Elysées 2012

Europe

Le Monde en son supplément éco de ce soir abordant la campagne électorale vue de l'Europe avec un regard nettement moins outré que celui de The Economist. Amusant qu'à côté figure un article mettant en avant combien le modèle allemand est loin d'être aussi rose qu'on nous le prétend.

J'ai déjà évoqué la question de l'Europe à plusieurs reprises. (1) Il nous faut y revenir et ceci à l'occasion de l'édito de Th Legrand ce matin sur France Inter et la verte réplique que Mélenchon lui adressa en retour.

De L'utopie ?

Le propos de Th Legrand (2) visait ni plus ni moins qu'à ramener ce que représentait Mélenchon à cette part de rêve dont nous aurions tous besoin - et notamment l'électeur de gauche - mais de cette part de rêve qui aurait toute sa place au 1e tour mais évidemment pas au second où il faudrait bien en revenir aux choses sérieuses. Ce que le journaliste dit - sans forcément y croire - c'est l'antienne éculée du discours bourgeois sur l'utopie, le rêve et l'idéal. Legrand qui se place volontiers sur le promontoire du sage - au nom de quelle expérience ? - sur la chaire du savant fustigeant à demi-mots ces jeunes générations qui ne sauraient plus rien - au nom de quelle canonique érudition ? - Legrand, oui, se rend-il compte qu'à ce jeu étroit il ne fait que reproduire la parole d'autorité, celle du père et du castrateur - celle du censeur. Le brave journaliste au gré de ses insouciances freudiennes nous rejoue l'opposition entre principe de réalité et de plaisir et se borne juste, ici, à siffler la fin de la récréation. Par la grâce d'un souci d'équilibre - qu'il confond comme tout journaliste avec le souci d'objectivité - il rappelle seulement, presque par un détour logique, que la gauche en son histoire comme en son esprit consiste précisément en ce refus d'une réalité perçue comme indépassable, car elle sait que les possédants n'ont d'autre solution pour justifier leur prééminence que de la naturaliser. Ce qui fait l'essence de la gauche, mais en réalité de l'humain - et l'idée de politique ne saurait avoir de sens sans lui - c'est bien le refus de l'état des choses. (relire Bataille)

Blum en 36 :

Oui, c'est vrai, toute l'histoire du socialisme français depuis sa si difficile unité de 1905 jusqu'à la scission de Tours en 1920 : depuis la stratégie front de classe jusqu'à l'unité retrouvée du Front Populaire ; des compromissions dans d'invraisemblables gouvernements éphémères sous la IVe République jusqu'au grand rêve si vite déçu de 81, oui c'est vrai toute l"histoire de la gauche est traversée, pour ne pas dire déchirée entre ceux qui aspirent à une société idéale, communiste et savent qu'elle ne se fera pas autrement que par la révolution, et de l'autre côté, les possibilistes, les réformateurs qui, sans renoncer à l'idéal lointain, se soucient en tout cas d'adoucir autant que faire se peut les rugosités d'un système injuste. Entre les socio-traîtres et les révolutionnaires ; le social-libéralisme et la gauche de la gauche, comme on dit maintenant.

Se fût-il contenté de rappeler cette tension qui traverse toute notre histoire qu'il n'y eût rien à

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redire. Mais Legrand dit autre chose, qui inévitablement provoque la réaction. Ce qu'en réalité il énonce c'est qu'i!l faut bien à un moment revenir au réel et cesser de rêver - que donc le sérieux se situe dans la soumission au réel. Jaurès avait écrit :

Il faut aller à l'idéal et comprendre le réel

Legrand lui gourmande de ne pas abandonner l'idéal ! La pensée petite-bourgeoise ne se refait pas !! C'est sans doute cela que l'on peut dénommer l'essence du bien-pensant. Cette sinistre manie de donner des leçons, d'en appeler au réalisme quand en réalité on n'en rappelle qu'à l'ordre.

Comment ne pas songer à l'Utopie de Thomas More ? Mais comment oublier aussi que l'utopie - ce qui nul lieu - ne visait pas à s'abandonner aux délires et aux rêves mais seulement à dessiner un modèle, à élargir le champ du possible - au même titre finalement que la République de Platon ?

Ce que dit Mélenchon - et c'est vrai qu'en cela il est radical - c'est qu'il n'y a pas d'issue pour qui accepte les règles du jeu de la finance ; qu'il n'y a pas d'autre solution que de briser les canons de la gestion libérale. Dès lors l'argument se retourne et il peut évidemment clamer que le réaliste c'est lui quand Hollande se fera inéluctablement écraser par une logique qui le dépasse et où en Europe il sera seul ! Quand les autres n'ont que des équilibre à restaurer, rigueur à assumer, règle d'or à instaurer, lui change la donne, observe une autre logique.

