Palimpsestes

Présidentielles 2012
Le disque du président-candidat est-il rayé ?


Par GUILLAUME LAUNAY, LAURE EQUY, FANNY LESBROS

Dans ses meetings, les éléments de langage, les attaques contre le PS, les anecdotes frisant le sketch tournent en boucle. Décryptage des gimmicks sarkozystes.

«Je ne suis pas un robot, je ne suis pas un automate. [...] Je ne viens pas débiter à longueur de journées le même discours, j’ai des sentiments.» Lundi, à Nancy, Nicolas Sarkozy s’est un peu moqué de nous. De nous qui, par la magie de l’Internet, écoutons tous ses discours depuis qu’il est candidat. A coup de cinq ou six réunions publiques par semaine, le candidat UMP a désormais un répertoire rodé, voire radoté, à la façon du sketch (mensonger) de l’ouverture des commerces sur les Champs-Elysées qu’il a inlassablement répété en 2008, lorsqu’il promouvait sa loi sur le travail dominical. Des sortes de running gags qu’il récite – et mime – en sachant par cœur ce qui fera rire la salle ou déclenchera des huées, des figures de rhétorique, des personnages convoqués pour illustrer telle ou telle proposition, etc.

La présentation de son programme, prévue en fin de semaine, devrait lui permettre de renouveler ces discours. En attendant, retour sur les gimmicks de ce premier mois et demi de campagne.

La burqa et la «République»

Les horaires de piscine, les menus dans les cantines, la burqa mais aussi les médecins dans les hôpitaux publics. C’est la compilation auquel aucun partisan UMP venu à Villepinte, Lyon, Meaux, Besançon, Elancourt ou Marseille n’a échappé. Dès qu’il entonne le couplet «laïcité», Sarkozy énumère ces exemples, selon lui, de «pression communautaire».

Ils sont scandés avec une formule récurrente, comme à Meaux, le 16 mars: «La République française, elle est laïque, ça veut dire que sur le territoire de la République française, on ne veut pas de la burqa. [...] La République française, elle est laïque, ça veut dire que dans nos hôpitaux, les médecins sont les mêmes pour les femmes et pour les hommes [...] Dans la République française, l’école est laïque, on veut les mêmes menus à la cantine scolaire.» Ou à Lyon, le lendemain: «Dire la vérité aux Français, c’est leur dire que dans nos piscines nous voulons les mêmes horaires pour les femmes et pour les hommes, c’est leur dire que dans nos cantines, nous voulons les mêmes menus pour les mêmes enfants de la République, nous voulons les mêmes médecins pour les femmes et pour les hommes.»

Souvent le Président y glisse une critique contre les socialistes, qu’il accuse de complaisance à l’égard du communautarisme: soit en visant la maire de Lille et patronne du PS – «Je ne recevrai pas de leçon de laïcité de Martine Aubry qui a prévu des horaires dans les piscines municipales différents pour les hommes et pour les femmes» (même si ce dispositif n’existe plus) –, soit en rappelant que les socialistes n’ont pas voté, en 2010, la loi contre le port du voile intégral – «leurs convictions n’étaient pas assez fortes» (Marseille, le 19 février).

C’est à Elancourt, le 28 mars, qu’il attaque le plus longuement François Hollande sur ce point: «Sans doute avait-il d’autres occupations, ce jour-là, que de décider si sur le territoire de la République, on pouvait traiter une femme comme une esclave emprisonnée derrière un morceau de tissu.» La salle siffle et hue à tous les coups.

La race et «la guerre au dictionnaire»

«Voilà qu’en 2012, le projet qu’il propose à la France: faire la guerre au dictionnaire», serine-t-il. Sarkozy en a fait un sketch avec rires du public – acquis – garantis. Moquant la proposition du candidat PS de supprimer la mention de «races» de la Constitution, il feint d’avoir loupé une préoccupation cruciale de l’opinion. «Il a dû en rencontrer beaucoup, des Français... parce qu’il a vu que la question qui vous taraudait, la question la plus importante: la présence du mot “races” dans le préambule de 1946. Il a dû souvent, dans la rue, être arrêté par des gens: "Monsieur c’est un problème, ne laissez pas le mot race dans le préambule de 1946".» Puis Sarkozy soupire: «Il a trouvé un nouveau mot qui le choque, c’est le mot “zone”. De plus en plus fort.»

Faisant mine de croire que Hollande prétend, «d’un coup de baguette magique», «supprimer le racisme en supprimant le mot “race”» et «supprimer les injustices en supprimant le mot “zone”», il pousse jusqu’à l’absurde: «Je fais une proposition: supprimons rapidement le mot “pauvreté” pour qu’il n’y ait plus de pauvres. Et demain je supprimerai le mot “chômage” pour qu’il n’y ait plus de chômeurs!» Variante: le candidat UMP reproche, à l’inverse, au socialiste de vouloir inscrire le mot «laïcité» dans la Constitution. «Je ne veux pas le contredire mais ça l’est déjà, il n’a pas besoin de se donner le mal de lire deux articles puisque c’est écrit dans l'article premier» (Besançon).

Rappelons juste, à propos de la suppression du mot «pauvreté», que le gouvernement sortant avait essayé d’en changer la définition pour faire croire que le nombre de pauvres avait baissé en France.

