Palimpsestes

Présidentielles 2012
Mélenchon, un programme qui oppose le volontarisme aux contraintes économiques
Le Monde.fr
Par Alexandre Lemarié et Hélène Bekmezian

 

 

"Le programme économique du Front de gauche, est inapplicable", estime Gérard Collomb. Le maire PS de Lyon fait partie des voix qui se sont élevées ces derniers jours pour critiquer le manque de crédibilité supposé du projet de Jean-Luc Mélenchon. Il "manque de réalisme" et "va générer des désillusions", a renchéri le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, dans Les Echos. A droite, Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy, a employé un argument similaire : le candidat du Front de gauche "promet la faillite", comme en Grèce et en Espagne.

Mais M. Mélenchon rechigne à se prêter à l'exercice du chiffrage. "La question a toujours été pour moi un sujet d'ébahissement. L'économie c'est de la plomberie !", répondait-il, en septembre, à ceux qui lui faisaient remarquer que le financement de ses propositions restait assez flou.

Son projet (en PDF) ne précise d'ailleurs pas le montant exact des dépenses et des recettes prévues. "Un programme de ce type ne se chiffre pas aussi facilement que ça", se défend sa porte-parole, Clémentine Autain. "Et les autres candidats, on leur demande autant de précisions ?", s'agace Eric Coquerel, conseiller spécial du candidat du Front de gauche.

Rétablissement "tout de suite" de la retraite à 60 ans à taux plein, smic porté à 1 700 euros brut, remboursement à 100 % de toutes les dépenses de santé ou création de 500 000 places de crèches publiques... L'ensemble des réformes de M. Mélenchon aurait un coût pour l'Etat qui s'élèverait à plusieurs dizaines de milliards d'euros. Mais alors que Nicolas Sarkozy ou François Hollande jugent inévitable de réduire les déficits et les dépenses publiques afin d'atteindre à terme l'équilibre du budget, lui n'endosse pas l'objectif d'austérité et assume un programme dépensier.

Côté recettes, le Front de gauche assure avoir prévu les mesures nécessaires pour financer ses propositions. Le montant total des dépenses étant évalué à 120 miliards et celui des recettes entre 150 et 200 milliards d'euros. Mais l'application de certaines mesures pourrait ne pas être constitutionnelle. Décryptage des principales dépenses - pouvant être chiffrées - et de leur financement.

La retraite à 60 ans : 40 milliards d'euros

Le programme du Front de gauche (voir page 7 du PDF) prévoit de rétablir le "droit à la retraite à 60 ans à taux plein", en assurant une pension s'élevant à "75 % du salaire de référence". La pénibilité de certaines professions sera prise en compte et donnera droit à des départs anticipés. Aucun salarié ne touchera de retraite inférieure au SMIC, est-il également promis.

L'ensemble de ces mesures coûteraient 33 milliards d'euros en 2017, après une montée en charge progressive de la réforme tout au long du quinquennat, selon le chiffrage effectué par l'Institut Montaigne, un cercle de réflexion libéral.

Le Front de gauche, qui précise que "le financement des retraites sera assuré en particulier par une cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises", ne conteste pas ce chiffrage. Au contraire. Interrogé sur les mesures pour les retraites, Eric Coquerel avance une évaluation de 40 milliards d'euros annuels. Une estimation supérieure de 7 milliards à celle de l'Institut Montaigne, groupe de réflexion libéral.

Le smic à 1 700 euros brut : "très cher" pour l'Etat

Dans son programme, le Front de gauche promet une augmentation du salaire minimum à 1 700 euros. Brut en début de mandat pour 35 heures, net à la fin (voir en PDF). M. Mélenchon a affirmé que cette vieille revendication de la CGT serait la première mesure de son quinquennat et serait prise "par décret".

Relever le smic - actuellement à 1 398 euros brut mensuels à temps plein - à ce niveau, suppose une hausse immédiate de 21,6 %, souligne Les Echos. En net, chacun des 3,4 millions de salariés au smic toucherait ainsi quelque 1 300 euros par mois, soit 200 de plus qu'aujourd'hui. Pour atteindre 1 700 euros net, il faudrait revaloriser le smic de 5 % environ chaque année, selon le journal économique.

Estimant la mesure "difficile à chiffrer", Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), assure qu'"elle coûterait très chère à l'Etat". Selon lui, la mesure causerait "un choc budgétaire important" car elle aurait pour effet d'augmenter les allègements de charge en vigueur pour le smic.

