Chronique du quinquennat

Lundi 4 Juin, 2012

Normalité ...
encore et toujours

Décidément, le concept taraude la presse qui n'en finit pas d'y revenir. Aujourd'hui ce n'est plus tant sur l'homme ou sur les relations avec la presse que sur sa manière d'organiser le pouvoir à l'Elysée et avec le gouvernement.

On n'a, manifestement pas assez pris au sérieux sa volonté de respecter la lettre de la constitution et notamment l'article 20 qui dispose que c'est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation. De ce point de vue, le refus de voir se constituer un gouvernement-bis à l'Elysée, de voir les conseillers intervenir à tout bout de champ est plutôt de bonne augure même si on peut gager qu'il ne pourra pas forcément tenir toujours cette ligne.

Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou, dit-on et comment ne pas se souvenir de cette formule citée par R Bacqué :

Il y a quelques années, l'ex-collaborateur de Giscard Jean Sérisé avait résumé devant une journaliste sa définition des candidats à la présidentielle : " Il y a ceux qui ne sont pas assez fous pour tenir jusqu'au bout, ceux qui sont trop fous pour convaincre et ceux qui le sont juste assez pour parvenir à être élus. " Il avait achevé sa démonstration par cette conclusion sans appel : " Mais n'oubliez pas : ils sont fous. " 1

Si l'on pouvait espérer ne serait-ce qu'une toute petite folie douce, ce serait déjà bien !

Il en va jusqu'au portrait officiel qui fait l'objet de commentaires appuyés sur la normalité en même temps qu'il sera immédiatement soumis aux détournements désormais de règle par des internautes goguenards. Photo, c'est vrai, presque banale, où Hollande a l'air quelque peu emprunté comme s'il mimait un excusez-moi d'être là où le palais en arrière-plan est curieusement surexposé comme pour souligner le côté amateur d'une photo de famille qu'on aurait pu ne pas prendre.

Institutions

Plus sérieusement : de de Gaulle à Sarkozy, il n'y aura pas eu un mais plusieurs modèles de présidence et donc de relation avec Matignon. Chacun a sa manière tenta d'inventer cette dyarchie que la constitution impose mais ne règle pas. (2)

Il est tout à fait révélateur que Lemas, le secrétaire général de l'Elysée, ait repris la cartographie du temps long et du temps court pour dessiner les périmètres respectifs des deux exécutifs.

On n'aura jamais assez dit que les termes qui définissent les pouvoirs du président sous la Ve sont les mêmes que ceux utilisés par les textes assez courts de la constitution de 1875 ; qu'en réalité ce sont à la fois des dispositions annexes et l'équation personnelle de de Gaulle qui ont conféré à la présidence cette toute-puissance à quoi peu résistèrent.

L'ambiguïté de cette constitution - formellement parlementaire ; en réalité présidentielle - tient au fait que celui qui détermine effectivement la politique n'est pas celui qui est responsable devant l'Assemblée laquelle ne peut en conséquence s'en prendre qu'au lampiste ; que la présidence peut difficilement jouer l'arbitrage et le symbole quand elle est à ce point acteur au milieu de la mêlée. Cela aura fait à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force parce que cette constitution s'adapte à toutes les situations (exemple des cohabitations) ; sa faiblesse parce que rien, aucun contre pouvoir institutionnel, ne peut réellement tempérer l'excès de pouvoir. Ce n'est certainement pas un hasard si en 1977, Mendès France parlait de dictature en évoquant le pouvoir sans limite de la présidence.

Sa force ? On peut retourner l'argument de Th Wieder dans le Monde : s'il n'est pas un modèle mais plusieurs que dessinèrent les anciens présidents, ceci signifie aussi que Hollande a la possibilité d'inventer le sien. En matière constitutionnelle, il y a comme en matière biblique, la lettre et l'esprit ; il faut simplement y ajouter la pratique. Le mandat de Sarkozy aura marqué une inflexion très forte du côté de l'hyperprésidentialisation du régime. Il semble évident qu'un second mandat de ce type permettrait difficilement de revenir en arrière. Que donc, la volonté affichée de Hollande de redonner de l'espace au gouvernement, et par voie de conséquence au parlement, ne peut qu'être positive, s'il y parvient durablement, en pointant une reparlementarisation. Que l'homme en ait la volonté, ce me semble clair ; que les circonstances électorales y puissent aider, sans doute tant une majorité socialiste étriquée ou dépendante de ses alliés obligera à de nécessaires compromis parlementaires ; que cela dépende aussi de la capacité du gouvernement à occuper pleinement sa place et donc, paradoxalement, à poser problème, est d'autant plus aléatoire que les affres d'une crise qui pointe, la difficulté des décisions à prendre demain, feront inévitablement tanguer une majorité qui pourrait être tentée par la facilité de l'autoritarisme. Que la presse, enfin, s'y habitue, et reprenne le chemin des ministères et ne considère pas comme faiblesse le temps long des discussions, amendements et accords politiques, ne juge pas comme ennuyeuse le principe même de la République parlementaire et cesse de confondre annonces spectaculaires avec efficacité politique.

