Chronique du quinquennat

Bayrou

Il y a quelque chose d’à la fois tragique et d’héroïque dans la lente descente aux enfers de cet homme. On ne peut pas ne pas penser à Don Quichotte s’entêtant à pourfendre l’impossible au nom de la gloire ou de l’honneur.

En même temps la référence, trop aisée, dérange. Trop facile de reprendre l’antienne de qui se bat contre des moulins à vent. Non, en réalité, ce qui s’y joue c’est bien plutôt la posture de qui, à cheval sur deux époques, prolonge vainement l’une sans être parfaitement capable d’ensemencer l’autre.

Savoir être intempestif

L’intempestif qui nous met en face de nos propres contradictions – simplement. Comment ne pas songer à Sibélius ou à Rossini cessant bientôt de composer pour avoir senti et parfois compris que leurs musiques étaient déjà classiques avant même que l'encre de l'ultime note fût seulement sèche ? Ou à Chateaubriand trop écartelé entre un âge classique à quoi toute son âme le rattachait quand sa plume voguait déjà sur les eaux romantiques ? Quelques uns de ceux-là parvinrent à demeurer néanmoins figurant à merveille la transition entre deux époques : je pense à Mozart ou même à Haydn qui accompagna Mozart et préfigura Beethoven. D'autres ne furent que baroques presqu'îles bravant inutilement un large trop tumultueux : Yourcenar ?

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Bayrou sait que son électorat n’a pas compris son choix de voter Hollande et qu’il est en train de le lui faire payer . Mais l’homme s’entête, persévère, mène le combat nonobstant : où gît l’essence du tragique.

Qui voulait bouleverser les lignes, s’empêtre. Qui rompit la digue d’avec l’extrême fut battu. Sarkozy et Bayrou sont deux figures de l’impossible. un peu comme si l’électorat ne désirait qu’une chose c’est que rien ne change et surtout pas l’antagonisme classique entre droite et gauche avec en figure de proue d’arrière plan les grands épouvantails que seraient à la fois l’extrême gauche et l’extrême droite.

Nous avons besoin de grille de lecture simple : ici tout aura été confus ! la crise nous oblige à des réponses immédiates et simples. Ici tout est atermoiement.

Comment s’unir demain avec ceux qu’on a posés comme responsables de la crise ? comment en appeler à l’union quand tout le système, du mode de scrutin à la logique présidentielle en appelle à la bipolarisation ? comment en appeler à la morale quand tout, de la vitesse échevelée de l’histoire à l’empressement des échanges internationaux justifie le réalisme c'est-à-dire le cynisme ?

Il vient trop tard – trop tôt ? – pour une période qui n’a pas de temps pour lui

Prendre le parti de la durée, de la morale

Bayrou a fait un choix moral, pas un choix politique. Le choix de la hauteur, pas celui de l'action. Le choix du juge, pas celui de l'acteur. Assis sur le promontoire de ses certitudes, il se fait prophète évoquant, au futur simple, les épreuves imminentes qui ne manqueront pas de surgir. Il prend date ? oui, à sa manière, celle du loup solitaire qui ne maraude même plus en meute mais garde l'oeil, prêt à bondir, au cas où.

Bayrou a un logiciel prêt à toutes les contorsions : sa défaite est la preuve même de sa légitimité. Il voit juste avant tout le monde ; a raison avant tout le monde. Il est prophète descendant de la montagne, qui fustige les égarements. Tel Moïse, il reviendra, plus tard, blanchi par l'épreuve et renforcé par les larmes. Les tables de la loi, c'est lui qui les a reçues. La cité à refonder demain c'est lui qui en a les clés.

Comme en toute morale, il prend le parti de la souffrance car après tout qu'est une morale sinon l'art de pouvoir endurer la souffrance. Il prend le parti de la durée, de ce temps long de la mutation de la cité contre le temps court de la gestion et du politique. Il est ailleurs ! Il est de tout temps.

Son modèle implicite, parfois explicité, demeure celui de de Gaulle.

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De ce de Gaulle capable, en juin 1968, de dire non qu'il faisait de la politique mais qu'il avait affaire à l'Histoire. A l'instar de son modèle, Bayrou puise sa légitimité au-delà de l'adoubement électoral, dans une vision de la France, et si de Gaulle s'appuyait sur l'histoire, sans doute Bayrou, lui l'étanche dans la morale .Ce qui est une autre épreuve.

Avoir toujours raison est un grand tort affirmait autrefois Edgar Faure : cette réthorique-là vous arme contre toutes les contradictions, vous renforce de toutes les défaites !

