Emmanuel KANT (1724-1804) Critique de la Raison pure, 1781, « Dialectique transcendantale », ch III, 4ème section.
Etre n'est évidemment pas un prédicat réel, c'est-à-dire un
concept de quoi que ce soit qui puisse s'ajouter au concept d'une chose. Il
est uniquement la position d'une chose ou de certaines déterminations en
soi. Dans l'usage logique, il n'est que la copule d'un jugement. La
proposition : Dieu est omnipotent contient deux concepts qui ont leurs
objets : Dieu est omnipotence ; le petit mot : est n'est pas encore un
prédicat de plus, mais seulement ce qui met le prédicat en relation avec le
sujet. Or si je prends le sujet (Dieu) avec tous ses prédicats ensemble
(auxquels l'omnipotence appartient également) et que je dise : Dieu est,
ou : il est un Dieu, je ne pose aucun prédicat nouveau du concept de Dieu,
mais seulement le sujet en lui-même avec tous ses prédicats et, il est vrai,
l'objet se rapportant à mon concept.
Tous deux doivent contenir la même chose et, par conséquent, au concept qui
n'exprime que la possibilité, rien, du fait que je pense l'objet comme
absolument donné (par l'expression : il est), ne peut s'ajouter. Et ainsi le
réel ne contient rien de plus que le simplement possible. Cent thalers réels
ne contiennent pas la moindre chose de plus que cent thalers possibles. En
effet, comme ceux-ci expriment le concept, mais ceux-là l'objet et sa
position en lui-même, au cas où celui-ci contiendrait plus que celui-là, mon
concept n'exprimerait plus l'objet tout entier et, par conséquent aussi, il
n'en serait plus le concept conforme. Mais, pour mon état de fortune, cela
fera plus avec cent thalers réels qu'avec leur simple concept (c'est-à-dire
leur simple possibilité).
Car l'objet, dans la réalité, n'est pas seulement contenu analytiquement
dans mon concept, mais il s'y ajoute synthétiquement à mon concept (qui est
une détermination de mon état), sans que par cet être en dehors de mon
concept, ces cent thalers pensés en soient eux-mêmes le moins du monde
augmentés. Quand donc je pense une chose, quels et si nombreux que soient
les prédicats au moyen desquels je veux la penser (même en la déterminant
complètement), par cela seul que j'ajoute que cette chose existe, je
n'ajoute rien à cette chose. Car autrement ce ne serait plus la même chose
qui existerait mais quelque chose de plus que ce que j'ai pensé dans le
concept, et je ne pourrais plus dire que c'est exactement l'objet de mon
concept qui existe.