Elysées 2012

Ecologie

Le Monde du 8 avait planté le décor : estimant que l'écologie n'occupait pas suffisamment de place dans la campagne, le journal a fait le point des programme des différents candidats ; commencé par un éditorial joliment rageur reprenant en titre la phrase prononcée par Chirac au Sommet de la Terre de Johannesburg (1) .

Sans aller jusqu'au point de vue de D Simonnet qui estime que l'écologie politique n'existe plus on peut néanmoins s'interroger et tenter d'éviter quelques écueils.

Deux erreurs à éviter

- ne pas raisonner sur le court-terme. La question environnementale est suffisamment complexe et décisive, mais aussi tellement inédite dans nos cultures, pour qu'on puisse comprendre qu'elle ait peine à se frayer un chemin dans nos consciences, nos mentalités, nos débats. On part de tellement loin - le problème semblait fantasmagorie de barbus rêveurs dans les années 70 ! - de tellement rien ; la question bouleverse tellement les fondamentaux de nos représentations idéologiques qu'il n'y a pas à s'étonner que ceci semble être lent. L'urgence des périls vient télescoper les lenteurs idéologiques, certes, mais à bien y regarder, il se passe des choses.

- ne pas confondre campagne électorale avec débat public. Qu'aucun des candidats n'ait véritablement fait de l'écologie le centre de ses préoccupations et donc de ses propositions - à l'évidente exception de Joly - atteste sans doute d'un manque de courage politique, pas forcément d'un retard idéologique. Sans doute aucun n'a-t-il véritablement eu le courage d'une rupture idéologique claire qui intègre l'écologie comme pivot politique ; sans doute a-t-on souvent eu l'impression que les candidats se seront contentés de reproduire de vieux modèles dépassés ... pourtant à bien y regarder ce n'est pas si simple. La conversion écologique de Mélenchon sous la forme de la planification verte fait certes grincer des dents mais révèle au moins que du côté des marxistes que l'on fustigeait aisément d'un productivisme archaïque, la réflexion évolue ... lentement peut-être, mais évolue. Et ce ne compte pas pour rien : que le PC, qui est partie intégrante et active du Front de Gauche, se soit rallié, même sous la forme de la planification, aux considérations environnementales est en soi une révolution idéologique. Au delà de l'opportunité politique, il faut quand même considérer que par ce biais au moins l'écologie est présente dans la campagne bien au-delà de ses territoires assignés que les médias ont peu relayés, plus amusés par la médiocrité des intentions de vote attribuées à Joly que soucieux de rendre compte des débats en cours au sein de la gauche.
Que le Front de Gauche parvienne à un résultat autour des 15% signifierait, aussi, qu'il aurait porté la question écologique haut dans les préoccupations mais aussi qu'il aurait proposé avec un commencement de succès un projet politique où l'écologie serait au centre et non pas simplement un ornement. Ce qui, après tout est le début de l'écologie politique.

Désarroi

On ne saurait être étonné par la position prise par M Serres estimant que

cette campagne est celle de l'inertie, de l'endormissement, et d'une certaine manière celle des résidus du vieux monde *

parce qu'elle serait fondée sur des modèles théoriques dépassés qui ne tiendraient compte ni de la révolution technique qui bouleverse le champ de la démocratie, ni de la disparition de la paysannerie qui change notre rapport à la terre, ni de l'allongement de la vie qui modifie radicalement notre rapport au corps et à l'autre ...

Intéressant d'observer que sur au moins un point Serres rejoint implicitement Cohn-Bendit : celui de la centralisation. Car il est bien ici le point d'achoppement : entre d'un côté un Mélenchon qui, fidèle à l'histoire de la gauche mais plus généralement de tous les courants anti-libéraux plaide pour une planification et donc pour une intervention forte de l'Etat et, de l'autre, tous ceux qui sentent bien que ce sera aussi affaire d'initiatives locales, d'engagements individuels et que donc l'Etat y serait plus aisément obstacle que moyen.

On se souvient que Serres avait repéré combien les nouvelles technologies avaient accompli l'avènement plein de l'individu en amplifiant ses capacités d'actions, en modifiant durablement son rapport à l'autre : nous serions non plus dans un espace de réseaux mais de proximité où l'enjeu demain sera de réinventer notre rapport non plus tant à l'autre qu'au prochain, celui qui est proche. Ce qui change tout et est bien plus difficile. Un espace où notre identité ne se conjugue plus avec nos - multiples appartenances - mais dans sa capacité à intervenir de manière plus efficace mais où il ne peut se réfugier derrière la logique du collectif.

Je ne suis pas certain qu'il y ait nécessairement contradiction entre la nécessité d'une prise de pouvoir individuelle et le rôle éminent et incitateur que peut avoir un Etat fort et, paradoxalement, c'est peut-être du côté de Marx que se trouvent des éléments de réflexion pour autant que l'on se souvienne que ce fut aussi chez lui que fut pensée la disparition progressive et programmé de l'Etat - même si historiquement le soviétisme en fut la plus parfaite et totalitaire dénégation.

LipietzC'est pour cela que la réflexion de Lipietz est intéressante, menée depuis longtemps mais aussi la narration intellectuelle de la découverte de l'écologie par Mélenchon : au coeur du politique se retrouvent la question de l'Etat en même temps que celle de notre rapport à la nature.

