Elysées 2012

Abstention ?

C'est la nouvelle crainte distillée à la fois par les sondages, les politologues ... et Hollande lui-même - autre manière d'appeler au vote utile. Les spécialistes s'attendant, vu la morosité du corps électoral et le moindre intérêt progressivement suscité par la campagne, à un taux oscillant entre celui de 2002 qui était élevé et celui de 2007 qui était faible. (1)

L'analyse qui en est faite paraît toujours un peu courte qui tourne autour de la supposée dépolitisation des français. A bien y regarder on peut observer cependant :

- l'absence de réelle perspective offerte par les candidats, la gravité de la crise qui laisse présager sinon une aggravation en tout cas une poursuite de la situation récessive actuelle ne prête pas à l'optimisme et laisse à penser que d'entre les candidats principaux rien d'essentiel ne les distinguera qui puisse substantiellement la modifier. Dans de tels cas, et ce fut celui de 2002, notamment du fait de la cohabitation, l'abstention est forte.

- les niveaux annoncés ne sont pas homogènes. Que les jeunes électeurs soient dans leur difficulté à se mobiliser les indicateurs de ce désarroi ; que ceux qui s'apprêtent à voter le fassent de manière protestataire en inclinant vers le FN est passablement plus inquiétant. L'IFOP annonce ainsi qu'un quart de ces nouveaux électeurs pencheraient ainsi vers l'extrême-droite. Preuve s'il en est qu'on n'en aura jamais fini du combat contre l'extrême-droite.

- l'effet délétère des coups de com : tout a l'air de se passer comme si plus rien n'était désormais audible. Les programmes existent : ils ont été posés - d'emblée par Hollande depuis Janvier ; quotidiennement par Sarkozy depuis sa déclaration de candidature - et pourtant l'électorat paraît ne pas y être sensible. Signe s'il en est que le travail d'éducation populaire est loin d'être achevé et qu'une campagne se joue moins sur les arguments que sur les impressions ; qu'il y va de plus de sensibilité que de raison. Pour autant l'impression non dénuée de vraisemblance selon quoi l'on privilégierait la forme au fond, la simple rhétorique au programme, la stratégie au politique a effectivement de quoi dérouter. L'art de l'esquive de Hollande et l'absence à ce jour de programme de Sarkozy ne peut que la confirmer. Nous en sommes bien à cet apex dangereux où l'habileté même se retourne contre son auteur. J'y vois pour ma part la raison principale du désaveu, bien plus que les perspectives austères qu'on nous profile.

- toujours ce même déni du politique que ceci implique. Ce n'est pas tant la perspective d'efforts à fournir qui rebute ici - les français ont montré suffisamment dans le passé combien ils étaient capables d'entendre un message les appelant à l'effort - que le discours partout répété qu'il n'y a pas d'alternative, qu'il n'y a qu'une seule politique de résorption du déficit possible. Chirac en 97 ne s'en est pas remis : on ne déplace pas un peuple pour lui dire qu'il n'y a rien à faire et qu'il faut mettre notre destin dans les mains d'experts. La campagne de 2007 a intéressé parce qu'elle mettait en scène le volontarisme politique - quitte à le payer après d'embrouillamini hyperactif - celle-ci désoriente parce qu'elle met en présence des candidats déjà défaits, déjà rompus à la fatalité. La preuve indirecte en est donnée par le succès réel de la campagne de Mélenchon qui à la fois explique, combat et propose. Sa montée ne saurait être un hasard et illustre combien ces campagnes pseudo-modernes passent à côté de l'essentiel et combien celui qui semblait faire une campagne à la papa répond en réalité à une véritable demande de politique. Décidément Duflot et les autres se trompent : il n'est pas question de nostalgie ici mais bien de réflexe républicain.

Alors oui ! la surprise pourrait bien venir du taux d'abstention ! Ce serait dommage ! Mais illustrerait décidément l'urgente nécessité d'une refonte du pacte républicain. Quelque chose dans la mécanique même des institutions ne fonctionne plus bien sans doute aggravé par l'omni-présidence, sans doute perverti par ce rapport de plus en plus trouble entretenu avec l'Europe, ou plus exactement avec la financiarisation impérieuse de cette dernière.

