Emmanuel KANT (1724-1804) Critique de la Raison pratique, Première partie, I, III.
Devoir ! nom sublime et grand, toi qui ne renfermes rien en toi d'agréable,
rien qui implique insinuation, mais qui réclames la soumission, qui
cependant ne menaces de rien de ce qui éveille dans l'âme une aversion
naturelle et l'épouvante pour mettre en mouvement la volonté, mais poses
simplement une loi qui trouve d'elle-même accès dans l'âme et qui cependant
gagne elle-même malgré nous la vénération (sinon toujours l'obéissance),
devant laquelle se taisent tous les penchants, quoiqu'ils agissent contre
elle en secret ; quelle origine est digne de toi, et où trouve-t-on la
racine de ta noble tige, qui repousse fièrement toute parenté avec les
penchants, racine dont il faut faire dériver, comme de son origine, la
condition indispensable de la seule valeur que les hommes peuvent se donner
eux-mêmes ?
Ce ne peut être rien de moins que ce qui élève l'homme au-dessus de lui-même
(comme partie du monde sensible), ce qui le lie à un ordre de choses que
l'entendement seul peut concevoir et qui en même temps commande à tout le
monde sensible et avec lui à l'existence, qui peut être déterminée
empiriquement, de l'homme dans le temps à l'ensemble de toutes les fins (qui
est uniquement conforme à ces lois pratiques et inconditionnées comme la loi
morale). Ce n'est pas autre chose que la personnalité, c'est-à-dire la
liberté et l'indépendance à l'égard du mécanisme de la nature entière,
considérée cependant en même temps comme un pouvoir d'un être qui est soumis
à des lois spéciales,
...c'est-à-dire aux lois pures pratiques données par sa propre raison, de
sorte que la personne comme appartenant au monde sensible, est soumise à sa
propre personnalité, en tant qu'elle appartient en même temps au monde
intelligible. Il n'y a donc pas à s'étonner que l'homme, appartenant à deux
mondes, ne doive considérer son propre être, relativement à sa seconde et à
sa plus haute détermination, qu'avec vénération et les lois auxquelles il
est en ce cas soumis, qu'avec le plus grand respect.