Chronique du quinquennat

Eloge de la lenteur

Wolton sur France Culture évoque la communication en quoi il déclare ne pas croire et fait au passage, un superbe éloge de la lenteur. Revenons-y !

Parce que nous avons suffisamment insisté ici sur le danger qu'il peut y avoir dans la fascination pour la technique, que nous avons relevé à maintes reprises la nécessaire distinction entre le temps long de la société et le temps court de la politique médiatisée, et, qu'enfin, nous avons relevé le point de non retour souvent atteint où le brillant artifice du coup de com finit par se retourner contre lui-même au point de rendre la parole inaudible et la communication totalement inefficace.

L'incommunication

Vieille rengaine de philosophes, dira-t-on aisément ! Peut-être ! Pourtant ce serait vain - terriblement sot mais si universellement cuistre - que d'imaginer présomptueusement qu'il suffirait de savoir parler pour aisément communiquer. Ce n'est pas parce qu'il a deux pieds que l'homme est cordonnier avait coutume de dire Hegel : oui ! décidément, autant pour la parole que pour la pensée il faudrait pouvoir plaider pour une professionnalisation. Ni l'une ni l'autre ne sont chose aisée, ne sont spontanée ; ne sont jamais achevée. Nous échouons à l'une autant qu'à l'autre, à la mesure des méditations que nous publions et du déluge de bruits que nous suscitons.

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Je crois bien que ce qui distingue l'approche philosophique de l'approche techniciste tient à ceci, à cette résolue prise en compte du facteur humain qui suppose l'approche de l'altérité de l'autre, qui tienne compte toujours de ce qu'il y a d'incommuniquable en cette altérité quand le technicien aura toujours tendance à supposer qu'elle ne tiendrait qu'à la fiabilité de l'outil, et donc à sa rapidité.

Je ne tiens pas du tout pour un hasard qu'il en aille de même pour la raison dont le philosophe sait - au moins depuis Kant - qu'elle ne peut tout et qu'il y a bien un moment où il lui faudra l'abolir pour laisser sa place ... à la foi, disait Kant, au préjugé ou au sentiment. Bref à la tolérance.

C'est bien réintroduire la question de l'autre sous la forme du destinataire. Et c'est bien ici où se joue l'essentiel : où le technicien ne voit que message et tuyau, le philosophe cherche l'autre et sait bien qu'il ne suffira jamais de dire, voire de bien dire, ni pour être entendu, ni, encore moins, pour être approuvé. C'est nous placer au centre de la communication avec toutes nos contradictions.

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Hermès, celui qui se tient à la porte, à l'intersection entre l'intérieur et l'extérieur, celui qui met à la fois en danger et offre de nouvelles perspectives, celui qui n'est jamais où l'on croit, résume effectivement assez bien l'incroyable propension à communiquer de l'humain qui se constitue en tant qu'homme dans ce rapport à l'autre qu'il appelle et y échoue, nonobstant. Wolton n'a pas tort de relever ainsi l'écart de plus en plus violent entre la fiabilité croissante de nos outils de communication et la faiblesse où nous sommes reclus, écart qui nous fait sans doute sombrer plus aisément du côté de l'illusion machiniste et technicienne. Qui nous fait en tout cas multiplier les tuyaux comme pour mieux combler la vacuité sidérale de nos approches.

La grande différence entre publicité ou information et dialogue tient en ceci que le dialogue est une relation réciproque, mutuelle qui est un appel à l'autre, une recherche de l'autre. C'est pour cela qu'il est éminemment politique.

Retour à la lenteur

Mais précisément : dialoguer avec l'autre c'est mesurer la différence, et tenter de convaincre. C'est donc argumenter qui est bien autre chose que de chercher la formule choc mais au contraire partir de la position de l'autre, chercher des arguments contraires, délier la thèse ... bref prendre du temps. C'est supposer que si l'autre ne pense pas comme vous ce n'est pas par sottise ou malignité et qu'il a des raisons de penser comme il le fait, même si on les juge erronées. Le dialogue est un chemin, une ouverture à la différence ; il est négociation.

Voici qui nous engage : à l'intersection de la politique, de la culture et de la pensée ; à l'endroit même où se croisent volonté, désir et besoin ; au lieu même où l'homme se distingue de la chose.

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Tout dans la modernité pousse au vertige : le rythme échevelé des échanges et des productions ; les avancées technologiques de plus en plus rapides qui démultiplient sinon notre efficacité en tout cas l'illusion de notre pouvoir ; la bascule financière de l'économie mondiale qui réagit à la nanoseconde près et peut faire et défaire des situations que l'on croyait assises ; des fortunes que l'on imaginait installées ; des nations que l'on imaginait solides. Tout, dans l'économie comme dans le social nous entraîne dans ce vertige de la vitesse, de la réaction immédiate, de la précipitation anxieuse au point de laisser sur les bas côtés tous ceux qui - les anciens notamment - ne parviendraient pas à suivre ce rythme échevelé.

Rêve aussi fou que prométhéen que celui de cette conquête de l'immédiat car elle implique autant l'absence de temps que celle d'un intermédiaire. Rêve fou et politiquement sulfureux où nous entraîne notre idolâtrie technicienne.

Est-il besoin de dire combien la relation humaine, amicale comme amoureuse, est affaire de temps, de tours et de détours, de transactions et d'atermoiements ? de rappeler combien la pensée est affaire de recul, de prudence, d'hésitations et de retour en arrière, de preuves et d'épreuves ? comment la démocratie ne peut fonctionner sans ces intermédiaires qui relaient la volonté générale, qui échangent, discutent, amendent et parfois s'opposent.

Oui à l'intersection de la pensée, de l'amour comme de la démocratie, il y a le temps, étale, lent, des transformations profondes.

En deçà de l'écume agitée de l'actualité, le temps long des hommes, de la nature et des société. La précipitation actuelle est névrose d'adolescent capricieux et je m'étonne parfois que nos sociétés vieillissantes en soient encore restées à cet empressement qui ne peut, demain, que les engloutir.

Lafargue a pu écrire autrefois l'éloge de la paresse ; il faudrait écrire aujourd'hui celui de la lenteur !

La Fontaine nous avait pourtant prévenus et Tocqueville l'aura eu superbement théorisé. L'effervescence n'est qu'apparence qui souvent laisse les couches profondes intactes. Nos sociétés, les hommes, souffrent de ce décalage grandissant entre le temps de leurs entrailles et celui de leurs échanges. A la fin, on le sait c'est la tortue qui l'emporte : on aimerait que ce fût encore vrai ; qu'il ne fût pas trop tard.

Parallèlement les grands bouleversements de nos couches profondes (disparition de l'agriculture ; prolongement de l'espérance de vie ; médecine efficace) passent inaperçus qui pourtant auront en très peu de temps radicalement modifié nos moeurs, nos sociétés.

Paradoxalement cette époque est incapable d'envisager autre chose que le sempiternel retour de la même agitation, incapable de percevoir sa propre fragilité dans un environnement qui la menace. L'urgence écologique nous ressemble à qui pourtant nous ne nous résolvons pas même à croire.

Que justement réapprendre la lenteur ne soit pas une retraite ni un éloignement mais au contraire un appel de l'autre, à l'autre a quelque chose de réjouissant et de prometteur.

Cette génération qui n'a jamais désappris d'être ado et de courir après son impatience, apprendrait-elle au moins à vieillir ?

Ce serait bien étonnant même si souhaitable !

 

 

 

 

 

 

 


1) Rousseau

L'humanité commence au dialogue