Ce n'est pas véritablement un hasard que l'Europe pourtant haut portée par un Bayrou ne fasse plus recette. On aura - sans doute parce qu'il fallait bien sortir de l'impasse - tenu pour négligeable le non de 2005. Ce fut une erreur politique ; une faute républicaine.

Erreur politique parce que la France n'est évidemment pas anti-européenne mais récuse - et depuis un moment - ce que cette Europe peut avoir de technocrate, et parfois d'anti-démocratique. Or on fit le contraire et, crise aidant, on aura accentué encore le processus - la validation préalable des budgets nationaux par la commission étant le plus cruel exemple d'un transfert de souveraineté crucial qui correspond ni plus ni moins qu'à un droit de veto sur ce qui est quand même l'acte fondateur de la souveraineté nationale. Un transfert aussi fondamental, voté par la seule voie parlementaire, ne peut qu'accentuer l'impression désastreuse d'un pouvoir qui nous échapperait.

Faute républicaine parce qu'il se sera quand même agi de tenir pour négligeable un suffrage populaire. Comment veut-on que demain l'électeur se déplace s'il sait qu'on contournera son vote s'il s'avérait contradictoire avec quelque impératif technique ? ou que ceci signifiât qu'il n'eût plus prise sur rien ? Ceci fut un déni de souveraineté et l'effet est désastreux : on ne me fera pas croire que l'électorat l'eût oublié ! qu'en plus ceci n'aura rien résolu non plus que la capacité de l'Europe à résoudre la crise, encore moins à le faire rapidement - a-t-on oublié la succession invraisemblables de sommets tous qualifiés de la dernière chance ? Chirac avait en son temps - à tort ou à raison, qu'importe ici - résolu de poser la question de la réforme institutionnelle de l'Europe par voie référendaire : la logique eût exigé que seul le peuple pût lui-même défaire ce qu'il avait fait.

Pas plus aujourd'hui qu'hier l'électorat n'est anti-européen mais moins qu'hier il n'est disposé à entendre et supporter les déclarations tonitruantes et impérieuses de matamores de basse-cour. Il le fera entendre à sa manière : sans doute par un score relativement élevé pour Mélenchon ; peut-être par un taux d'abstention élevé ; le pire étant qu'il succombe à la tentation d'un vote FN.

Ce peuple a décidément la fibre républicaine chevillée au corps qui n'oublie rien et sait souvent envoyer des messages sagaces et nuancés. Je ne le crois toujours pas disposé à une radicalité majoritaire mais je le soupçonne disposé, lui, à renverser la table en bouleversant totalement les équilibres politiques.

En 2002 il manifesta sa grogne en ramenant à moins de 20% les deux courants principaux : c'était un signe à peine vu, trop vite escamoté par l'éviction de la gauche du second tour. En 2007 séduit par le volontarisme de Sarkozy il reproduit le paysage classique avec une orientation plus marquée à droite mais qui fondamentalement ne changeait rien à l'hégémonie à droite de l'UMP, à gauche du PS.

Ce que les sondages laissent présager tient à deux points seulement mais décisifs qu'il faudra bien analyser après les résultats. Que confirme d'ailleurs le dernier paru ce matin - celui d'IPSOS.

- le niveau plutôt élevé de la gauche qui traduit moins en soi le désir d'alternance qu'un rejet des dix dernières années. La gauche - toutes tendances confondues - se situe à près de 9% de plus que son score de 2007 ce qui explique assez bien que tous les instituts de sondage donnent Hollande gagnant au second tour malgré la montée de Sarkozy au premier tour.

- un paysage très fluctuant pour les troisièmes. Qui s'explique par la montée de Mélenchon bien sûr, mais traduit la recomposition en cours du paysage politique. C'est à la fois la place du centrisme, de l'extrême droite et de la gauche du PS qui est en train de se jouer devant nous, masquée par le duel classique PS/UMP mais sans doute bien plus décisif pour l'avenir politique que l'issue en elle-même de l'élection. Que ce soit l'un ou l'autre qui gouverne demain, ce ne pet être de la même manière si demain la gauche radicale se situe à un niveau élevé ; idem pour le centre et le FN.


