Elysées 2012

Mélenchon Sarkozy Hollande

Le Prado

Rassemblement plutôt réussi à ce qu'il paraît, un nombre toujours délicat à mesurer mais qui ne semble pas inférieur à celui des deux précédents ; plutôt supérieur ; qui atteste en tout cas de la réalité de la dynamique de cette campagne qui, aux yeux de nombre d'observateurs, est la plus réussie de toutes et constitue la première grosse surprise de cette campagne et la vraisemblable surprise du premier tour de scrutin.

Le nez sur le guidon des commentaires quotidien, la presse ne mesure sans doute pas bien, au delà des inévitables chicaneries des dernières semaines, ce que cela peut vouloir signifier. La presse nationale, tout obsédée qu'elle est par la reproduction du schéma droite/gauche qu'elle est habituée à penser, tout inquiète - pour une partie - ou attentive pour l'autre - de l'imminence d'une alternance qui se révèle désormais possible sinon probable, la presse nationale qu'elle soit de gauche ou de droite d'ailleurs, passe à côté de deux faits pourtant décisifs :

Mobilisation

Comment interpréter ces foules réunies qui, après tout, à n'y scruter pas de trop près, ressemblent furieusement à celles que l'on retrouve dans les grands meetings de Hollande ou de Sarkozy ? Mais en même temps l'impression que si chez ceux-ci la mobilisation est organisée d'en haut, là, elle proviendrait plutôt d'en bas, d'un profond mouvement populaire. Comment en être assuré, d'ailleurs, sinon demain, en analysant les résultats obtenus?

Cela fait des années, et je crois bien me souvenir que cela avait commencé avec JM Le Pen, que les meetings - pourtant étymologiquement lien de rencontre - se seront transformés en gigantesque barnum où chacun y va de sa surenchère - de foule, de drapeaux ... - mais surtout de spectacle : souvenons-nous qu'il y a 10 ans JM Le Pen arpentait la scène à la manière d'un comique faisant son one-man-show. Evidemment, depuis la TV, les flux d'informations en continu et désormais Internet, il faudrait être sot pour ne pas voir combien les meeting ne sont depuis longtemps plus le vecteur unique de la rencontre des candidats avec le peuple.

Avant l'usage pervers que le régime nazi en fit, c'est-à-dire encore en 36, on utilisait volontiers le terme propagande qui a été abandonné depuis. Il avait le mérite de dire ce qu'on en attendait : un outil de propagation des idées et non pas simplement une démonstration de force, même si manifestations et meetings durent bien avoir aussi cette fonction.

C'est en tout cas bien cette fonction que Mélenchon veut attribuer à ces grands rassemblements de foule qu'il conçoit comme des répliques successives de l'insurrection citoyenne qu'il appelle de ses voeux.

Il n'est qu'à lire le billet qu'il publie sur son site :

nous ne sommes pas engagés dans des opérations de communication. Nous travaillons des répétitions générales de l’insurrection citoyenne.

Un fantastique parti politique se constitue, parti sans murs, sans carte, sans consigne ou presque, infiniment plus discipliné dans l’action pourtant que bien d’autres en ce moment et avant nous. Car qu’est-ce qu’un parti sinon un programme et une action concertée pour le servir ?

On pourra toujours avancer de manière chagrine que Mélenchon souffle sur les braises ou qu'il prend ses désirs pour des réalités, ce qui est incontestable en fait tient en ce qu'une campagne électorale pour autant qu'elle ne vise pas qu'à recueillir des suffrages mais à créer un mouvement populaire ne peut pas laisser intacte la conscience politique : tout l'enjeu est là !

Ou bien tout ceci n'est que savante mise en scène - mais on le verra vite - ou bien au contraire est en train de se cristalliser un mouvement populaire héritier du non de 2005 à quoi s'agrègent tous ceux qui, victimes des réformes sarkozystes et des crises financières successives, ont le sentiment que les voies politiques classiques sont désormais des impasses. Cette colère du peuple cesse peut-être d'être sourde et dans ce cas là il y aura effectivement difficulté à leur dire après les élections rentrez chez vous, circulez il n'y a plus rien à voir.

L'offensive libérale qui a terrassé pendant plus de vingt ans les classes populaires et moyennes au point de désorganiser toute riposte syndicale et de briser une opposition politique de gauche radicale, voit peut-être désormais débuter sa régression : les têtes se relèvent. L'engagement citoyen qui s'était déplacé du côté des associations ou de l'humanitaire semble se recentrer à nouveau du côté du politique même si sous des formes encore inédites. Pari sans mur, écrit Mélenchon : oui, peut-être.

Derrière tout ceci, que nous avons déjà envisagé, une autre façon, plus républicaine d'envisager le politique : il est indéniable que la tendance des dernières décennies, technocratisation du pouvoir, complexions mondialistes des crises, libéralisme échevelé, tout oui aura contribué à renforcer la tendance lourde du présidentialisme mais au delà, cette curieuse conception de la démocratie dont on n'a pas tout à fait tort de dire qu'elle relève plus de la monarchie élective que de la république, selon quoi on n'attendrait du peuple non pas qu'il fût acteur, mais juste l'agent passif de la consécration des pouvoirs en place. Le peuple révoqué, soudain réapparaît, se convoque lui-même : l'éveil des peuples, le printemps des peuples a-t-on joliment écrit des révolutions arabes - on pourrait le dire tout autant pour la France.

