Chronique du quinquennat

Caïn et Abel

Les couteaux sortent de leur fourreau ! La presse s’en amuse, fait mine de s’en offusquer quand en réalité elle s’en délecte : qu’est la politique pourtant, sinon aussi la reproduction de l'antique duel en ces formes joliment civilisées où les morts ressuscitent.. parfois. Comédie ou tragédie qu'importe au fond : le rideau une fois tombé, la victime se relève et vient saluer à côté de son vainqueur. Qu'importe oui! mais qu'au moins le spectacle soit bon !

Ces deux-là ne s'aiment décidément pas de tellement patauger dans le même marigot... Ces deux-là se regardent à peine, scrutant juste celui des deux qui dégainera le premier.

On peut juste s'étonner de l'étonnement des observateurs. Rien de médiocre là dessous, seulement la tactique bien posée d'une banderille plantée au bon moment pour que l'adversaire ne parte pas trop tôt ou ne prenne trop d'avance.

Le premier, tout juste sorti de cinq années de collaboration, où il aura tout enduré, gai comme le canal, au charisme gourmé d'un notaire en deuil, l'air presque stoïque s'il n'affectait le dos voûté de ceux qu'écrase le destin ; on lui a prêté de l'habileté pour savoir se maintenir à Matignon cinq années durant : peut-être finalement n'eut-il que la besogneuse et paresseuse sagesse de l'huître qui s'accroche à son rocher faute d'ailleurs où rêver. L'oeil en coin souvent, de cette prunesse moins inquisitoriale que suspicieuse, il aura promené son ennui le long des dettes, des casses sociales et des bafouements. On avait reproché à Hollande de noffrir pas cette étincelle qui fît rêver ... mais lui ! Pour que le pays se donne à un tel président suintant le sacrifice et portant cilice et couronne sanguinolante, encore faudrait-il qu'il soit à ce point désespéré de n'entrevoir plus d'issue que dans le cloître !

Le second, lui, a le charme huilé d'un brocanteur sachant habilement dénicher dans son arrière-boutique quelque merveille qui pût vous complaire tout en contrefaisant un naturel qui lui est aussi étranger que la mansuétude à un usurier. Volontiers ironique, le plus souvent sacarstique, il a effectivement du prédateur cette hargne qui lui interdit de jamais lacher sa proie. Celui-ci mord la vie à pleine dent et sait dans l'attente de sa parousie se dénicher quelques délices succinctes dont il s'accommodera tout en ne quittant jamais des yeux l'horizon de sa proie. S'il fallait l'enfabuler, à coup sûr il ferait un bon renard quand l'autre, noir sur son promontoire, ferait un corbeau tout à fait respectable. Sinueux et insinuant, il manie la corde de la mauvaise foi avec la virtuosité d'une batterie fanfare tout en instillant cette once épigrammatique qui vous enrôle dans une invraisemblable connivence. Il a du charme assurément, plus que du charisme, ce charme enjôleur du camelot ou du bonimenteur dont l'agilité parfois amuse et fait tout pardonner.

Ces deux-là ont-ils des convictions ? De l'ambition assurément ! le second celle de la nonnette prompte à toutes les incartades pour circonvenir son prince ; le premier celle de Figaro, pour cesser au moins d'être le laquais des basses oeuvres !

Au fond ils se ressemblent terriblement ! Girard a raison ! Et c'est d'ailleurs pour cela que l'histoire peut commencer - ou recommencer. Qui, demain regardera l'autre dans la tombe ? Qui se croit aujourd'hui favori des cieux et le paiera de l'épaisse concupiscence de l'autre ?

On eût aimé que chacun représentât une orientation claire, une option tranchée qui le distinguât de l'autre. En ces heures où l'UMP se cherche et s'apprête sitôt les législatives passées, à la lente et lourde besogne de deuil en même temps que de labourage de ses fondamentaux ; quand son électorat, chose inédite, semble avoir été sensible à la fois aux mots d'ordre très droitiers de la campagne Sarkozy (frontière etc) et au ripolinage de respectabilité entrepris par le FN ; quand du coup se pose, pour demain, la question d'un virage à 180° où l'alliance avec l'extrême-droite ne serait plus un tabou, ... oui on eût aimé que l'un des deux au moins représentât la droite républicaine, humaniste comme aime à l'appeler Raffarin.