1Lire cet entretien dans Libération

François Miquet-Marty est directeur associé de l'institut de sondages Viavoice, partenaire de Libération. Il est l'auteur de «Les oubliés de la démocratie» (2011, Michalon).

 

Comment jugez-vous le risque d'abstention au premier tour de 2012?

Les risques d'abstention sont beaucoup plus élevés cette fois que lors des élections précédentes. Les intentions de votes actuelles tournant autour de 70%, cela laisse augurer une abstention à 30%. Ce qui me frappe, c'est la plus grande défiance par rapport aux principaux candidats et le moindre crédit accordé à ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation de la France dans les années qui viennent. Hollande, Bayrou et Sarkozy suscitent moins d'engouement en 2012 que Royal, Sarkozy et Bayrou en 2007.

On va donc assister à une nouvelle dégradation de la participation faisant de l'élection de 2007 l'exception qui confirme la règle...

L'histoire n'est pas écrite, mais ce scénario est le plus probable en l'état actuel des choses. On se dirige vers un schéma plus proche de celui de 2002 (28,40% d'abstention au premier tour, ndlr) que de celui de 2007 (16,23% d'abstention au premier tour, ndlr).

Avec un score qui s'annonce toutefois meilleur qu'en 2002 pour les deux candidats en tête...

La différence est précisément que le 21 avril 2002 a eu lieu et reste dans les esprits. À l'approche du scrutin, cela peut d'ailleurs avoir un effet mobilisateur en faveur de François Hollande, en mémoire du score de Lionel Jospin au premier tour et de son absence du deuxième. Le souvenir de 2002 joue en faveur d'une bipolarité du scrutin, mais les raisons qui ont généré une forte abstention à l'époque restent plus que jamais d'actualité aujourd'hui.

Quelles sont les catégories de Français qui s'abstiennent le plus?

Dans nos études sur le premier tour de la prochaine présidentielle, les intentions de participation les plus faibles se trouvent chez les jeunes de 18-24 ans (60%) et chez les ouvriers-employés (moins de 55%). Ce sont les deux parents pauvres de la participation et ceux qui traditionnellement s'intéressent le moins à la politique. Malgré les efforts, notamment ceux de François Hollande, d'intégrer les jeunes à cette présidentielle en faisant de la jeunesse l'un des axes forts de sa campagne, ils restent ceux qui ont le moins prévu de se déplacer pour voter.

Peut-être parce que ce discours sur la jeunesse s'adresse d'abord aux parents et aux grands-parents des jeunes, pour justifier les efforts demandés...

On pouvait quand même s'attendre à ce que cela soit payant pour le vote des jeunes en faveur de François Hollande. Pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Le peu d'adhésion aux différents programmes des candidats est-il un facteur d'abstention supplémentaire?

Les électeurs ont le sentiment qu'il y a peu de propositions, alors qu'en fait il y en a beaucoup, et ils n'y accordent pas vraiment d'importance en les considérant avec distance. Cela illustre bien le fait que l'ensemble de cette élection est perçue avec une part de pessimisme. C'est une élection soumise à des contraintes financières et son issue n'est pas perçue comme de nature à changer la vie des gens. C'est une différence de taille avec le scrutin de 2007. Les électeurs sont bien conscients que les propositions de Nicolas Sarkozy et François Hollande n'ont pas vocation à changer les choses en profondeur, et que le pouvoir politique a de moins en moins d'influence sur la situation sociale et économique du pays. Au fond, cette élection n'est pas celle de l'espoir.

La fracture est profonde...

La moitié des Français ne s'estime aujourd'hui pas représentée par la classe politique et il y a même une suspicion contre la dimension représentative de notre démocratie. Cette cassure s'agrandit et un quart des Français se sent même en dehors de la politique. De l'autre côté, il y a une France qui s'intéresse, elle, plus que jamais à la chose politique et a accès à une multitude d'informations sur les candidats et les programmes via le Web. Entre ces deux France, la fracture démocratique est bien réelle.


voir aussi : s'agissant des jeunes


Les matins - Anne Muxel et Jean-Loup Amselle par franceculture