Chronique du quinquennat

Dimanche, 3 Juin, 2012

Villes, banlieues et péri urbain ...

Un article dans le Monde de ce week-end sur cette réalité difficile à saisir, qu'est le péri-urbain. Un article, aussi, à relier à ces autres, mettant en évidence le lien entre péri-urbanité et FN

Le péri-urbain ce n'est pas la banlieue qui jouxte la ville, barrée d'immeubles HLM, c'est plutôt cet espace mal défini et plus encore malaisément définissable, très à l'écart de la ville, éloigné jusqu'à près de cent km, qui perfore l'espace rural de ces lotissements, de ces communes qui n'en sont pas vraiment, où l'on trouve, juxtaposés pavillons et jardins, mais ni toujours école, bibliothèque ou commerces, ni véritables centre ou équipements communaux où la population pourrait se retrouver.

C'est l'espace des classes moyennes et moyennes inférieures, classe à qui on a fait miroiter les délices d'être propriétaire et qui ne désirèrent rien tant que de quitter la banlieue - dès que possible. Espace de transition ou plutôt de trajectoire mais où ne travaille ni ne s'amuse - il n'y a rien - où la voiture compte presque plus que la maison, où en tout cas l'une ne peut aller sans l'autre et, le plus souvent, les autres.

C'est sans doute ceci que scrutent les sociologues : l'éventuelle invention d'une nouvelle façon de vivre la ville, l'invention d'une nouvelle urbanité, ou au contraire sa totale négation. C'est qu'il y a effectivement de quoi s'interroger :

- le pavillon tant désiré devient moins un lieu de vie qu'un refuge, cloîtré qu'il est derrière les grillages haies ou barrières

- les espaces sont toujours fermés et si des routes dorment réseau c'est toujours pour relier à la ville où l'on travaille, achète, s'amuse ...

- les habitants ne s'y croisent pas ou si peu et mis à part les jeunes enfants jouant dans la rue, rares sont les lieux de rencontre.

- les habitants ne participent pas à la vie locale - quand il y en a une - et sont bien plutôt des consommateurs du lieu.

C'est en réalité un espace fermé surtout que dessine cette péri-urbanité: lieu refuge, lieu de repli où l'on tente de fuir à la fois l'agression de la ville, mais aussi l'autre, le plus pauvre que soi et qui pourrait vous rappeler à la fois d'où vous venez et où très vite l'on pourrait retomber. Classes moyennes aux revenus oscillant autour des 2500€, endettées à la fois par le crédit immobilier et les lourdes, vraisemblablement de plus en plus lourdes, d'ailleurs - charges de transport que leur exil a suscitée.

Ici, comme souvent, on peut considérer le phénomène avec l'atermoiement du pessimiste devant la bouteille à moitié vide ; on peut aussi y voir l'émergence lente et inachevée d'une autre forme d'urbanité. A voir.

Il n'empêche que ces dans ces lieux que le vote FN a le plus prospéré ces dernières années au point que la grille spatiale - l'éloignement par rapport au centre urbain - semble dessiner parfois mieux les conquêtes électorales du FN que les repères socio-économiques traditionnels.On a sans soute ici une illusion d'optique : je crois d'autant moins au seul paramètre géographique qu'il recoupe en réalité le repère social : ceux qui habitent cette zone péri-urbaine sont précisément ces classes moyennes qui ont fui la ville ou la banlieue à la fois pour des raisons économiques (loyers et foncier trop élevés) et des raisons sociales - sentiment d'insécurité qui ne recoupe pas seulement la crainte de la montée de la délinquance mais aussi celle de la précarité professionnelle.

Dans ce pays qui a aisément l'unité à la bouche et de rêve que de l'indivisibilité de la République, c'est assurément ceci qui paraît le plus grave : on ose à peine utiliser le terme fracture tant ce dernier fut galvaudé depuis la campagne chiraquienne de 1995, mais c'est pourtant de quelque chose de cet ordre dont il est question au moins autant que de la grille géographique.