Il n'est pas jusqu'aux britanniques qui ne regrettent ironiquement pour nous que nous n'eussions pu conserver le symbole monarchique d'unité de la Nation : c'est oublier qu'en réalité notre constitution dispose une véritable monarchie constitutionnelle. Cette remarque, et ce reproche de pouvoir personnel, est une constante paradoxale de la Ve République, comme si la presse ne supportait pas qu'un pouvoir s'affirmât mais pas non plus qu'il fût trop faible ou que, décidément, la question du pouvoir demeurât à jamais celle de l'équilibre nécessaire et pourtant impossible à trouver entre ordre et liberté, entre efficacité et abus !

Rappel

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Sarkozy, de cette reproche de monarque constitutionnel que Joffrin le suspectait d'être devenu, s'en était tiré en Janvier 2008 par une longue tirade où il tenta à coup d'ironie et de sarcasme de mettre les rieurs de son côté mais en réalité ne fit rien d'autre que de justifier la légitimité d'une présidence active refusant d'être un roi fainéant - Chirac aura apprécié : on ne m'a pas élu pour faire la sieste avait-il coutume de dire ... Même s'il est vrai qu'il aura avoué durant la dernière campagne avoir peut-être confondu la fonction présidentielle avec celle d'un ministre condamné à réagir à l'immédiat, même s'il annonça alors qu'il serait un président différent, c'était avouer à demi-teinte combien la présidence est affaire de hauteur, de distance - sans réellement pouvoir les définir. Où l'on retrouve l'ambivalence d'une présidence à la fois arbitre, guide et acteur de plain pied.

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C'est ce même reproche qu'on fit en son temps à de Gaulle et à quoi il répondit dans une conférence restée célèbre pour le bon mot de président inaugurant les chrysanthèmes. Les temps de la IVe étaient encore trop proches sans doute pour qu'on y vît autre chose que la mesure nécessaire contre l'impuissance de l'exécutif et il faut bien admettre que tout l'argumentaire gaulliste de cette époque tournait autour de la lutte contre l'hyperpouvoir parlementaire, le régime des partis et l'instabilité gouvernementale d'alors. (4) De Gaulle fit une réponse en deux temps : d'une part, très militaire, tenant à affirmer que nul ne saurait se soustraire à une telle responsabilité en la reportant sur d'autres ; la mise en évidence de la constante relation avec les corps constitués mais aussi avec le peuple, d'autre part. Ce qui était, ici non plus, ne pas véritablement répondre à la question - pouvoir personnel ne signifie pas pouvoir solitaire - même s'il est vrai que la stature du personnage jeta une inévitable ombre sur une question institutionnelle que le régime n'a jamais vraiment résolue.

Les dernières réformes constitutionnelles supposées renforcer le Parlement n'ont sans doute pas produit tous leurs effets et l'on peut, avec Carcassonne, estimer qu'elles sont positives. Ce semble d'autant plus possible avec un président ayant précisément la volonté de restaurer le Parlement en son rôle.

Que Hollande parvienne à en gommer les aspérités les plus choquantes serait déjà une bonne chose ! qu'il parvienne à recentrer le régime vers le Parlement serait une véritable réussite !

Il est temps que les français se réconcilient avec la République.


1)Relire à ce propos cet article de R Bacqué

2) revoir Mendès-France sur la monopolisation du pouvoir par la présidence de la Ve

relire ce que nous écrivions sur

la constitution et

les crises entre présidence et Matignon

3) relire ce que nous en écrivions en 2008

4) revoir sur ce point l'intervention de de Gaulle à l'occasion de la campagne électorale de 65 où il se représentait.

relire aussi sur ce que nous écrivions de l'esprit de la Ve République

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