Chronique du quinquennat

Dimanche 3 Juin, 2012

Parité, parité quand tu ne nous tiens pas ....

Paradoxalement c'est en respectant sa promesse d'un gouvernement composé à égalité d'hommes et de femmes que Hollande semble avoir ouvert la boîte de Pandore ...

Dès le lendemain de la formation du gouvernement Ayrault, des esprits chagrins s'attachèrent à repérer qu'une seule femme - Taubira - était titulaire d'un ministère régalien ; très vite on scruta la composition des cabinets ministériels et force fut de constater que le taux de féminisation y frôlait le néant ; voici qu'on fait l'historique des circonscriptions où aucune femme n'a jamais été élue et, bien sûr, le résultat est tragique. Et tout ceci sans même évoquer la polémique sulfureuse que Zemmour aura pris soin de provoquer à propos de Taubira.

Les esprits chagrins pourraient se lamenter en se disant que c'était bien la peine de créer cette ouverture si c'était pour se faire critiquer quand même ! ce serait oublier la force de la démocratie qui réside dans l'itératif renouvellement du débat et de la confrontation qui fait avancer les choses.

On peut y voir, sociologiquement, l'incapacité qu'a notre élite dirigeante à correspondre si peu que ce soit au pays réel, non pas à lui ressembler mais au moins à le représenter.

On peut y considérer encore l'étrange atermoiement théorique qui ne sait plus quelle grille utiliser pour appréhender le réel; présageant que la grille socio-économique ne suffit plus, se cherche, au gré des sujets, une grille géographique (1) ou encore comme ici celle du genre.

Mais c'est peut-être confondre l'ordre politique et l'ordre théorique

La question politique

On confond sans doute représentation et ressemblance ! Or pas plus qu'au théâtre, non plus qu'en linguistique le représentant n'a besoin de coïncider avec le représenté pour être opératoire - bien au contraire - pas plus ici l'élu n'a besoin de ressembler à son électorat, d'ailleurs divers, pour remplir correctement son mandat. L'élu est le porteur de l'intérêt général exprimé par le corps des citoyens et l'on a presque envie de dire qu'importe le messager pourvu que soit porté le message. Bien entendu il vaudrait mieux que l'élu soit le plus proche de ses électeurs pour porter correctement leurs attentes mais n'oublions pas que l'on attend précisément du citoyen qu'il dépasse ses propres intérêts particuliers pour exprimer l'idée seule qu'il se fait de l'intérêt général. L'élu est une abstraction comme le citoyen et, pour fonctionner, l'abstraction précisément fait abstraction des distinctions accidentelles.

Mais bon, me dira-t-on, ce serait plus juste. Sans conteste. Cela dit seulement l'extraordinaire ingéniosité mobilisée par le système pour se reproduire : la loi prédispose la parité des candidats ; ne le peut des élus : il suffit donc de présenter des femmes où la victoire semble hors d'atteinte pour satisfaire aux exigences de la loi sans céder d'un pousse à ses préjugés !

Je n'ai jamais été chaud partisan de la loi sur la parité gageant que la république ne connût que des citoyens et que ce serait une erreur que de tracer des divisions entre genres qui par la bande ramène aux mêmes affres que le communautarisme. La solution viendra, lentement et s'observera le jour où l'on n'aura même plus à se poser la question. Je comprends les impatiences je ne peux néanmoins pas ne pas me souvenir que les femmes ne votent que depuis 45 ; qu'elles ne travaillent massivement que depuis les années 60 et qu'il faut sans doute beaucoup plus de temps que cela pour que ceci produise tous ses effets dans le pays légal.

L'ordre théorique

Est-ce contamination de la sociométrie, de la prolifération de ces sondages qui mesurent l'opinion à partir de paramètres tels sexe, âge et catégorie socioprofessionnelle etc, mais qui ce faisant ne peuvent pas ne pas laisser accroire que ce seraient ces paramètres qui fussent déterminants ?

Car l'ambiguité réside ici : que ces paramètres fussent suffisants pour offrir une image cohérente de l'opinion ne signifie pas pour autant qu'ils soient cause. Le sondage montre mais n'explique pas. Il suppose la représentativité de la population, sondée à partir de ces paramètres mais ne l'explique pas. On a ici affaire à une approche descriptive mais pas compréhensive.

