Histoire du quinquennat

Une présidence "normale" qui reste à définir
LE MONDE | 04.06.2012

Valéry Giscard d'Estaing, qui voulait "décrisper" la société, souhaitait aussi que cette décrispation eût pour objet la fonction présidentielle. Nicolas Sarkozy, adepte de la "rupture", pensait que celle-ci devait également s'appliquer à l'exercice du pouvoir : le 7 janvier 2009, devant des parlementaires, il avait revendiqué le qualificatif d'"omniprésident" : "Je préfère que l'on dise cela plutôt que le roi fainéant : on en a connu." Jacques Chirac avait apprécié.

François Hollande, lui, répète depuis des mois qu'il se veut "normal". Ce fut un argument de campagne. C'est sa ligne de conduite en tant que président.

Près de trois semaines après son entrée en fonction, plusieurs signes ont été donnés pour incarner cette prétendue "normalité". Au lendemain de son installation à l'Elysée, M. Hollande a ainsi tenu à rendre visite à chacun des employés de la présidence. Cette volonté de "faire simple" en interne a déjà eu son pendant à l'extérieur : c'est dans le même objectif que le président a souhaité se rendre, mardi 29 mai, sur le plateau du "20 heures" de France 2 plutôt que de répondre à des journalistes depuis l'Elysée.

Interrogé sur sa conception de l'exercice du pouvoir avant le premier tour, M. Hollande confiait au Monde la chose suivante : "En 1981, François Mitterrand avait besoin de montrer qu'un homme de gauche pouvait se hisser à la fonction de président, qu'il avait tous les attributs du pouvoir, il entendait pour cela l'assumer pleinement. Aujourd'hui, les choses sont différentes : l'alternance est passée par là : il ne faut pas dévaluer le pouvoir, mais il n'y a pas le même besoin de mise en scène."

Quand M. Hollande assure, notamment devant ses collaborateurs vendredi 1er juin, qu'il souhaite un "retour à la normale" dans la pratique du pouvoir, son propos est toutefois plus ambivalent qu'il n'y paraît. Et ce pour deux raisons. La première est qu'il semble partir du présupposé que le "normale" équivaut à l'avant-Sarkozy. Or l'histoire de la Ve République montre qu'avant celui-ci, toutes les configurations ont existé en matière d'équilibre des pouvoirs, et que chaque président a adapté sa conduite aux règles qu'il s'était fixé : la "décrispation" de 1974 n'a ainsi aucunement empêché Giscard de se monarchiser.

La deuxième raison est que certains actes, d'ores-et-déjà, détonnent. Même si l'Elysée assure que telle n'était pas sa volonté, le fait que M. Hollande intervienne à la télévision le soir-même des rencontres organisées par Jean-Marc Ayrault avec les partenaires sociaux, en profitant pour annoncer qu'il présiderait lui-même le sommet social du mois de juillet, a bien montré qu'il n'entendait pas être absent sur ce dossier. Il en va de même de sa décision de recevoir, ce lundi 4 juin, l'intersyndicale d'ArcelorMittal. N'est-il pas contradictoire de vouloir restaurer l'autorité du gouvernement et de recevoir à l'Elysée les acteurs d'un dossier "chaud" ? "C'est exceptionnel, assure l'Elysée, François Hollande est allé à Florange pendant la campagne, c'est un dossier qu'il a suivi personnellement. Ce ne sera pas un cas d'école."

Mais la tâche risque d'être difficile, tant l'activisme de Nicolas Sarkozy sur les sujets médiatiques a marqué l'opinion.

Pour prouver sa volonté de ne pas marginaliser le premier ministre, l'Elysée assure que n'auront pas lieu, comme sous M. Sarkozy, des réunions matinales en présence de quelques ministres proches du chef de l'Etat mais sans le premier d'entre eux. Une "réunion d'articulation" avec Matignon est prévue chaque semaine en présence des principaux membres des deux cabinets.

Pour l'Elysée, il s'agit de "fluidifier" les relations entre les deux têtes de l'exécutif. Seul l'usage dira si cette "fluidification" débouche sur une relation équilibrée. Si ce principe est respecté, la présidence normale sera en fait une anomalie dans l'histoire de la Ve République.