationaliste grande-allemande. Le Parti norvégien du progrès, le Parti du peuple danois et la Liste Pim Fortuyn aux Pays-Bas sont, eux, dépourvus d’attaches avec l’extrême droite traditionnelle.

En Europe centrale et orientale, les partis se rattachant à ce courant ont une conception ethniciste de l’identité, souvent combinée avec des revendications territoriales irrédentistes (grand-hongrois ; grand-roumain). Leur anticommunisme les conduit souvent à réclamer la réhabilitation des dirigeants profascistes d’avant-guerre (comme en Slovaquie, où le Parti national slovaque, SNS, revendique l’héritage de l’évêque collaborateur Tiso), voire ­- dans les pays baltes (Lettonie) -­ à considérer les complices des nazis comme des patriotes. Plusieurs de ces partis, comme le SNS et le Parti radical serbe (SRS), ont participé à des gouvernements, tandis que Romania Mare, hybride de nationalisme droitier et de nostalgie de l’ère Ceaucescu, est le second parti de Roumanie.

La faillite économique et sociale des méthodes ultralibérales de transition vers l’économie de marché, la crainte des conséquences de l’entrée dans l’Union européenne, combinées avec la persistance de l’antisémitisme et du racisme anti-roms, sont les causes principales de leur succès. En Russie, il n’est pas simple de classer les mouvements du « camp patriotique », tant la frontière entre droite et gauche extrêmes paraît floue, depuis les partis nationalistes slavophiles jusqu’au Parti communiste dirigé par Guennadi Ziouganov.