Chronique du quinquennat

Mercredi 30 Mai 2012

Presse, pouvoir et normalité

Le pouvoir a changé : la presse va bien devoir s'y faire ! D'autre têtes ; d'autres manières de procéder. Cette fameuse volonté de normalité qui teste ses marqueurs et qui, en tout cas, laisse certains journalistes sur leur faim ; comme désemparés. Deux billets de F Fressoz sur le Monde - l'un du 25 l'autre du 30 mai - le laissent à penser.

On avait beaucoup souri il y a un an quand Hollande avait avancé ce thème de la présidence normale où l'on voulut voir, plutôt que la critique implicite de l'hyperprésidence Sarkozy, le côté étriqué du candidat Hollande dont certains ironisèrent à imaginer le costume trop grand pour l'homme.

Retour sur la normalité

A gauche, un Fabius dut bien ravaler son fiel - mais il avait déjà cassé Royal en 2007 par un médiocre mais qui va garder les enfants ? - et il faut bien admettre qu'il y a quelque délice à imaginer la contrariété de celui qui voulait tellement être ministre et qui l'est dans le traditionnel domaine réservé de la présidence ; aux ordres ! Celui qui était la promesse de modernité et de jeunesse en juillet 84 n'est plus qu'un éléphant has been et presque content de lui.

A sa façon, Fabius aura été un exemplaire tout à fait caractéristique de cette faune politique que sait engendrer la Ve République. Il n'a semblé trancher alors que parce qu'il faisait partie de la jeune garde d'une gauche fraîchement parvenue au pouvoir mais à sa façon il ressemblait, dans son camp, à ceux d'en face : ces Giscard des années 60 ; ces Chirac des années Pompidou ; ces Poniatowsky ou Lecanuet des années Giscard ... Brillants souvent, se sachant un avenir et pour certains se croyant un destin, tous furent le fait du Prince, et s'éveillèrent à son ombre. C'en sera bientôt fini de ces têtes bien faites, ce seront dès lors presque toujours des crânes d'oeuf, des têtes bien pleines de technocrates. Fini le temps de ces fins lettrés pétris d'histoire que furent des hommes comme De Gaulle, Mitterrand mais aussi Pompidou ou même Faure, Mendès ...

Non ceux-là crurent incarner la modernité - mot passe-partout servant souvent à camoufler les renoncements, compromis et autres petites trahisons - qui n'aura été que la mainmise de l'économie sur le politique et cet oubli si sot et cuistre d'une histoire qui ne manque jamais d'être tragique;

Le temps a passé et l'avenir qu'ils symbolisaient aussi : figures hâves, fantômes entêtés ... ils passent encore, distillant leurs amertumes

Etait-ce cela la normalité ? Cette incroyable ambition chevillée à l'âme ? cette mauvaise foi sartrienne du politique professionnel qui n'appréhende le réel que sous un angle unique comme si l'horizon humain était monocorde ou que la contradiction n'habillât jamais de contrariétés l'obstinée vacuité de l'effort humain ?

Non décidément nous ne sommes jamais clairs avec le pouvoir, non plus qu'avec les princes qui le détiennent. A la fois nous maugréons devant la morgue des élites mais nous ne désapprenons jamais d'aimer les ores et les fastes qui flattent l'illusion de nos grandeurs. Le pays n'a pas aimé le tapage sarkozyste ; il n'aimera peut-être pas tant que cela la normalité hollandienne. Après tout n'élisons-nous pas des hommes pour qu'ils fassent ce que nous ne pouvons faire : marquer notre temps. Nous n'aimons pas lus les rois fainéants que les touche-à-tout ; doit bien nous rester encore un peu quelque chose de la nostalgie du Roi Soleil ou de l'Empereur et si Monsieur Coty nous amuse, ce n'est que de honte escamotée.

Ambivalence, oui ! nous désirons en même temps les délices enivrantes de l'épopée et le douce tyrannie du quotidien

J'ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu'on ne l'imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu'il ne lui serait pas impossible de s'établir à l'ombre même de la souveraineté du peuple. 1

C'est l'histoire qui fait l'homme

Et si les périodes calmes suscitent des personnages médiocres, les grandes tempêtes nourrissent les personnages d'exception. Et nul doute qu'ici, l'habit faisant le moine, le personnage finira d'une manière ou d'une autre par sortir de la voie commune.

