Elysées 2012

Silence

Pourquoi cette émotion renouvelée devant cette liturgie qui m'est pourtant tellement étrangère ?

J'aime cet interstice d'infinie solitude qui sépare la mort de la résurrection, où seul face à l'absence d'un dieu enfui, je n'aurais plus qu'à taire l'assourdissante angoisse d'un horizon qu'aucune lueur ne viendrait plus promettre. La certitude d'une ligne, irrévocablement franchie, d'un irréparable perpétré qui n'appellera nul pardon, jamais. L'espérance renaîtra, plus tard, mais la chrétienté n'est jamais si grande que cloîtrée en sa déréliction. J'aime ces cierges, une pour chaque lettre du tétragramme divin que l'on souffle qui demeuraient l'ultime mais si lointaine promesse, la fragile aspérité où se maintenir mais qui s'évanouissent nonobstant. Les frimas vespéraux engourdissent les coeurs et l'ombre entêtante enveloppe les âmes. Rien, il ne reste rien.

λειπω le dit ; relique le double, déréliction l'enfle jusqu'à la démesure : loin, si loin en arrière laissé ; délaissé ! comme si plus rien de comptait ou que rien n'émergeât plus. Cet instant n'est pas un instant : juste l'insaisissable écho qui ne résonnera plus. Cette infime béance qui troue l'horizon n'est pas un espace : juste l'ineffable outrance du néant.

Ceux-là rentrèrent de Pologne, hâves, nus et seuls ; muets. Eux aussi auront franchi la ligne et ne scruteront plus que des cieux lourds d'un peuple évaporé mais tellement vides pourtant : le Seigneur avait détourné sa face. Interdits d'entre une alliance qu'on mimera encore par dérisoire fidélité et la négligence où vous abandonne l'âcreté d'une chute infinie. Ceux-là aussi avaient vu ce promontoire étrange d'où l'être se précipite.

Ils se ressemblent ultimes témoins d'un continent enfoui.

Un à un, les cierges s'éteignent et se délite le monde.

Jamais autant qu'aujourd'hui ce sentiment diffus de cette bordure qu'on approche comme si demain il ne pouvait plus y avoir de lendemain et que, quoiqu'on fasse, le tourbillon sempiternellement niera nos vertiges d'impuissances.

C'est nous aujourd'hui qui détournons la tête ! Trop faibles pour braver la nuée qui gronde déjà ; mais trop vaniteux encore pour ne pas nous étourdir de nos suffisances.

Comment ne pas songer à ce moment évoqué par Yourcenar où d'entre les dieux qui n'étaient déjà plus et Dieu qui n'était pas encore, l'homme pour quelques temps fugaces était seul. Vertige et angoisse mais promesse quand même où se jouait l'humain : Rome alors inventait la modernité.

Mais désormais au plus loin du divin, si étranger surtout à l'humain, notre temps a laissé s'effriter l'étai.

Perdre confiance en l'humain ? Ultime solitude.