Sous le double coup de l'offensive libérale et de l'échec patent de l'URSS qui révéla de manière si criante sa dimension totalitaire, on aura tenté de nous faire croire que l'Etat était le mal absolu, qu'interventionnisme économique équivalait sinon à totalitarisme du moins à dictature - il n' y a qu' à se souvenir comment Gosplan est revenu à la bouche des commentateurs sitôt l'expression de planification écologique apparut. On n'en a pas fini aussi vite de la question de l'Etat et je ne vois pas les temps à venir pouvoir se passer d'un levier d'action puissant.

Que ce soit - aussi - du côté du marxisme que se lève la réflexion n'est pas anodin. Mais révèle, paradoxalement, que c'est peut-être l'écologie qui pourrait le sortir de son long sommeil dogmatique - de son purgatoire en tout cas.

J'aime assez que le détour idéologique prenne ces détours-ci. Le grand échec, jusqu'à présent, de l'écologie politique est de n'avoir pas su se donner une pensée globale qui intègre la nécessité d'un nouveau mode de développement ; d'avoir pour certains cru que l'écologie n'était ni de droite ni de gauche - bref apolitique quand d'autres choisissant l'ancrage à gauche confondirent pensée écologique et modèle de développement avec alliance électorale.

Non, sans doute n'avons-nous pas les modèles idéologiques encore pour affronter la grande mutation à venir ; mais non je ne crois pas non plus qu'il n'y ait de solution que dans la recherche de modèles nouveaux ; les théories du passé doivent bien aussi pouvoir nous aider à penser, repenser, en tout cas correctement poser le problème. Pour autant je n'imagine pas qu'on puisse demain se dispenser de faire pour l'écologie ce que Marx avait réussi pour l'économie : fonder une écologie politique.

Au travail !


1)La planète brûle, et ils regardent ailleurs
Editorial du Monde daté du 8 Avril

Gouverner, c'est prévoir, choisir et expliquer. Surtout quand les défis sont complexes et de long terme. Au préalable, il faut être élu et, pour cela, se livrer à un tout autre exercice : séduire, promettre, simplifier. Et faire miroiter des lendemains qui chantent.

Redoutable contradiction. En 2007, c'est l'endettement du pays qui avait été ignoré par les deux principaux candidats, en dépit des mises en garde du troisième (François Bayrou). Les rêves immédiats avaient balayé les risques alors jugés lointains et dont on mesure trop bien aujourd'hui combien ils étaient imminents.

Aujourd'hui, c'est l'écologie - pour simplifier, la préservation des ressources d'une planète vivante et vivable - qui est tombée dans ce trou noir, comme sortie du radar politique, rayée de la carte des enjeux majeurs des prochaines décennies.

Cette cécité est stupéfiante, ou plutôt cette occultation confondante, si l'on veut bien se rappeler, un instant, les avertissements lancés de tous côtés, sans cesse plus nombreux et argumentés. Pas un mois ou presque sans qu'une étude scientifique pointe tel ou tel dérèglement progressif, insistant et, au bout du compte, inquiétant.

En mars encore, la dernière à sonner l'alarme a été l'OCDE - que l'on ne peut guère soupçonner d'être un repaire d'écolos intégristes. Que dit le club des pays développés dans son rapport sur " les perspectives de l'environnement à l'horizon 2050 " ? Cela, sans ambiguïté : " Faute de nouvelles politiques, les progrès réalisés pour réduire les pressions sur l'environnement ne suffiront pas à compenser les impacts liés à la croissance économique. " Sur quatre domaines-clés - changement climatique, biodiversité, eau, effets de la pollution sur la santé -, " il est nécessaire et urgent d'engager dès à présent une action globale, de manière à éviter les coûts et conséquences considérables de l'inaction, tant du point de vue économique que sur le plan humain ", conclut l'OCDE.

Pendant ce temps, que font les candidats à l'élection présidentielle ? Exactement ce que déplorait le président Chirac, il y a dix ans, au Sommet de la Terre de Johannesbourg : " Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. "

Nicolas Sarkozy avait fait de l'écologie, en 2007, une grande cause nationale, avant de décréter, en 2011, que " ça commen - çait - à bien faire ". François Hollande pense avoir fait le nécessaire en s'en tenant à une réduction du nucléaire dans notre approvisionnement énergétique. Jean-Luc Mélenchon prône une " transition écologique " qui ne manque pas d'opportunisme. François Bayrou et Marine Le Pen ont d'autres chats à fouetter. Et les écologistes eux-mêmes ont oublié qu'une campagne présidentielle suppose un candidat aguerri - et convaincu de sa cause.

On se souvient de la formule de Pierre Mendès France un jour de 1953 : " Gouverner, c'est choisir, si difficiles que soient les choix. " Cela suppose une démocratie adulte et du courage chez ceux qui entendent l'incarner. Pour l'heure, hélas, l'une et l'autre font par trop défaut.


2) sur la question, on trouvera sur ce site ces posts écrits en septembre :

on ne saurait trop recommander la revue Ecologie Politique dont denombreux articles sont accessibles sur Cairn