Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831)
Phénoménologie de l'Esprit, préface
Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau
de la philosophie une affaire sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts,
les talents, les techniques prévaut la conviction qu'on ne les possède pas
sans se donner la peine et sans faire l'effort de les apprendre et de les
pratiquer. Si quiconque ayant des yeux et des doigts, à qui on fournit du
cuir et un instrument, n'est pas pour cela en mesure de faire des souliers,
de nos jours domine le préjugé selon lequel chacun sait immédiatement
philosopher et apprécier la philosophie puisqu'il possède l'unité de mesure
nécessaire dans sa raison naturelle — comme si chacun ne possédait pas aussi
dans son pied la mesure d'un soulier —. Il semble que l'on fait consister
proprement la possession de la philosophie dans le manque de connaissances
et d'études, et que celles-ci finissent quand la philosophie commence...
Puisque le sens commun fait appel au sentiment, son oracle intérieur, il
rompt tout contact avec qui n'est pas de son avis, il est ainsi contraint
d'expliquer qu'il n'a rien d'autre à dire à celui qui ne trouve pas et ne
sent pas en soi-même la même vérité ; en d'autres termes, il foule aux pieds
la racine de l'humanité, car la nature de l'humanité c'est de tendre à
l'accord mutuel ; son existence est seulement dans la communauté instituée
des consciences. Ce qui est antihumain, c'est ce qui est seulement animal,
c'est de s'enfermer dans le sentiment et de ne pouvoir se communiquer que
par le sentiment.