Chronique du quinquennat

Raccourci

Plutôt terrifiants ces deux titres juxtaposés :

La biosphère mondiale à la veille d'une crise "irréversible" dans le Monde du 7 Juin ; et dans Libération du 8 celui-ci : Hollande craint un «échec» du sommet de Rio

Deux titres qui résument à eux seuls la croisée où nous nous trouvons et l'incapacité seulement d'en prendre la mesure. Car le fossé est sidéral entre la catastrophe annoncée et l'inanité des mesures prises qui de toute manière sont trop tardives - avant même d'être insuffisantes - et le refus plus que l'impuissance que nous manifestons à placer la question environnementale au coeur de nos préoccupations.

Si la récente campagne présidentielle est révélatrice de quelque chose, de ce point de vue, c'est bien de cela : il aura suffi des premiers coups de semonces sur la zone euro et d'une campagne très droitière sur les valeurs pour qu'immédiatement la question disparaisse des préoccupations et des discours, que la campagne d'E Joly devienne inaudible au point que de la crise aux valeurs cette campagne fut celle de l'esquive.

Positive néanmoins la reprise de la thématique environnementale par Mélenchon : elle montrait que la question n'était pas le pré carré d'une secte confidentielle mais bien au contraire le problème concernant tous les camps ; d'autant plus significative que le PC aura toujours été classiquement productiviste et industriel peu sensible aux questions environnementales ; d'autant plus sensible que Hollande s'était fait plutôt discret lui que l'on sait plutôt enclin à reprendre les vieilles recettes où l'écologie avait peu sa part.

Positive de ce point de vue la nomination au Ministère non pas d'une écologiste mais de Mme Bricq spécialiste de la question certes, mais pas estampillée écologiste - ce qui fut une autre manière symbolique encore mais essentielle de marquer la question comme commune sinon centrale. Elle ne s'y trompe pas d'ailleurs elle qui énonce que c'est une autre manière de signaler la conversion idéologique du PS.

Tout aussi positif le soin par elle marqué de se méfier de ce que développement durable peut avoir de clinquant mais de trompeur et de lui préférer transition écologique. Car c'est bien de cela dont il s'agit : à la fois nous sortir de la crise financière qui par ses allures dramatiques prend désormais des allures d'urgence, sauver ce qu'il reste d'Europe au moment où tout craquelle, réindustrialiser le pays à un moment où il semble presque disparaître du commerce mondial, sans négliger jamais la question environnementale. Même si elle se méfie de la croissance verte pour ce que le terme cacherait de solutions éculées du productivisme ambiant, penser la réindustrialisation en terme de transition marque la volonté en tout cas - il sera toujours temps demain d'en mesurer la traduction - de concilier à la fois les impératifs économiques, sociaux et environnementaux. C'est ici l'essentiel.

Il n'empêche : politiquement la situation est loin d'être mûre et l'opinion publique assez aisément encline à voter écologiste aux scrutins secondaires, déserte les thématiques environnementales sitôt l'enjeu présidentiel posé. Est-ce la pusillanimité du camp vert dont la maturité politique est encore à prouver qui rebuterait l'électorat ou plutôt l'idée que l'environnement, en dépit des signes tangibles, ne serait pas encore une préoccupation centrale ? toujours est-il qu'elle ne semble pas encore disposée à confier les rênes du pouvoir à un écologiste ...

L'écart demeure, toujours aussi puissant entre la catastrophe annoncée et la propension dilatoire. Et ce ne sont certainement pas les saillies intempestives d'une C Duflot sur le cannabis qui pourront arranger les choses ...

Paradoxe ou dialectique ?

Il n'empêche : on peut avoir un raisonnement à la Morin et espérer que ce soit précisément la complexité tragique de la situation qui nos permette de trouver l'issue. Il est évident en tout cas que l'immensité du chantier qui, plutôt que de transition, devra entamer un véritable bouleversement de nos modèles de croissance met le pouvoir actuel devant des choix cruciaux qui feront de ce quinquennat ou bien un temps de refondation ou bien un échec cuisant qui nous fera perdre notre temps.

Il n'est pas faux que la situation offre d'autant plus d'alternatives qu'elle ressemble à une impasse mais jamais le conflit entre la volonté politique et la sagesse technicienne n'aura été aussi puissant ! jamais les intérêts immédiats ne télescopent autant les nécessités à long terme ! jamais les classes possédantes et dirigeantes n'auront été aussi violentes dans leur acharnement à mépriser ce qui n'est pas elles ! Jamais la confusion idéologique enfin n'aura été aussi forte - ce qui n'arrange pas les choses.

Il faudra au pouvoir bien de la rage, bien de la volonté bien de l'esprit de suite

En aura-t-il la détermination ? le courage ?

Je n'ose l'espérer ! J'ai peine à y croire !