C'est au fond ce qui fait le point commun, paradoxal peut-être, entre Mélenchon et Bayrou : les deux récusent la logique infernale de la crise infernale, même s'ils y répondent de manière différente ; les deux soulignent l'extrême gravité de la crise, plus systémique que cyclique ; tous les deux jouent sur la dramatisation et soulignent l'impasse . *

Que ce soit cette tragique annonce, la prémonition d'une catastrophe annoncée, l'imminence des périls qui nourrissent la morosité ambiante est évident et s'illustre dans la quasi certitude qu'a l'électorat - selon les enquêtes - que les programmes proposés ne seront en tout état de cause pas appliqués. Avec le risque annoncé de l'abstention ou d'un vote protestataire voire anti-républicain ?

Campagne en l'air qui passerait à côté de l'essentiel ? On ne peut, pour autant pas dire cela.

Retour sur l'Europe

On voit bien - et nombre de candidats l'auront soulignée - la double dérive des institutions européennes :

- anti-démocratique, qu'illustre le contournement du non français au référendum de 2005. Qu'illustre évidemment la confusion institutionnelle qui fait qu'on ne sait plus qui fait quoi et nourrit le sentiment qu'on aura délégué des compétences essentielles à des institutions sur quoi nous n'avons pas prise. Qu'illustre enfin la domination invraisemblable de l'axe Berlin/Paris sur le reste. Qui aboutit à ce rapport si étrange, ambivalent, à l'endroit des technocrates et, plus généralement, des élites. (3)

- techno-libérale, qu'illustrent tous les derniers mécanismes et décisions autour de la crise de la dette qui confirme la double soumission au marché et à la finance, comme si toute ambition politique avait été abandonnée au profit de la seule règle d'or qui n'en reste pas moins une bien étriquée règle de bonne gestion en bon père de famille .

Qu'on ne s'y trompe pas : il n'y a assurément aucun refus de l'Europe dans le désaveu actuel mais un refus explicite, latent par fatalité pour les autres de cette Europe-là. Ceci relève du truisme : L'Europe avait été présentée comme un rempart : elle est devenue le problème et je ne suis pas certain qu'elle s'en relève demain si nous négligeons de lui redonner sa dimension politique.

Bien entendu il y a la crise ; bien entendu il y a un problème de gouvernance de cet ensemble improbable à la croissance plus vertigineuse que l'adéquation de ses institutions. Mais l'essentiel n'est pas ici : il est fondamentalement politique.

Il tient dans ces choix qu'on n'a pas voulu faire dès le départ ; dans le fait que l'Europe peine à se donner cette dimension politique qu'on attend d'elle et se réduit aux acquêts libéraux.

Il tient dans cette contradiction originaire d'une institution qui ne peut survivre que si elle est politique quand tout, dans la démarche libérale suivi depuis trente ans, vise à l'affaissement du politique, à son déni. Que, de surcroît, la logique libérale aboutisse demain au séisme annoncé et c'en sera fini d'un monstre international qui claudique imperturbablement.

Il va bien falloir choisir un jour : mais la question est idéologique ou - si l'on préfère - éminemment politique, au sens le plus noble et fondateur du terme. On n'en aura pas fini d'une retouche institutionnelle qui ne saurait résoudre l'aporie séminale : l'Europe n'a de sens que politique. Si l'on avait voulu s'en remettre à un marché commun, à un espace économique commun, alors, manifestement on sera allé trop loin. Si l'on avait voulu une force politique, alors on n'aura pas seulement commencé.

Que certains en Europe, les oppositions le plus souvent, attendent éventuellement de la France a perspective politique d'une autre logique que celle, servile, du libéralisme ambiant est possible, d'autant que même le modèle allemand se révèle plus fragile que prévu. Que ceci pût susciter, en Europe, un éveil des peuples, comme l'espère Mélenchon serait souhaitable. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que la réaction populaire risque d'être d'autant plus vive que la crise ressemblera à l'effondrement de tout le système et que je vois mal les institutions actuelles être capables d'y faire face ou de se rénover pour lui donner un sens politique.

Ce qui est sûr, en tout cas, ici comme ailleurs, mais tout y est tellement lié, c'est que le sentiment d'une crise imminente ressemblant à une impasse est largement partagé par l'électorat et rien que pour cela on ne peut pas dire que la campagne eût évité l'essentiel ou fût dans le déni. C'est vrai aucun thème ne semble retenir l'attention : c'est sans doute le fait, aussi, de Sarkozy qui mène cette campagne comme un plan de marchéage ; c'est surtout le fait de cette crise qui résonne comme une obsession, un trou noir qui avale tout, face à quoi, manifestement, personne n'a aujourd'hui l'ombre de l'esquisse d'un commencement de réponse.

A moins de jouer la radicalité ! Mais alors il faut cesser de la conjuguer avec irréalisme ou manque de sérieux .

A moins d'attendre que la crise elle-même fasse le travail, qui sera radical, qui bouleversera le réel plus sûrement que les programmes. Mais alors, oui, le réalisle n'est pas du côté que l'on croit.

 

 


1) relire notamment

au centre de nos rêves et de nos déceptions

un texte d'Habermas

une vidéo

ITV de Delors

ITV de Schauble

2 )Thomas Legrand le 10 avril 2012

 


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Matinale spéciale : François Bayrou invité du 7/9 par franceinter