Je vous le dis, le président normal ne le sera pas longtemps. Parce que la fonction ne l’est pas. Et il nous importe assez peu de savoir, en tout cas moi, il m’importe assez peu de savoir si François Hollande prend l’avion, la voiture ou le bus (Fillon)

C'est ici la thèse classique de la droite qu'avait proclamée Sarkozy durant toute la campagne : le job n'est pas normal ! Ce qui est à la fois vrai et faux.

Faux parce qu'indéniablement dans une démocratie digne de ce nom notre rapport au pouvoir devrait se faire avec plus d'équanimité et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la presse a apprécié que la première intervention se fasse à l'ordinaire, par le journaliste habituel. Non plus que Hollande ait substitué, l'air de rien, le qualificatif de simple à celui de normal. (écouter)

Vrai parce qu'on ne fera pas qu'en face du pouvoir, journalistes comme électeurs n'attendent pas plus : c'est exactement ce que semble écrire Fressoz

Dans l’immédiat, le pays y trouve son compte. Il renoue avec l’apaisement après des années de tension . Très vite, cependant, va se poser la question des temps morts et donc de l’ennui et donc de l’impuissance. *

Comme s'il n'était d'autre choix qu'entre l'ennui d'un côté et l'hyperactivité tapageuse de l'autre ; entre l'impuissance et l'omnipotence du thaumaturge ; ou que la presse en vînt presque à regretter Sarkozy qui, il faut le dire, aura été un bon client fournissant tout au long des cinq années de son mandat matière à déluge de papiers, de petits scandales, de grosses indiscrétions, d'aimables vulgarités ou d'insondables brutalités.

C'est que le pouvoir n'est tangible que lorsqu'il se manifeste et ne le peut qu'engoncé dans le faste d'un protocole - rituel de la modernité républicaine - et par l'irruption dans le temps agité des chroniques quotidiennes d'une parole. Nous ne sommes sans doute pas encore sortis des canons de la Révélation encore moins de ceux de l'Incarnation : la parole descend vers nous et sera d'autant plus un acte qu'elle se fera rare et concise. Ce fut l'erreur, maintes fois soulignée ici et qu'il reconnut au détour d'une interview durant la campagne, de Sarkozy d'avoir confondu les fonctions présidentielle et ministérielle ; le temps court du politique et le temps long du social (2) la présidence se situant précisément à l'intersection de ces deux temps-là, chargée à la fois de fixer le sens et de définir un cap, laissant au gouvernement le soin de gérer l'ordinaire, la mise en application, les contradictions - bref le réel ! La presse cherche le scoop, le sensationnel, le décisif de préférence polémique : elle devra réapprendre à le chercher ailleurs - du côté de Matignon.

C'est dans ce sens que Fillon a raison : plus la parole présidentielle se fera ordinaire plus la présidence perdra de sa superbe et engendrera la déception. Elle est miraculeuse, par définition, et je ne suis pas certain que l'oeuvre de désacralisation soit oeuvre pie. Il faut réécouter les conférences de presse de de Gaulle pour s'apercevoir à quelle hauteur sidérale elles se situaient, le Général préférant manifestement les grandes fresques historiques, les mises en perspectives débouchant sur la petite phrase que tout le monde retiendra, plutôt que sur l'annonce de quelque décision que ce soit. C'est, manifestement, ce que Hollande tenta l'autre soir, mais n'est pas de Gaulle qui veut.

Se redessine en réalité un partage des pouvoirs au sein de l'exécutif - on verra après les législatives si la promesse d'un rééquilibrage parlementaire sera tenue, ou seulement possible - que la presse devra réapprendre. Et nous avec. Car il ne faut jamais oublier que la présidence sous la Ve est à la fois de guide et d'action mêlée, d'arbitrage et de légitimité et que l'équation est presque introuvable de cet arbitrage qui ne soit pas en même temps juge et parti. Il y a de l'équilibrisme là dessous. Il s'accommodera aisément de l'apaisement ; pas de la banalisation. La parole présidentielle pourra sans encombre s'ajuster à des mises en scène plus classiques, elle n'en devra pas moins demeurer rare, sibylline et prospective.

