Emmanuel KANT (1724-1804) Fondements de la Métaphysique des Mœurs.
1e section
De tout ce qu'il est possible de concevoir en ce monde, ou même hors de ce
monde, il n'y a rien qui puisse sans restriction être regardé comme bon
absolument, excepté une BONNE VOLONTÉ. L'intelligence, le don de saisir les
ressemblances des choses, la faculté de discerner le particulier pour en
juger, ainsi que les autres talents de l'esprit, quel que soit le nom qu'on
leur donne, ou encore le courage, la décision, la persévérance dans les
œuvres entreprises, qualités du tempérament, sont évidemment à de nombreux
points de vue des choses bonnes et désirables ; mais elles peuvent devenir
mauvaises et dangereuses si la volonté qui doit faire usage de ces dons de
la nature et dont les dispositions particulières s'appellent le caractère,
n'est point une bonne volonté.
Il faut dire la même chose des dons de la fortune. Le pouvoir, la richesse,
la considération, la santé elle-même, ainsi que ce qui fait le bien-être et
le contentement, en résumé ce qu'on appelle le bonheur, produisent une
confiance en soi qui parfois se transforme en présomption, s'il n'y a pas
une bonne volonté pour modérer l'influence que ces avantages ont sur notre
âme, et redresser en même temps le principe de l'action, en le tournant vers
le bien général ; outre qu'un spectateur raisonnable et impartial ne saurait
jamais éprouver une véritable satisfaction à voir que tout puisse réussir
perpétuellement à une personne que ne relève aucun trait de vraie bonne
volonté, de telle sorte que la bonne volonté parait être la condition
indispensable qui nous rend dignes d'être heureux.