L'alternative eût au moins été limpide au prix d'un manichéisme bon tein : le bon d'un côté, fidèle aux valeurs ; le traître de l'autre en tout cas l'entremetteur, la brute prête à toutes les turpitudes et compromissions.

Les origines politiques de Fillon - son mentor n'a-t-il pas été P Seguin ? - en font un représentant putatif de la droite sociale ou si l'on préfère un réquisit lointain des gaullistes de gauche. C'est ce que l'opinion aime à croire - ou qu'on lui laisse volontiers accroire - pourtant rien dans ses actes politiques - ni durant son ministère 1 de 2003 ni durant les cinq dernières années à Matignon - ne laisse à penser qu'il jouât un quelconque rôle de modérateur social dans les réformes entreprises ; rien qui laissât supposer que dans le tandem formé avec Sarkozy il pût ou seulement voulût infléchir la ligne délibérément libérale. Au contraire ! Tout, de ses discours et de ses actes, le situe plutôt dans la ligne claire d'une rigueur à tout crin, lui qui dès 2007 affecta de proclamer qu'il était à la tête d'un Etat en faillitte. Sans omettre que ni pendant, ni depuis, il ne prit distance avec les thèmes de la campagne dont il vient de déclarer d'ailleurs qu'il les reprenait tous à son compte.

Alors Copé ? Il a pour lui d'avoir eu, en tant que patron de l'UMP, le sale rôle de l'aboyeur patenté dont l'outrance polémique était après tout le métier - il fallait bien d'ailleurs remplacer l'inénarrable Lefebvre, entré au gouvernement et qui ne pouvait plus répandre son atrabilaire bave d'acrimonieux. Par calcul, par fidélité, qu'importe, il fit son travail et mit l'UMP en ordre de marche non sans s'adouber ça et là ceux qui demain pourraient étoffer son écurie - mais n'est-ce pas ainsi que firent tous les patrons de parti ? Mais chez lui, rien non plus, hormis peut-être son histoire familiale qui devrait le prémunir des tentations frontistes, rien ni ses propos, ni ses actes, ni ses alliances locales ne laisse présager en lui un rempart contre le FN !

Alors quoi ?

Rien sinon cette antique adversité de ceux qui se ressemblent trop pour ne pas se haïr ; qui ne se haïssent peut-être même pas ou seulement pour la galerie ; qui, simplement se gênent. Ce n'est même pas le conflit oedipien qui se conclurait par la mort du père. Ils ne l'aimèrent ni l'un ni l'autre et je ne suis même pas certain que l'un fût plus favorisé que l'autre.

Rien, sinon qu'il faut bien que l'histoire se continue et qu'elle se continuera invariablement à l'ombre de l'absence du père. Encombrant, omniprésent, omniprésident, et désormais évanoui. Il va bien falloir créer un nouveau personnage, faire oublier les laquais que ces deux-là n'auront jamais désappris d'être.

Et comme toujours l'histoire commence par un meurtre. Il se prépare et tout le monde y assistera ; bientôt ! César n'ignorait rien de ce qui se trâmait. Nous non plus !

Cette histoire c'est l'autre versant de l'histoire ; c'est celle de l'opposition. Non pas seulement de l'opposition politique ; celle de la négation.

La dialectique est le langage des puissants qui se distribuent les rôles et les places, d'entre les grands et les moins grands ; la dialectique est un spectacle que par mansuétude les grands nous laissent regarder ; admirer ou détester. Exécrable rengaine des meurtres et des crimes, la dialectique s'offre l'apparence du changement pour mieux s'assurer de l'inerte.

Alors, à défaut de pouvoir l'interrompre, patientons et regardons ! De toute manière, ce spectacle, c'est nous qui le paierons ; nous qui l'endurerons !

 


1) où il fut ministre des Affaires sociales et conduisit la première des réformes des retraites.