Alors oui, c'est vrai, Hollande n'a pas dit grand chose : il n'était pas là pour cela. Mais seulement pour apparaître dans ses nouveaux habits. La période est encore de transition tant que la chambre n'aura pas été élue. Il est pour le moment le symbole de la continuité de l'Etat.

C'est un symbole que nous avons entendu.

Normalité encore

On parle bien d'école normale , de Normale Sup' : on voit bien qu'ici normal signifie qui fixe la norme ; qui sert de modèle. Au même titre qu'un leader dans une entreprise, un président pose sa marque, crée un style, et finit par entretenir un type de rapport notamment avec les journalistes qui couvrent son actualité. On sait ces rapports de connivence, de méfiance, d'admiration parfois, entremêlés tant ceux-là dépendent étroitement les uns des autres. Pas de politique sans presse ; l'inverse vaut éminemment. Il est de notoriété que Sarkozy chercha d'emblée la connivence durant la campagne de 2007, qu'il la perdit progressivement une fois parvenu au pouvoir au point de flairer un complot médiatique ... Mais en ceci il fut tout sauf original : tous ses prédécesseurs connurent cette même pente d'amoureux éconduit - et son successeur bientôt sans doute. Il est de notoriété que la presse fut au début subjuguée par le personnage, son abattage et son style si particulier - sans qu'il faille nécessairement y voir nécessairement servilité courtisane ou cauteleuse obséquiosité ; qu'en fin de mandat elle se retourna assez massivement contre lui, agacée comme par dépit amoureux. Presse et pouvoir se soutiennent l'un l'autre comme la corde le pendu - décidément. **

Hollande fera ce qu'il voudra, pourra, croira devoir faire mais la presse en face devra en même temps s'habituer, aimer parfois, ne pas détester au début et s'irriter à la fin d'une nouvelle manière de faire, d'une nouvelle règle du jeu. Normal en ce sens. Fressoz a raison :

Depuis des années, les gouvernants luttent contre ce sentiment pernicieux que les politiques n’ont plus de prise sur rien. Ils tentent de combattre la maladie de l’impuissance politique qui sape les fondements démocratiques.

Ils ont cru à un moment pouvoir tromper la mort en accélérant le tempo, en agissant vite, en s’exposant au maximum. L’instauration du quinquennat en l’an 2000 a été une forme de réponse à la dépression dans laquelle s’était installé le septennat chiraquien.

Il va falloir apprendre la lenteur, le temps long de la concertation, du débat, des contradictions et des incertitudes ; apprendre à douter aussi.

La presse aura du mal ! Hollande sans doute aussi qui courra à chaque instant le risque d'être emporté par le maelstrom des événements. Y parviendra-t-il qu'il sera président à pouvoir marquer son temps ; y échouera-t-il qu'il sera emporté par lui !

Simplement !


1) Tocqueville : lire le passage entier

2) ce que nous en écrivions dès 2008


2 billets de Françoise Fressoz

Le gouvernement et l'apprentissage de la patience
25 Mai

C’est toujours un régal d’observer les premiers pas d’un gouvernement, de voir comment les ministres s’installent , prennent leur marque, tentent de prouver à leurs concitoyens qu’eux vont réussir là où leurs prédécesseurs ont échoué .

Depuis des années, les gouvernants luttent contre ce sentiment pernicieux que les politiques n’ont plus de prise sur rien. Ils tentent de combattre la maladie de l’impuissance politique qui sape les fondements démocratiques.

Ils ont cru à un moment pouvoir tromper la mort en accélérant le tempo, en agissant vite, en s’exposant au maximum. L’instauration du quinquennat en l’an 2000 a été une forme de réponse à la dépression dans laquelle s’était installé le septennat chiraquien.

Les « cent jours » de Dominique de Villepin en 2005 ont été une réponse au triomphe du non au référendum sur le traité constitutionnel européen: une rafale de décisions marquées du sceau du « patriotisme économique » pour bien montrer que la France bougeait encore.

