Elysées 2012

Ca chauffe !

Dernière ligne droite avant le premier tour ... deux toutes petites semaines qui vont être bien longues tant il s'avère que cette campagne menée comme un marathon par beaucoup qui commencèrent il y a plus d'un an (Mélenchon ; Hollande) ou comme une offensive éclair (Sarkozy) aura épuisé chacun.

Médiapart révèle l'épuisement d'un Mélenchon plus enclin encore aux coups de colère ; Sarkozy frappe fort et Hollande, imperturbable, prend surtout soin attentif de ne pas commettre la bourde irréparable qui gâcherait tout.

Semaines assurément décisives : Sarkozy ne peut qu'attendre un renversement de dernière minute - comme en 2002 ; Hollande surfer sur le capital acquis d'une tendance lourde ; Mélenchon rêver d'une dynamique qui se développerait de manière exponentielle ; Bayrou des ficelles de séduction si grosses qu'elles se verraient enfin et ramèneraient dans son giron des voix écoeurées par tant d'ineptes stratégies.

C'est que les sondages sont désespérants : s'ils traduisent une indéniable poussée de Sarkozy qui lui fait raisonnablement espérer pouvoir aborder le second tour en tête, en revanche les pronostics de second tour demeurent imperturbablement stables. Tout a l'air de se passer comme si le scénario classique PS/UMP était écrit d'avance et la défaite du sortant itou. Et pourtant tous attendent - espèrent ou craignent - un rebond, un bouleversement de dernière minute qui ne s'est pourtant jamais produit aussi tard dans une campagne - à la notable exception de 2002 qui ne concerna d'ailleurs que la montée de Le Pen et la faillite de Jospin mais était lisible - au moins après coup - dans les ultimes enquêtes.

Sarkozy

Alors chacun y va de ses ritournelles, de ses attaques et il faut bien admettre que celui qui frappe le plus fort reste quand même Sarkozy qui après les mensonge, et autre accusation de vacuité ou de versatilité de Hollande, semble vouloir tourner en boucle autour de quelques items furieusement répétitifs : le miroir, l'appel au peuple, stratégie est l'esquive, l'ambiguïté, la faiblesse de dire oui à tout le monde, et ne semble jamais autant à l'aise que lorsqu'il pointe le supposé ridicule de son adversaire voulant éliminer le mot race du dictionnaire ... etc (1)

Au delà de l'inévitable répétition qui fait sourire, certes, mais qui doit bien quand même être inévitable - je ne vois pas comment l'on peut enchaîner meeting sur meeting, et parfois deux par jour, sans tourner invariablement autour des mêmes thèmes ni des mêmes expressions ; au-delà de la verve, ou de la pugnacité du candidat qui tient ses promesses d'une campagne épicée et qui après tout ne saurait avoir de chance désormais de l'emporter qu'en frappant fort, j'y lis néanmoins deux tendances fortes :

- une capacité toujours forte à imposer les thèmes de campagne - et l'on sait combien celui qui l'emporte dans une telle bataille c'est quand même aussi celui qui parvient à imposer aux autres ses propres thèmes. Or, ce que l'on entend partout désormais - une campagne qui lasse ; qui n'aborde pas les vrais problèmes, qui nie la réalité - c'est quand même lui qui le distille à longueur d'interventions relayé désormais à la fois par la presse et par les interprétations des sondages. Qu'il parvienne - ce qui est quand même un comble - à se faire passer pour la victime qu'on ne laisse pas parler et fustige la pensée unique, celui qui brave les interdits et paraisse le seul courageux de l'affaire prompt à enfreindre tous les canons du discours républicain et, sans doute, on obtient ici les ingrédients de sa remontée.

- une campagne tous azimuts dont le risque demeure qu'elle n'apparaisse que pour ce qu'elle est : une tentative de la dernière chance qui aurait perdu toute autre cohérence que celle de l'emporter à quelque prix que ce soit. C'est que Sarkozy est condamné au grand écart : à la fois lorgner du côté du FN et séduire sinon Bayrou lui-même, en tout cas les électeurs centristes. 3

Ou ça déraille ?

On devine la logique mais derrière cette obsession à faire flèche de tout bois, il y a quelque chose de la cohérence qui se perd - ce qui se voit un peu trop pour retenir durablement les suffrages.

- comment accueillir les électeurs centristes après avoir fait un réquisitoire contre l'Europe, Schengen, les corps intermédiaires ... ?

- comment ne pas apparaître comme purement électoraliste et, donc, politiquement irresponsable en pointant du doigt la crise grecque et espagnole (En 2012, il ne faudra pas deux ans, il faudra deux jours, (...) Vous aurez la Grèce ou vous aurez l’Espagne.) au risque de compliquer le recouvrement d'emprunt en cours au grand agacement du gouvernement espagnol. Et, ce faisant, succomber à la même tentation que celle reprochée à son adversaire ...

- comment ne pas hérisser dans cette utilisation douteuse du thème de l'insécurité où à l'instar du FN, immigration, banlieue, islam et terrorisme sont si soigneusement et systématiquement associés qu'on ne s'étonne plus des inévitables dérapages (d'ordinaire réservés à Guéant) tel que cet invraisemblable musulman d'apparence.

- comment ne pas sourire de l'incohérence à utiliser Mélenchon comme épouvantail de gauche quand préalablement on aura encensé ses talents

Quelque lecture que l'on fasse de ceci - et il faut soigneusement éviter celle psychologique - on ne peut pas ne pas soupçonner quelque chose de l'ordre de la panique comme si certains, dans l'entourage du candidat ou Sarkozy lui-même, commençaient à douter de leur capacité à remonter la pente. Et la proposition d'un second débat entre les deux tours ne fait que renforcer ce sentiment ...