L'avènement de l'individu que croit percevoir Serres est en même temps le grand retour du citoyen : que Mélenchon aille chercher ses références en 89 et pas en 17 ne saurait être ni anodin, ni hasardeux. L'argument d'un peuple reprenant ses affaires en main est rendu d'autant plus plausible et pertinent que la logique libérale et financière s'avère être une véritable impasse.

C'est sans doute pour cela qu'on peut comprendre les colères d'un Mélenchon ne supportant pas qu'on ramène sa campagne à un simple show, juste plus habile que celui des autres : il a bien senti que quelque chose d'autre était en train de s'éveiller que les canons politologiques classiques ne peuvent entendre non plus que d'admettre.

Maintenant, et ne l'oublions jamais, le propre des colères populaires est précisément d'être imprévisibles : rien ici n'est assuré ni clair ; les retournements, les contradictions, les enjeux mêmes sont loin d'être déterminés comme on pourrait le penser d'une stratégie militaire définie pour une campagne guerrière ; ne l'oublions jamais, 36 se doubla tout de suite d'un vaste mouvement de grève que les observateurs crurent d'abord être un coup de poignard dans le dos avant de comprendre que c'était au contraire l'appui populaire accordé à une victoire électorale inédite.

Bien entendu l'histoire jamais ne se répète, et ne repasse les plats que de manière ridicule dit-on parfois ; bien sûr on se joue ici des grands moments de la mythologie du mouvement ouvrier mais on ne saurait tenir pour anodin que ce soit un ex-socialiste qui fasse ce travail de renouer les fils de l'histoire : parvenir en un même récit à lier Jaurès, Blum, le de Gaulle de 44 et Mitterrand est un fabuleux coup politique, certes, mais surtout une volonté, au delà du récit lui-même qui est la concession au storytelling, de redonner un sens historique à un mouvement. Ici la dialectique joue à plein qui noue rupture et continuité et rappelle à chacun, outre l'espérance que l'exemple ancien peut donner, qu'il est fils de 36, de 45 et de 81.

Pour l'avoir déjà souligné, nous n'y insisterons pas mais cette mobilisation qui se veut en même temps leçon pédagogique républicaine se déjoue des slogans et des coups de com pour proposer une lecture de l'événement en même temps qu'une double lecture politique et historique : tout à coup 36 n'est plus une vieille lune de socialo nostalgiques l'heure de gloire en même temps que le prodrome d'une histoire qui ne fait que débuter.

Pour l'avoir déjà suggéré, nous n'y insisterons pas, mais c'est aussi au plein vent de la morosité ambiante et des régressions sociales et lexicales qui vous font prendre pour réforme ce qui n'est que saccage social, la seule démarche qui puisse se conjuguer en terme d'espérance : celle de pouvoir reprendre les choses en mains.

Il y a besoin de gens qui font rêver

titre Libération : Et même si ce n'était que cela ! qui s'appelle se mettre du coeur à l'ouvrage ! qui s'appelle courage.

 

 

Recomposition politique

Lente, difficile et, depuis quelques semaines, étonnamment visible, la recomposition de la gauche pourrait être une conséquence. La presse, pour le moment n'en ausculte que les manigances, les alliances ou les promesses de maroquins : l'essentiel n'est pas là.

Depuis l'effondrement du PC le PS restait quasi seul à gauche, contraignant une partie de cet électorat de se perdre sur l'extrême-gauche.

Il est évidemment trop tôt pour dire si ceci sera durable mais on peut au moins dessiner quelques perspectives :

- ce qui est en train de se passer c'est, non pas la renaissance d'un parti à l'ancienne, mais déjà plus une grande machine électorale comme PS et UMP ont pu le devenir. Forme originale, rassemblement de plusieurs courants, forme floue encore et qui devrait peut-être le demeurer, le Front de Gauche est surtout une arme qui donne à l'initiative citoyenne le moyen d'agir.

- pour autant que Hollande tienne les promesses qu'il a faites de laisser le gouvernement gouverner et de laisser au Parlement recouvrer ses pleines
attributions, pour autant qu'il parvienne - ou veuille vraiment - revenir en arrière de cette autocratie antirépublicaine, alors il y a tout lieu de supposer qu'outre les inévitables alliances politiques et parlementaires qui régissent l'ordinaire de la vie politique , se dessine lentement un nouvel ordre politique qui à la fois accentue la décision locale par le biais de la décentralisation et favorise l'expression citoyenne et ceci dans une configuration pour le moment inimaginable. Le sentiment de l'urgence des problèmes, la nécessité d'une vaste mobilisation, la certitude que le citoyen pourrait avoir demain de l'efficacité possible de son action ne feront plus rentrer si facilement les citoyens chez eux ! Ils se sont éveillés, tentent de reconquérir leur citoyenneté : ce qui risque de changer n'est pas seulement le paysage politique mais la manière demain de faire de la politique.


 

 

 

 

 

 


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