Elysées 2012

Bilan

Le mirage de l'explication psychologique

Le Monde sort un dossier ; Libération en fait autant. C'est donc bien en même temps que la campagne électorale, le temps d'un bilan du quinquennat qui s'achève. Ce qui en ressort, outre l'inévitable penchant journalistique à confondre objectivité avec équipollence, c'est la part si importante accordée au personnage lui-même, comme si les résultats obtenus - ou ratés - étaient inséparables à la fois de la psychologie de Sarkozy et de son style, ou que cette dernière fût à la fois l'explication de la méthode, la forme que prit l'échec, et la justification ultime des revirements, des contradictions et des dérapages.

C'est que l'hyper-activité présidentielle va de pair avec le refus de l'enlisement. Il ne faut jamais oublier que Sarkozy fut membre du gouvernement Balladur, qu'il participa à l'aventure ratée de sa candidature en 1995 ; qu'il observa de la même manière comment Balladur fut littéralement terrassé par l'échec du CIP, au même titre que Juppé, après lui en 95/97 après les grandes grèves. Il ne faut jamais oublier qu'il se posa comme l'antithèse exacte d'un Chirac qui ne voulut surtout pas bousculer le pays et qui du coup ne fit rien ; qu'il aura en réalité compris que le pays de toute manière regimbera ; qu'il vaut donc mieux le bousculer franchement par une répétition échevelée de réformes plutôt que de temporiser. A ce titre, effectivement, Sarkozy est l'antithèse de Hollande.

De ce point de vue, si l'on n'y regarde pas de trop près, c'est plutôt une réussite et, d'ailleurs, le discours de campagne tourne assez aisément autour de ces réformes faites à temps : LRU, retraites, dégraissage de la fonction publique etc. A mieux scruter, on observera quand même que ces réformes ne vont pas sans contradictions, sans revirements et ne sont pas toutes achevées, voire furent abandonnées en route. Comment ne pas pointer, par exemple, l'étonnante acrobatie qui le fait fustiger le capitalisme financier et, en même temps, se plier, sans scrupule mais avec une application féale, aux ukases de l'orthodoxie libérale européenne ?

C'est sans doute ceci qui nourrit l'anti-sarkozysme bien plutôt que la psychologie du personnage : cet écart invraisemblable entre le discours et les faits, cette propension à tout entremêler sans ligne idéologique claire parce que sans doute le sarkozysme est la prétention du dépassement de l'idéologie, à dire tout et le contraire ; à faire tout et le contraire. Sarkozy n'a pas tort en mentionnant que le Tout sauf Sarkozy était déjà vivace en 2007 mais il n'avait pas mordu à l'époque ne serait ce que parce que le pays rêvait alors de mouvement après les deux trop longs et inertes mandats de Chirac ; mais montait déjà cette suspicion à l'endroit d'un candidat trop bon communiquant pour être véritablement honnête ! C'est sans doute ceci qui nourrit le rejet, bien plus profondément à mon sens que le bilan : ce moment si étrange où l'habileté du communiquant se retourne contre son auteur et où l'auditoire n'entend plus que des coups, ne voit plus que des séquences et où, la technique rhétorique supposée faciliter la transmission du message finit au contraire par l'entraver.

Lectures de l'histoire, lectures de l'événement

Il y aura toujours une grande méprise, que d'aucuns aiment à entretenir, quand il s'agit de mesurer les causes de la popularité ; quand il est question de comprendre et non seulement d'observer, la réussite ou l'échec d'une campagne.

Et cette méprise est, fondamentalement, idéologique.

On peut évidemment avoir une lecture événementielle de l'histoire, du récit, de l'épopée. C'est celle, par exemple, si brillante assurément, farouchement entraînante d'un film comme La conquête. C'est celle du héros qui par habileté, savoir-faire, stratégie et sens de l'opportunité sait conjurer le sort, retourner une situation à son profit. C'est celle du militaire. Celle où l'on croit, pense et pose que c'est le grand homme qui fait l'histoire. C'est l'histoire de l'immédiat, de l'instant si conforme à la précipitation échevelée des événements que nous donne à subir le réel - mais aussi l'absence de culture historique.

