Emmanuel KANT (1724-1804) Critique de la raison pure, trad. Tremesaygues & Pacaud, PUF 1980, p. 405.
Qu'on
prenne un acte volontaire, par exemple un mensonge pernicieux, par lequel un
homme a introduit un certain désordre dans la société, dont on recherche
d'abord les raisons déterminantes, qui lui ont donné naissance, pour juger
ensuite comment il peut lui être imputé avec toutes ses conséquences. Sous
le premier point de vue, on pénètre le caractère empirique de cet homme
jusque dans ses sources que l'on recherche dans la mauvaise éducation, dans
les mauvaises fréquentations, en partie aussi dans la méchanceté d'un
naturel insensible à la honte, qu'on attribue en partie à la légèreté et à
l'inconsidération, sans négliger les circonstances tout à fait
occasionnelles qui ont pu influer. Dans tout cela, on procède comme on le
fait, en général, dans la recherche de la série des causes déterminantes
d'un effet naturel donné. Or, bien que l'on croie que l'action soit
déterminée par là, on n'en blâme pas moins l'auteur, et cela, non pas à
cause de son mauvais naturel, non pas à cause des circonstances qui ont
influé sur lui, et non pas même à cause de sa conduite passée ; car on
suppose qu'on peut laisser tout à fait de côté ce qu'a été cette conduite et
regarder la série écoulée des conditions comme non avenue, et cette action
comme entièrement inconditionnée par rapport à l'état antérieur, comme si
l'auteur commençait absolument avec elle une série de conséquences. Ce blâme
se fonde sur une loi de la raison où l'on regarde celle-ci comme une cause
qui a pu et a dû déterminer autrement la conduite de l'homme, indépendamment
de toutes les conditions empiriques nommées. Et on n'envisage pas la
causalité de la raison, pour ainsi dire, simplement comme concomitante, mais
au contraire, comme complète en soi, quand même les mobiles sensibles ne
seraient pas du tout en sa faveur et qu'ils lui seraient tout à fait
contraires ; l'action est attribuée au caractère intelligible de l'auteur :
il est entièrement coupable à l'instant où il ment ; par conséquent, malgré
toutes les conditions empiriques de l'action la raison était pleinement
libre, et cet acte doit être attribué entièrement à sa négligence.