Aujourd'hui, environ 10 % des salariés touchent le smic et près d'un quart entre 1 et 1,2 % son montant. Partant de ce constat, l'économiste estime que la proposition du Front de gauche risque d'engendrer un "important tassement des salaires" et d'aboutir à un résultat inverse à celui recherché. Provoquant une hausse du coût du travail des emplois au smic, elle pourrait augmenter le taux de chômage de ceux qui ont le moins de qualification, souligne Mathieu Plane.

Le coût serait d'autant plus élevé pour l'Etat qu'il faudrait aussi revaloriser le traitement des fonctionnaires qui gagnent aujourd'hui moins de 1 700 euros. Augmenter les 700 000 agents de la fonction publique coûterait 2 milliards par an, selon le Front de gauche. Dans le privé, la hausse des salaires entrainerait un surcoût de 10 milliards pour les entreprises, assure M. Coquerel.

En progression dans les sondages, le candidat du Front de gauche se rêve en "troisième homme".

500 000 places de crèche : 26,5 milliards d'euros

Pour la petite enfance, le programme de M. Mélenchon prévoit notamment de "mettre en place un vaste 'plan crèche' pour créer 500 000 places publiques d'accueil de la petite enfance pour les enfants de 0 à 3 ans".

Une mesure que l'on peut estimer à 3,1 milliards d'euros par an environ, pour un coût cumulé de 26,5 milliards sur cinq ans, selon les chiffres fournis par l'Institut de l'entreprise, qui réunit depuis 2007 une cellule de chiffrage des programmes des principaux candidats à la présidentielle.

D'autres mesures plus coûteuses...

Parmi les autres réformes les plus onéreuses pour les dépenses publiques figurent aussi le remboursement à 100 % de toutes les dépenses de santé (évalué par le Front de gauche à 40 milliards d'euros annuels), la titularisation des 800 000 précaires de la fonction publique (7 milliards), la construction de 200 000 logements sociaux par an (16 milliards) ainsi que les mesures pour l'éducation, l'enseignement supérieur et la recherche chiffrées à 10 milliards (l'Institut Montaigne obtient un chiffre proche).

Renationaliser et créer des nouveaux services publics : incompatible avec Bruxelles

Le candidat du Front de gauche a également de grandes ambitions sur les services publics puisqu'il souhaite que "le monopole public [soit] rétabli là où l'intérêt général le commande" (voir page 13 en PDF). Concrètement, il propose la création de onze nouveaux services ou pôle publics.

A savoir : un service public du logement, de l'habitat et de la ville (comprenant notamment un pôle public financier pour le logement social, un pôle public de la construction et une agence nationale foncière et décentralisée), un service public de la santé, un service public de l'information et de la culture, un service public du crédit et de l'épargne, un service public de l'eau, un service public de la formation professionnelle, un service public de la petite enfance, un pôle public du médicament (pour la recherche, la production et la distribution des médicaments), un pôle public bancaire et financier, un pôle national des transports publics, un pôle public des médias et un pôle 100 % public de l'énergie comprenant EDF, GDF, Areva et Total renationalisé.

Mais, "cette époque joyeuse" où l'on pouvait nationaliser à tour de bras est terminée, pour le constitutionnaliste Didier Maus qui juge que "ce qu'on a fait en 1981, 1982 n'est plus possible aujourd'hui", avec l'Union européenne. "L'obstacle n'est pas constitutionnel, les nationalisations sont autorisées, mais européen : la législation européenne est très anti-monopolistique et rétablir certains monopoles, comme dans les télécoms ou l'électricité, est impossible. Sauf à sortir de l'Union européenne", assure M. Maus.

Et il n'en est pas question pour M. Mélenchon qui souhaite cependant renégocier ou abroger un certain nombre de règles (traités de Lisbonne, Pacte de stabilité, Pacte pour l'euro, directive Bolkestein sur la libéralisation des services...). Mais de telles renégociations unilatérales au sein de l'Union européenne ne se feront certainement pas sans heurts. Sans compter que renationaliser tous ces services impliquerait des indemnisations phénoménales, presqu'impossible à chiffrer. Toutefois, Jean-Luc Mélenchon pour qui "la France est très riche", expliquait déjà, en avril 2011 que "le service public ne coûte pas cher. Ce qui coûte cher, c'est pas de service public".