A l'opposé, on peut plutôt se donner une lecture plus conforme aux canons de la philosophie de l'histoire qui n'aimera rien tant que de rappeler que si c'est l'homme qui fait l'histoire, il ne sait sans doute pas l'histoire qu'il fait, parce qu'il la conduit dans des conditions, des déterminismes historiques, économiques, sociaux, idéologiques qui le dépassent et qui, en tout cas, s'imposent à lui. Même si cette approche n'est pas essentiellement marxiste, rappelons quand même que l'idée en surgit du christianisme lui-même qui aura d'emblée posé des phases dans l'histoire humano-divine d'entre la création, l'alliance et le jugement, rappelons quand même qu'on en trouve les principes jusque dans l'école des Annales de Marc Bloch ou Lucien Febvre et que l'une de ses meilleures illustrations reste quand même ce si grand texte de Braudel en introduction de la Méditerranée, c'est sans doute Marx qui lui en aura donné l'expression la plus claire et concise en affirmant que c'est autant l'homme qui fait l'histoire que l'histoire qui fait l'homme . L'histoire y gagne une épaisseur qui ne se joue plus exclusivement dans les sphères hautes de l'Etat, de la diplomatie ou des guerres, mais plonge ses déterminismes dans les rapports sociaux, dans les contradictions économiques.

C'est dans cette épaisseur même qu'il faut comprendre à la fois la réussite de 2007 et le persistant rejet de la figure même du sarkozisme - et ne pas se laisser entraîner seulement dans les affres de l'instant, dans les mirages de l'immédiat. (1) S'inscrire dans dans cet ample mouvement qui, depuis la fin des années 70 aura idéologiquement vu le triomphe de la pensée libérale incarnée par les pratiques politiques d'un Reagan ou d'une Thatcher, dans le processus de mondialisation qui se sera fortement amplifié dès la fin des années 80 et qui domine d'autant plus désormais avec le développement mondial des marchés financiers, l'explosion des nouvelles technologies etc. La croisée que nous avons déjà évoquée (3) , celle qui implique choix et jugement, celle qui signifie bifurcation n'est pas ailleurs que dans ces mouvements lents et profonds qui atteignent les couches les plus profondes de ces trois temps évoqués par Braudel.

Qu'on le veuille ou non, ce grand retournement qui va de l'enthousiasme de 2007 au reflux violent de 2012, tient vraisemblablement à la promesse non tenue - sans doute parce que non tenable - de ce grand marché mondialisé. La crise est passée par là qui aura mis à crû, l'accroissement des inégalités, la financiarisation de l'économie, la régression démocratique, à la montée des périls écologiques. Tient à la fin de l'espérance en un quelconque progrès encore possible. Bien sûr, à la surface Sarkozy a à rendre compte d'un bilan - ce qui n'était pas le cas il y a cinq ans ; bien sûr, la crise est passée par là qui justifie à ses yeux les écarts avec les promesses faites - ce qui est au moins partiellement le cas. Mais, plus profondément, Sarkozy est le symbole, l'image vivante et agitée de ce monde qui se meurt, ou, en tout cas se révèle une impasse. Il est fait par ce libéralisme financier qui révèle toutes ses régressions et ne dessine pas beaucoup d'espérances ; qui trace ses violences, ses brutalités et ouvre bien peu de perspectives. Derrière le rejet de l'homme, il y a le rejet de ce monde, en tout cas la crainte que celui-ci suscite.

A n'en pas douter, le premier tour notamment, révélera par son inévitable redistribution des cartes politiques où en est le pays par rapport à ce monde qui ne veut pas mourir et ce nouveau qui a peine à naître, comme l'exprimait Sarkozy lui-même.