Y a-t-il dans le fait d'être homme ou femme, dans la féminité ou la masculinité, un facteur suffisant et suffisamment clair pour être repérable, mesurable, qui déterminerait un rapport au monde différent ? Comment ne pas voir qu'à moins de considérer le genre comme un facteur lui-même socialement construit, on retombe inévitablement dans une perspective essentialiste voire naturaliste où il y a tout lieu de penser que la femme aurait tout à perdre. 2

Pandore et Prométhée

Boîte de Pandore disions-nous : Πανδώρα - tous les dons - est cette femme créée par Zeus. Elle est une création intéressée qui vise à se venger du vol de la foudre par Prométhée. Offerte à Epiméthée, l'imprévoyant, elle amena dans ses bagages cette boîte contenant tous les mots de l'humanité : la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion,mais aussi l'Espérance (ἐλπίς).

Vieille rengaine méditerranéenne que celle de la femme par qui le malheur arrive, on n'est ici pas si loin que cela du mythe de la Genèse. Intéressant quand même que Pandore soit la réponse au mythe de Prométhée c'est-à-dire à la conquête humaine de la technique.

Qu'on prenne Pandore en bonne ou en mauvaise part, elle est réponse à cette double négation qui caractérise l'homme, réponse à ce qui fonde son identité : le refus d'une quelconque soumission à l'ordre naturel, le refus de n'être que ce que sa naissance l'a fait être. Équilibre naturel à l'origine, bouleversé par l'irruption de la femme qui fait sauter tous les équilibres et fait se débuter l'histoire.

La boite ouverte, ce sont tous les malheurs qui s'abattent sur l'homme, tous sauf l'espérance - en réalité la crainte, l'appréhension : ἐλπίς - restée dans la boite. Belle ode à la lutte, au combat à quoi l'homme est désormais contraint et par quoi seul il peut se construire : ἐλπίς fût-elle sortie elle aussi de la boîte que l'homme en eût été paralysé et incapable de forger son propre destin. Une lecture positive du mythe est en conséquence possible : la femme est bien celle qui pousse à faire bouger les lignes, non pas tant celle par qui le malheur arrive que celle par qui l'histoire peut commencer. Symbole de l'engendrement dont elle est l'acteur principal, la femme marque cette oscillation permanente de nos théories comme de notre être entre une nature envers quoi nous ne pouvons que nourrir dévotion et soumission et notre histoire qui atteste de manière constante notre refus du fait établi : autre façon abrupte et schématique de reposer la question nature/culture.

J'en veux pour autre preuve le mythe prométhéen lui-même. Epiméthée, l'imprévoyant, Ἐπιμηθεύς celui qui réfléchit après coup, ayant distribué aux animaux toutes les facultés disponibles n'eut plus rien à attribuer à l'homme. C'est Prométhée qui se chargea de confier l'art du feu, qui est la science qui contient toutes les autres, mais évidemment aussi le pouvoir de transformer la matière et donc de s'en rendre maître. Disposant ainsi du Feu sacré, l'homme peut se mesurer aux Dieux. Seul être à ne posséder aucune disposition naturelle sinon la capacité de les acquérir toutes, il est l'exemple même de l'irruption de l'histoire dans la nature. Les deux mythes reliés, puisque Pandore est la vengeance divine face au vol du feu sacré, permettent de comprendre à la fois que la maîtrise technique ne peut être entendue que comme une affirmation de la puissance humaine face aux dieux ; combien l'homme est le seul être à toujours déroger à sa nature qui est toujours plus virtuelle que réelle ; que cet écart ne peut aller sans risque, sans souffrance non plus que sans gloire ; qu'enfin la femme demeure toujours le symbole de cet écart qui est moins à entendre comme une faute que comme une destinée à accomplir.

Celle qu'Hésiode nommait καλὸν κακὸν - un si beau mal - concentre ainsi toute l'ambivalence d'une humanité démunie de tout attribut mais puissante pour cette raison même.

Au bilan

Décidément oui, une boîte de Pandore ! La place de la femme est trop à l'intersection de toutes nos représentations pour que toute remise en question ne nous mette en face de nos contradictions, incertitudes et préjugés. A ce titre, il en va de la question de la parité comme de celle de l'égalité : mise au fronton de nos édifices, ce terme clé de la devise républicaine fonctionne assurément mieux comme un idéal abstrait que comme une terre de conquête.

Que nous soyons encore si loin de la réalisation de la promesse républicaine atteste combien la République est encore un idéal vivant et riche de promesses d'avenir. Mais confirme aussi l'extraordinaire difficulté à revenir sur des structures mentales, idéologiques si anciennes.

Où se jouent la faiblesse du politique autant que sa grandeur.

 


1) voir la périurbanité pour rendre compte du vote FN

2) lire à ce propos notre contribution
Femmes et gouvernance : dilemme métaphysique

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