Georg Wilhelm Friedrich HEGEL (1770-1831)
La Raison dans l'Histoire, (cours professé en 1830), trad. Kostas Papaioannou,
coll. 10/18,1965, p. 201.
L'histoire se meut sur un terrain plus élevé que celui où
la moralité a proprement sa demeure, et constitue la morale privée (Privatgesinnung),
la conscience (Gewissen) des individus, leur volonté propre et leur manière
d'agir, toutes choses qui possèdent en elles-mêmes leur valeur et leur
imputation, leur récompense et leur châtiment. Mais ce que la fin ultime
existant en soi et pour soi de l'Esprit requiert et accomplit, ce que fait
la Providence, se trouve au-dessus des obligations, des estimations et des
prétentions dont relèvent les individus du point de vue de leur éthique.
Ceux qui ont résisté, par conviction éthique et donc par noblesse morale, à
ce que le progrès de l'idée de l'Esprit rendait nécessaire, se situent, du
point de vue de la L'histoire se meut sur un terrain plus élevé que celui où
la moralité a proprement sa demeure, et constitue la morale privée (Privatgesinnung),
la conscience (Gewissen) des individus, leur volonté propre et leur manière
d'agir, toutes choses qui possèdent en elles-mêmes leur valeur et leur
imputation, leur récompense et leur châtiment. Mais ce que la fin ultime
existant en soi et pour soi de l'Esprit requiert et accomplit, ce que fait
la Providence, se trouve au-dessus des obligations, des estimations et des
prétentions dont relèvent les individus du point de vue de leur éthique.
Ceux qui ont résisté, par conviction éthique et donc par noblesse morale, à
ce que le progrès de l'idée de l'Esprit rendait nécessaire, se situent, du
point de vue de la valeur morale, plus haut que ceux dont les crimes sont
convertis, dans un ordre supérieur, en moyens d'exécution de la volonté de
cet ordre supérieur. Mais, dans les bouleversements de ce genre, les deux
partis se situent généralement à l'intérieur d'un monde en ruine ; il en
résulte que le droit défendu par ceux qui se considèrent comme légalement
justifiés, n'est qu'un droit formel, abandonné par l'Esprit vivant et par
Dieu. Les actions des grands hommes, qui sont des individus, appartenant à
l'histoire universelle, paraissent ainsi justifiées, non seulement en raison
de leur inconsciente signification intérieure, mais aussi au point de vue du
monde. Ce point de vue implique d'ailleurs que les milieux moralisants (moralische
Kreisen) n'ont aucun droit de poser des exigences à l'encontre des grandes
actions historiques et de leurs auteurs, car ceux-ci n'y appartiennent pas.
La litanie des vertus privées, modestie, humilité, amour du prochain,
bienfaisance, ne doit pas leur être opposée. Du reste l'histoire universelle
pourrait entièrement négliger la sphère où se situent la moralité et
l'opposition — dont on a si souvent et si faussement parlé — entre la morale
et la politique ; et cela, non seulement parce que l'histoire devrait
s'abstenir de tout jugement — ses principes et le nécessaire rapport des
actions à ceux-ci sont déjà en soi le jugement — mais parce que les
individus en tant que tels n'entrent pas dans son jeu et qu'elle peut donc
les passer complètement sous silence. En effet, ce qu'elle doit raconter ce
sont les actes de l'Esprit des peuples.