L’hyperprésidence Sarkozy a poussé la logique jusqu’à l’extrême : un seul homme en action, exposé à tous les vents, sans parapluie, prenant une décision par jour, se déplaçant partout. Le tout pour arriver lessivé à la fin du quinquennat et sans résultat probant .

Il fallait rompre avec cette fuite en avant, retrouver la maîtrise du temps, jouer la retenue et le long terme et miser sur eux avec d’autant plus de conviction que dans l’immédiat il n’y a rien de bon à promettre puisque les caisses sont vides .

Le temps long fonde l’action de François Hollande mais on ne change pas d’un coup les habitudes : à peine nommé , Vincent Peillon, le ministre de l’éducation nationale, a annoncé la fin de la semaine de quatre jours.

Manuel Valls, le ministre de l’intérieur , a multiplié les visites de terrain exactement comme le faisait en 2002 Nicolas Sarkozy lorsqu’il occupait la même fonction . Et Arnaud Montebourg a convoqué les partenaires sociaux chez lui au ministère du redressement productif sans attendre que le premier ministre donne le « la ».

Tous les trois se sont faits gentiment recadrer: il faudra jouer collectif, respecter le temps de la concertation, attendre les arbitrages. Bref, être patients. Toute une rééducation à faire.

Dans l’immédiat, le pays y trouve son compte. Il renoue avec l’apaisement après des années de tension . Très vite, cependant, va se poser la question des temps morts et donc de l’ennui et donc de l’impuissance. *

La prime à la concertation ne peut réussir que si les corps intermédiaires gagnent en légitimité et acceptent de participer à la redéfinition du contrat social. C’est le pari de François Hollande mais cela ne dépend pas que de lui.

 

Les limites de la présidence normale
30 mai 2012

Ce mercredi 30 mai, la droite redresse la tête. Elle ironise sur le mauvais score de François Hollande.

La veille au soir, 6,23 millions de téléspectateurs étaient devant leur poste pour regarder la première intervention télévisée du président de la République nouvellement élu.

Autant dire un bide comparé aux 11,6 millions que Nicolas Sarkozy avait attirés cinq ans plus tôt, le 20 juin 2007, pour sa première intervention de président, juste après les législatives.

C'est le revers de "la présidence normale" revendiquée par François Hollande durant toute sa campagne. La normalité frise la banalité. "Qui était au courant de son intervention ?" s'interroge un élu socialiste qui trouve bien modeste la publicité faite autour de ce premier rendez-vous médiatique.

Un autre se demande s'il était opportun que le chef de l' Etat s'exprime le jour où son premier ministre réalisait lui aussi une grosse opération médiatique en faisant défiler à Matignon les partenaires sociaux, pour bien marquer une rupture de style avec la fin de la présidence Sarkozy.

Bref, l' exercice de communication élyséen n'a pas donné entièrement satisfaction. Il visait pourtant à tirer partie des premiers pas réussis du président sur la scène internationale pour amener les Français à lui accorder "une majorité large, solide et cohérente" lors des élections législatives des 10 et 17 juin.

En réalité, la difficulté tient à la place que doit s'accorder le président de la République durant cette période électorale. Est-il le chef de guerre qui doit conduire la campagne législative ou le président au dessus de la mêlée ? François Hollande a voulu jouer un peu des deux, ce qui est toujours un peu compliqué.

Il a surtout voulu prolonger sa campagne présidentielle qu'il a remportée sur un style : le président normal face à l'hyper président. Il s'est projeté dans le combat législatif en usant du même argument : la "présidence simple" par opposition à la présidence hypertrophiée de son prédécesseur.

Mais il se trouve que la droite a tourné la page du sarkozysme, que les législatives ne sont pas la présidentielle et que la normalité n'est pas un argument pour obtenir une large majorité.

L'argument décisif pour la décrocher c'est la difficulté des temps, autrement dit la crise de l'euro et des dettes souveraines qui imposent une unité de commandement et une rapidité dans la prise de décision, contraire aux us de la cohabitation.

Mais le dire aurait eu pour effet d'inquiéter l'électeur au lieu de l'apaiser.

Le contraire de "la présidence normale".


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Normalité à définir

organisation Elysée