Hollande

Il semble progressivement sortir de sa réserve et recouvrer ce quelque chose de l'ordre de l'humour et du sarcasme qui le caractérisait et qu'il a tellement mis sous le boisseau depuis quelques mois pour mieux faire président. D'où l'interview de sa compagne ; d'où ce rappel sur l'homme qui ne cacherait pas sa véritable nature ... : un peu de glamour ça ne peut pas faire de mal même si l'on fait cela l'air de ne pas y toucher ... Mais même s'il se fait ça et là un peu plus mordant, il se contente le plus souvent d'attaque minimale (il manque de hauteur de vue) .

D'un point de vue tactique sa campagne demeure un sans faute ... justement parce qu'il s'est attaché, depuis le début, à offrir un profil lisse quitte à décevoir. Et il a beau déclarer vouloir réenchanter le rêve français ... le moins que l'on puisse dire est qu'il n'y parvient pas !

Pour un combat il faut être deux : or ici, on a un agité impatient d'en découdre et de l'autre un canard sur les plumes de qui tout glisse ...

Mais on ne peut pas dire pour autant que les vrais problèmes ne soient pas évoqués : certes la crise de la dette est plus suggérée que véritablement traitée mais elle plombe tellement le débat en arrière-fond qu'il y a quelque hypocrisie à reprocher aux candidats de ne pas savoir faire rêver et en même temps de ne pas évoquer les vrais problèmes.

En réalité, et je ne serais pas surpris que la question finisse par être demain au centre des débats du second tour, Hollande a effectivement un problème avec Mélenchon. Non pas un problème de 1e tour, sans doute même pas un problème de 2e tour, mais un vrai problème de gouvernement. Leurs programmes quoiqu'on veuille le laisser accroire, ne sont pas compatibles. Il y a bien chez Hollande une acceptation des mécanismes européens sur la dette, l'intégration et plus généralement sur la logique libérale qui préside désormais aux destinées de l'Europe que je ne vois pas pouvoir être demain amendable : or, s'il devait s'avérer que le Front de gauche fasse un bon score, et, surtout, réunisse demain un groupe parlementaire important à l'issue des législatives il faudra bien élaborer un programme de gouvernement.

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Ne s'agirait-il que de toiletter telle ou telle mesure sociale qu'effectivement la chose serait de peu d'importance, mais ici il y va de principes irréductibles les uns aux autres qu'illustre bien l'inanité du débat sur le financement du programme Mélenchon qui résolument se place dans une logique radicalement différente, qu'on peut évaluer irréaliste certes, mais qui rend toute comparaison et toute évaluation du financement totalement injouable. Politiquement, c'est ce que gauche veut dire qui est en jeu désormais. Economiquement, c'est la poursuite de la fuite en avant néo-libérale qui est en jeu. Socialement, c'est la réduction ou non de la fracture sociale qui est en jeu. Il y aura des choix drastiques à mener, qui ne seront pas que budgétaires - mais éminemment politiques. Habilement, Hollande les reporte à après ; après le 1e tour voire après le second ; qu'importe ! car ce que l'on expulse par la porte finit bien par rentrer par la fenêtre.

Bayrou

C'est au fond l'ultime espérance de Bayrou - Cassandre de cette élection qui ne cesse de proclamer la chronique d'un désastre annoncé ; qui ne peut qu'espérer que l'électorat de droite exaspéré par les embardées sarkozystes mais inquiet de la poussée à gauche, revienne tranquillement dans son escarcelle de visionnaire sage, pondéré et rigoureux. Le problème pour lui est que ceci ne semble pas fonctionner, lui qui réalise cet étonnant grand écart dans les sondages entre une personnalité plébiscitée comme étant la préférée et des intentions de votes qui au contraire de décoller se tassent inéluctablement - comme s'il était trop tard ou que la gravité de la situation exigeât des orientations plus radicales.

La configuration pour lui est décidément si différente de celle de 2007 où il pouvait mordre à la fois sur sa gauche et sur sa droite. La grande surprise de cette campagne lui bouche complètement l'horizon qui ramène à un clivage tellement radical entre la gauche et la droite qu'il ne semble plus laisser aucune place pour un centre, même républicain, même rigoureux, même exigeant.

Lui aussi peut fustiger d'éventuelles collusions entre les deux grands pour éviter un vrai débat de premier tour ; lui aussi peut gourmander une campagne qui ne laisserait aucune place pour les vrais problèmes ... rien n'y fait qui ne lui laisse que le grincement de l'oiseau de mauvaise augure écartelé entre une droitisation dangereuse de l'un et une montée de la radicalisation anti-libérale de l'autre.

Au bilan

Qui édicte que la campagne rate son véritable enjeu ? En réalité, ce qui se profile c'est la mise en procès de la logique libérale qui n'a pas tenu ses promesses et qui, bien au contraire, laisse sous ses pas à la fois désindustrialisation, chômage, bas salaires, insécurité et perte de souveraineté.

Que l'électorat l'entende ainsi et demain tout devient possible : le pire, vraisemblable ; le meilleur que l'histoire escamote si souvent !

Qui devrait se lire dans les résultats du 22 avril.

 


1) lire cet article de Libé

2) lire

campagne,

peurs

abstention

3) signe de ce grand écart deux articles successifs de Libé :

Discours du Var

Discours de Caen