Le grand acteur de l'histoire est celui qui sait saisir les opportunités que l'histoire lui présente - mais l'histoire présente rarement les plats deux fois de suite. De Gaulle sut, à deux reprises, en 40 comme en 58, forcer le destin et jouer le tout pour le tout. Mais n'est pas de Gaulle qui veut ! Mais les circonstances, deux fois tragiques, deux fois exceptionnelles en tout cas, favorisèrent les coups de force du destin.

Sera-ce le cas demain ?

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Mais, même chez de Gaulle, le commerce avec l'histoire ne va pas ni sans vague de tristesse, ni sans échecs, ni sans renoncements. De Gaulle fut, à sa manière, l'homme de la crise, du choix draconien - moi ou le chaos - de la dramatisation systématique. Il fut aussi celui de la tentation systématique du retrait qui n'était pas que stratégie à la Machiavel, à la Thiers - même si ce fut aussi cela ; ce dont témoigne cette vague de tristesse qu'il déclare avoir éprouvée au soir du 1e tour de la présidentielle qui le mit en ballottage.

Il n'est décidément pas de chemin que l'histoire, préalablement, ne légitime ; de destin qu'a priori elle ne consacre.

Les esprits chagrins pourront bien souligner que cet homme-là aura pris en main une UDF puissante - qui représente encore avec Barre en 1988 16,5 % - et qui aura été jusque-là l'aile minoritaire de la droite à côté du RPR mais une aile consistante - et l'aura laissée s'étioler lentement pour la faire disparaître finalement et dissoudre dans le confidentiel MODEM à coup de départs vers l'UMP en 2002 ou le Nouveau Centre en 2007. Auront beau lui reprocher d'avoir tué le centre par entêtement idéologique ou par présomption ... Qu'importe ! le prix de l'épreuve est là, dans ce désert obligé qui n'est après tout que le signe des hautes destinées.

Dilemme cornélien ou tragique ?

Politiquement, il a tort : la logique des institutions interdit à quiconque de peser s'il n'est pas soutenu par un grand parti. La logique majoritaire l'oblige à des alliances quand il choisit un quant à soi vertueux. Eût-il d'ailleurs été élu le 6 Mai que le pari n'en eût pas été gagné pour autant : avec quelle majorité parlementaire eût-il gouverné ? Th Legrand a raison : les résultats du premier tour des législatives indiquent assez bien que si l'électorat choisit, et se mobilise pour cela, aux présidentielles, en revanche aux législatives il confirme et, pour cela, valide les grosses structures ; tous les autres partis étant relégués au rôle de partis plus ou moins confidentiels de témoignage.

Idéologiquement, il a évidemment raison : il a senti, et parfaitement anticipé, les dangers de la dérive sulfureuse de la campagne sarkozyste de l'entre deux tours mais aussi de l'attente d'une partie de plus en plus importante de l'électorat de droite qui, pour prix de la réussite, est disposée à l'alliance avec le FN. Bayrou y voit un piège : il a raison. Et la stratégie, depuis adoptée par l'UMP, du ni ni - désistement ni pour la gauche ni pour le FN - l'illustre parfaitement. Bayrou y voit un poison : il a raison derechef.

Mais c'est bien ici que la frontière entre l'idéologique et le politique se révèle floue ; où la ligne qui distingue morale et politique se fait poreuse : car, enfin, s'il n'est pas faux de présager que la droite aura demain un choix politique crucial à faire qui déterminera à la fois la forme de son organisation et son avenir politique ; qu'un virage à droite trop évidemment visible pourrait, avec la défaite, laisser imaginer un éclatement de la droite UMP séparant les humanistes de l'aile droite prête à pactiser avec le Front ; que, dans une telle perspective on pourrait effectivement augurer une reconstitution d'un centre élargi avec l'aile gauche de l'UMP, le Nouveau Centre et ce qu'il reste de Bayrou, en face d'une aile droite tentant d'avaler le FN avec la droite populaire ...

Mais de deux choses, l'une :

- ou bien une telle recomposition a lieu mais rien ne dit qu'elle se fasse autour de Bayrou qui n'a pas le poids politique pour l'imposer en son nom : la légitimité morale pourrait alors se solder par un désastre politique plus grand encore

- ou bien l'UMP continue de jouer le cynisme électoral tout en maintenant la digue qui la sépare du FN en recentrant si peu que ce soit son discours et en revoyant son socle idéologique quelque peu malmené, et, ici aussi, le bilan pourrait bien se révéler politiquement catastrophique pour Bayrou.

Bayrou, décidément, c'est la promesse du désert. Et vient plutôt l'image du chemin de Damas que celle de la révélation prophétique. Lui et son électorat sont irrémédiablement de droite, quand tout le pousse désormais vers la gauche.

Quand ainsi la route se révèle être un chemin ronceux qui ne mène nulle part, cela s'appelle une impasse, non ?


1) sur F Inter le lundi 11 juin 12

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