Recette et impôt à 100 % : impose une modification de la Constitution

Côté recettes, le Front de gauche assure avoir prévu les mesures nécessaires pour financer ses propositions dans "un programme qui rapporte plus qu'il ne coûte" car il aurait le mérite de "réinjecter de l'argent dans l'économie". La mesure pour le smic, qui aurait, selon M. Mélenchon, pour effet de relancer la consommation, puis la croissance, "c'est 30 milliards de hausses de salaire" et "180 000 emplois supplémentaires la première année", calcule-t-il.

"Notre programme relancera l'activité en étant basé sur le partage des richesses, grâce à une augmentation des salaires et une réforme fiscale drastique sur les revenus du capital", assure M. Coquerel. Le montant total des dépenses supplémentaires est évalué à 120 milliards, et celui des recettes entre 150 et 200 milliards, "après la mise en place de toutes les réformes", précise le conseiller économique de M. Mélenchon, Jacques Généreux.

Trois dispositifs permettraient de récupérer de l'argent. La suppression de la plupart des niches fiscales et sociales rapporterait, selon le parti, de 120 à 140 milliards d'euros; la possibilité donnée à la Banque centrale européenne (BCE) et à la Banque de France de "monétiser la dette" permettrait, en principe, selon le Front de gauche, d'économiser les quelque 50 milliards d'euros d'intérêts annuels générés par le recours aux marchés financiers. Enfin, avec la création de neuf nouvelles tranches d'impôts et d'un taux d'imposition à 100 % pour les revenus supérieurs à 360 000 euros par an et par part fiscale, le parti de M. Mélenchon espère un rendement de 20 milliards par an.
C'est cette dernière proposition qui pose le plus problème d'un point de vue constitutionnel, l'impôt ne pouvant être confiscatoire. D'ailleurs, la tranche à 75 % pour les revenus supérieurs à 1 million d'euros que le candidat socialiste François Hollande souhaite créer court déjà le risque de l'inconstitutionnalité.

La proposition du Front de gauche de taxer les revenus à 100 % au-dessus de 360 000 euros annuels s'entend "par part" et non par foyer fiscal, a précisé dimanche François Delapierre, directeur de campagne de M. Mélenchon, confirmant une information du site Arrêt sur Images. Cela minore donc la portée de cette mesure, qui deviendrait moins "confiscatoire" pour les riches contribuables.

Avec ce mode de calcul, un couple avec deux enfants touchant au total un million d'euros par an pourrait diviser cette somme par nombre de parts fiscales, soit dans ce cas trois parts (deux pour les parents, une demie par enfant), souligne le site d'Arret sur images. Sur leur déclaration fiscale commune figurerait ainsi la somme de 333 333 euros, inférieure au montant duquel M. Mélenchon dit vouloir "tout prendre".

Mettre en place un taux d'imposition à 100 % serait "un vrai risque" d'après le spécialiste du droit constitutionnel Didier Maus, qui assure que "le problème constitutionnel ne peut être évité". Mais il reste prudent : "par définition, un taux à 100 % est confiscatoire mais les modalités sont très importantes pour juger de la constitutionnalité. Il faut prendre en compte deux éléments : le taux mais aussi le seuil et, a priori, le seuil de 360 000 euros par an me paraît plutôt très bas...".

Cela étant dit, de la même manière qu'il souhaite de toute façon renégocier les traités européens, M. Mélenchon veut instaurer une VIe République et une nouvelle Constitution ; une manière de contourner le problème de l'inconstitutionnalité.
Une augmentation du smic ne serait pas non plus aisée à appliquer dans le privé. Invité le 25 septembre 2011 de l'émission "Capital" sur M6, M. Mélenchon avait convenu lui-même que sa proposition comporte "des difficultés" d'application, et devrait être adaptée en fonction de la taille des entreprises.

Face à ces réserves, le Front de gauche assume ses propositions et sa "politique de relance de l'activité". "Nous ne savons pas si notre projet fonctionnera, mais nous sommes sûrs que la rigueur est catastrophique", dit M. Coquerel. Selon lui, ce programme, qui "détonne" dans la campagne, explique en grande partie le succès actuel du tribun de la gauche radicale.

Interrogé par un lecteur du Parisien sur le coût de sa mesure en faveur des crèches, M. Mélenchon répondait le 10 mars : "Cela coûte des sous, oui, mais à la fin cela rapporte du bonheur."

 


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