On peut, évidemment, s'amuser à considérer que la France est dans le déni, qu'elle se voilerait la face devant la gravité de sa situation économique et financière comme l'a affiché The Economist cette semaine. On peut aussi s'interroger, comme le fait la Une du Monde ce week-end sur cette campagne imprévisible. Mais ce serait se réduire à une lecture étroitement économique dans le premier cas, strictement politicienne dans le second. Bien sûr la question de la dette ne sera pas effacée après la campagne ; évidemment la gravité de la crise explique en partie le désenchantement de l'électorat qui peine en envisager comme seulement pensables des lendemains qui chanteraient. Sans doute n'est-il pas faux non plus que l'omniprésence des réseaux sociaux, des TV d'information en continu, et d'Internet en général bouleverse-t-elle la donne et imprime à cette campagne un côté show permanent quoique la stratégie coup de poing de la campagne sarkozyste n'y soit pas pour rien. Mais, de manière plus radicale, il faut peut-être y voir - et le succès de la campagne Mélenchon, peut à sa manière en offrir une illustration intéressante - à la fois la circonspection de l'électorat et la certitude qu'il a que cette élection suppose un choix plus profond que la précédente, aux enjeux plus décisifs que la précédente. Alors oui, la campagne semble ne pas tenir ses promesses quand on n'y regarde pas de trop près ; oui, les thèmes se succèdent les uns aux autres à une allure vertigineuse sans qu'aucun ne semble pouvoir retenir l'attention plus d'un jour ; mais, plutôt que la frivolité des candidats, ou, pire, que celle de l'électorat, ne faut-il pas y discerner à la fois l'entrelacs et la gravité des thèmes abordés qui tous renvoient à un choix fondamental - au sens où il décidera de fondements.

Et à la tentation si présente de la radicalité !

Ce serait manifestement une erreur que de croire que le pays serait nostalgique d'un passé qu'il sait en réalité définitivement enfoui. Ce discours c'est bien celui des thuriféraires de la décadence française qui ne répugnent rien tant qu'à ce qu'il y a de résolument français dans le refus du modèle libéral anglo-saxon ; ou de quelques égarements de

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campagne comme celui de Duflot. Non il n'y a rien de nostalgique dans tout ceci mais bien plutôt, à partir d'une recherche dans les sources révolutionnaires de la République, la tentative de réinventer citoyenneté, égalité et démocratie dans un monde économique qui tend à les effacer. La volonté d'affirmer comme irrécusables, incontournables, l'exigence de liberté et d'autonomie de l'individu dans ce flux infernal de la mondialisation qui tend à vouloir inscrire comme simplement techniques des mutations présentées comme inéluctables.

Le propre d'une crise est d'empêcher tout retour en arrière ; le propre de l'histoire c'est qu'on n'en tire jamais de leçons. Le propre de l'avenir est qu'il demeure imprévisible. Après tout, il n'est pas tout à fait faux de considérer le politique comme l'art de prévoir l'imprévisible, de s'y tromper, mais ce faisant, de faire avancer quand même le souffle de l'événement. Ce n'est sans doute qu'après coup, beaucoup plus tard, que nous pourrons résolument comprendre ce qui se joue ici, qui ne sont sans doute que les ultimes ressacs ou les éphémères soubresauts de mutations bien plus profondes dont nous ne pouvons prévoir l'issue, tout au plus anticiper un peu le déploiement sans trop savoir où elles nous mènent mais en affirmant nonobstant où nous ne voulons pas nous laisser entraîner.