Ph Ariès avait en son temps, dans Histoire des populations françaises, analysé comment Paris s'était construit à partir du développement des transports, notamment ferrés, par le déplacement des populations ouvrières d'abord vers les arrondissements périphériques puis, en étoile le long des voies ferrées nouvellement créées, à l'extérieur de Paris. Comment la stratification sociale d'abord verticale s'est progressivement faite horizontale rejetant les classes populaires vers l'Est quand les classes aisées soit demeuraient au centre soit rejoignaient l'ouest parisien.

On peut faire le parallèle avec aujourd'hui : cette péri-urbanité est la conséquence à la fois de la hausse continue de l'immobilier à Paris et en proche banlieue et de la généralisation de la voiture avec un prix de l'essence longtemps bas, en tout cas accessible et, enfin, de la dégradation des cités HLM hâtivement construites dans les années 60.

Derrière tout cela il y a, c'est vrai, une crise de l'urbanité : ni les grands ensembles ni les villes nouvelles n'ont véritablement réussi à se construire une identité qui en fît un lieu de vie sociale désirable et la crise rampante depuis les années 70 n'aura pu qu'accélérer le sentiment d'une ghettoisation. Mais derrière tout cela, il y a donc aussi un mouvement négatif : ces lieux sont moins désirés pour eux-mêmes que pour la fuite qu'ils autorisent des espaces suburbains. Le choix est négatif. Le plus souvent. Exilés, exclus, les périurbains n'ont ni la ville, ni la campagne, reclus qu'ils demeurent dans ces espaces vides qu'ils parcourent en tout sens à prix de plus en plus prohibitif. Qu'on ne s'y trompe pas en effet, l'augmentation inéluctable du prix de l'essence fera de la péri-urbanité un luxe que ces populations auront de plus en plus de mal à se payer : prises au piège, elles sont les victimes de la modernisation économique et de la mondialisation.

Ce qu'il y a ainsi derrière le vote FN péri-urbain ce n'est donc pas seulement le cri de ces couches sociales abandonnées - ce en quoi le FN n'est pas qu'une resucée du poujadisme des années 50. On a ici affaire à une population qui a pris de plein fouet la désindustrialisation et la globalisation financière, qui éloignée des centres urbains et des services publics qu'ils offrent, même dégradés, peut aisément être sensible aux appels à la sortie de l'euro, de l'Europe, et à un retour à une société fermée dont la fixation sur la question de l'immigration est un puissant révélateur. En face de cette population péri-urbaine, on a effectivement, couche plus aisée, moins violemment affectée par la crise, ceux que l'on appelle paresseusement les bobos, qui sont en réalité les classes moyennes supérieures. Villes monde d'un côté, connectée en permanence à tout et à tous, ivres de modernité, de rapidité, terreau incontestable du libéralisme et du social-libéralisme ; péri-urbanité de l'autre, fermée, craintive.

Oui, la fracture est là ! potentiellement dangereuse.

Et ce sera sans doute toute la tâche de la gauche dans les cinq ans à venir, de reconnecter ces espaces, de convaincre ces populations qu'elles ne sont pas délaissées si elle veut, d'une part, pouvoir gouverner dans la durée ; d'autre part éviter la montée plus ample encore du vote FN.

Il n'est décidément jamais sain quand une partie de la population se sent délaissée, ne participe plus à l'histoire commune voire tente même d'y échapper.

Ce qui rejoint tellement cette constatation maintes fois faite que nos sociétés ont désormais grande difficulté à faire groupe comme si la modernité en inventant un espace global nous avait fait prendre conscience que la question n'est plus tant celle de l'autre que celle du proche et qu'il est décidément difficile de s'accommoder du proche quand on peut toujours s'arranger avec le lointain autre quitte d'ailleurs à le rejeter. Car le risque est ici, non ailleurs : dans ce rejet du proche vers la catégorie du lointain à qui bientôt on ferme la porte.


1) lire

2) lire Christophe Guilluy Fractures françaises, Bourin éditeur, 2010

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