Or, ce que l'on peut dire de ce qu'on a appelé parfois le génie français, c'est bien qu'y prédomine à la fois l'exigence d'une société des égaux et le grand rêve républicain de l'individu libre. Que jamais la société ne grince autant que lorsque l'égalité cesse d'être une ardente obligation. On ne comprend rien à la France sitôt que l'on oublie combien se laisse encore entendre le lointain écho de la Révolution et que ne sera jamais que la préoccupation des seuls dirigeants que de la vouloir définitivement achever parce que le propre de l'exigence révolutionnaire de liberté reste définitivement qu'elle ne se puisse achever. On ne comprend rien à ce pays si l'on oublie que lui est insupportable l'abandon de l'exigence d'égalité ; intolérable tout système qui la priverait de sa liberté politique. La France s'est inventée en 89 et ce rêve reste le nôtre. Ce rêve ne parle pas nostalgiquement de notre passé mais bruisse de notre avenir.

Sarkozy, avec détermination, entêtement, nous a voulu entraîner au plus loin dans les trames du modèle anglo-saxon : ce qui lui revient comme un boomerang c'en est le refus.

Autour de l'exercice du pouvoir

La question des institutions en est le parfait révélateur dont nous avons déjà parlé. G Carcassonne dans ce même numéro aborde la dernière réforme constitutionnelle en relevant les avancées parlementaires selon lui indéniables. Pour lui, les dispositions permettant de relever le rôle du parlement sont notables même s'il faudra vraisemblablement du temps pour qu'elles entrent dans les faits, les coutumes de la république. En revanche, il finit en énonçant que si la constitution y a gagné, en revanche les institutions auront souffert de l'omniprésence du président qui aura résolument confondu sa fonction avec celle du gouvernement et du coup grippé le fonctionnement même de l'appareil d'Etat. Sans doute Carcassonne note-t-il qu'il ne s'agit ici que d'usage dont rien ne permet de dire qu'il se perpétuera ; sans doute savons-nous depuis longtemps que derrière la lettre de la Constitution, il y a sa pratique qui peut lourdement la modifier. Pour autant, même si Carcassonne pense que la Constitution reste ce qu'elle fut toujours un hybride d'entre le parlementaire et le présidentiel et que sans doute le quinquennat qui s'achève n'est que l'illustration exorbitante d'une tendance inscrite dans les textes, il n'est pas étonnant que certains s'interrogent sur la nécessité de refonder le pacte républicain ; ou la constitution elle-même.

Il n'y a aucun doute sur le fait que Sarkozy ait eu une approche très managériale du pouvoir directement héritée des théories les plus classiques enseignées dans les écoles de gestion et de management. Aucun doute nonplus qu'il n'ait fini par se rendre compte que, ce faisant, il se sera mépris non seulement sur le rôle de la présidence de la république mais sans doute plus généralement sur celui du pouvoir. D'ailleurs il le reconnaît lui-même dans cet entretien accordé à Match :

Oui, je serai différent. D’abord, parce que j’aurai déjà été président pendant cinq ans. Et on ne reproduit pas les erreurs qu’on a pu commettre. La principale, c’était celle de penser que j’étais encore ministre. Ministre, il faut de la réactivité, de l’instantanéité. Lorsqu’on devient président, à côté de cette réactivité, il faut aussi de la distance et de la solennité. Ensuite, parce que j’ai cinq ans de plus ! Forcément, cela apaise… Enfin, j’ai voulu une réforme de la Constitution qui fait que, si les Français me réélisent, ce sera mon dernier mandat.

Est-il homme à pouvoir modifier à ce point sa nature ? Qu'importe au fond ! Car c'est de la nature républicaine du régime dont il s'agit, qu'il aura mise à mal en sous-estimant la nécessaire confrontation des idées et des projets, en méprisant la lenteur inévitable des débats, en confondant efficacité avec précipitation.

 

 

 

 

 

 


1) A ce titre, le film est un condensé, mais ce n'est après tout qu'un film, de ce mirage-ci qui réduit tout au conflit, à la trahison, entre un Chirac et un Villepin face à Sarkozy et aux drames sentimentaux de ce dernier doublés de cette rage de vaincre ...

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2) autour de la réforme de 2008

lire cet article de G Carcassonne

3) mais aussi ici