La pensée unique et le «petit miroir»

 

Comment représenter ces champions du politiquement correct, intellectuels et responsables du PS mis dans le même sac, qui s’écouteraient parler et auxquels Sarkozy entend s’opposer? Le «petit miroir», encore utilisé ce lundi à Nancy. Le Président-candidat tend ses mains devant lui et imite ses adversaires en train d’admirer leur reflet. L’idée est de dénoncer, comme lors de son discours à Besançon le 30 mars, une «pensée unique insupportable qui fait que les sujets ne doivent pas être évoqués parce que ça gêne l’image de ceux qui vont à la télévision, non pas pour parler mais pour se regarder dans un miroir».

La sécurité et «le sentiment d’avoir peur»

Parmi ces dossiers dont «on n’a pas le droit de parler» et que Sarkozy se targue, à longueur de meeting, d’être le seul à ouvrir: la sécurité. Pour démontrer la frilosité persistante des socialistes sur la question, c’est... le Lionel Jospin de 2002 qui est convoqué. Avec quasi la même formule: «Ils nous disent que, cette fois-ci, la sécurité est un sujet sérieux. (...) Comment cela se passerait-il? Comme en 1997 quand M. Jospin disait “il n’y a pas d’insécurité, il y a un sentiment d’insécurité”?», raillait-il à Lyon, le 17 mars. Rebelote à Nantes, dix jours plus tard: «A l’époque, ils vous reprochaient d’avoir peur. Ils vous disaient “vous n’avez pas peur, vous avez l’impression d’avoir peur”. Un peu comme ce médecin qui dit à son patient: “vous n’avez pas mal, vous avez l’impression d’avoir mal”.»

Les syndicats et l'impossible «dialogue social»

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy s’est trouvé un nouvel ennemi tout neuf, à Nantes. Le matin de son meeting, la distribution de Ouest-France, auquel il a accordé une interview, a été perturbée, notamment à cause d’un mouvement de la CGT. Un lien de cause à effet tout trouvé pour le chef de l’Etat qui depuis, prend soin de faire huer la CGT à tous ses meetings – et encore lundi à Nancy.

Peu importe que le syndicat, comme la direction du journal, aient expliqué que le mouvement n’avait rien à voir mais était lié à une action nationale qui a touché nombre de titres régionaux après la mise en redressement judiciaire du quotidien régional Paris-Normandie. Un mouvement qui a aussi touché le quotidien le jour d’une interview de François Hollande la semaine précédente. Mais les démentis n’ont pas empêché le Président de répéter l’intox, qui lui permet d’illustrer son nouveau credo: «Lorsque les syndicats se mêlent de la politique, alors, il n’y a plus de dialogue social possible.»

Le nucléaire et «le risque de tsunami»

Le deal passé entre PS et EE-LV, notamment sur l’engagement de réduire la part de nucléaire et de fermer la plus vieille centrale de France dans le prochain quinquennat, hante le Président. Il attaque cet accord «misérable et indigne avec Madame Joly» sur deux tons. Séquence émotion: le récit de sa rencontre avec les ouvriers de Fessenheim, «peut-être une des visites les plus bouleversantes pour moi», confiait-il à Villepinte, le 11 mars. L’air grave, il se souvient alors de ces ouvriers qui l’ont imploré: «Président, ils nous ont vendus.» Et de se demander, à longueur de meetings, ce que répondraient à Hollande à ces sacrifiés «sur le tapis vert des négociations politiciennes et partisanes» (Marseille).

La sécurité nucléaire est également une source inépuisable de blagues présidentielles. A la base, Sarkozy commence toujours par rappeler que Fukushima n’était pas un accident nucléaire mais un tsunami – négligeant le séisme qui a déclenché ce tsunami. Du coup, le potentiel comique est énorme, comme on l’a entendu à Elancourt: «Monsieur Hollande dit: "la première centrale nucléaire que je fermerai en urgence, Fessenheim". Bon... J’avais quand même gardé quelques souvenirs de géographie de l’école, mais je regarde une carte, je dis: "Fessenheim? C’est l’Alsace", et je lui dis:"Mais c’est où la plage en Alsace?"» Rires nourris. Mais le gag n’est pas fini. Le Président enchaîne: «Ensuite, la deuxième qu’ils veulent fermer, c’est Saint-Laurent-des-Eaux, je m’y précipite, je me dis: "des-Eaux", il y a peut-être un risque de tsunami, eh bien, c’est la Loire! Et ça veut diriger la France!»

L'étranger et «nos prestations sociales»

Dans la galerie de personnages régulièrement brossés par Sarkozy, on trouve, outre l’ouvrier de la filière nucléaire, la mère de famille immigrée qui n’est pas francophone: «Imaginez une mère qui ne parle pas un mot de français, comment peut-elle suivre la scolarité de ses enfants? Comment peut-elle les éduquer? Pensons à l’enfant et imaginons l’idée qu’il se fait de ses parents.» Autre mère récurrente, celle qui a élevé son enfant puis veut reprendre une activité professionnelle: «Vous savez, les enfants sont ravis que vous alliez les chercher à l'école et puis un jour... "tu ne pourrais pas laisser la voiture dans la rue d'à-côté?».

Il y a enfin «l’agriculteur qui se sent à la merci du spéculateur qui sévit à l’autre bout du monde», mais aussi «l’étranger qui vient en France pour l’attrait de nos prestations sociales», «celui qui n’a jamais travaillé, jamais cotisé mais gagne plus que celui qui a travaillé et cotisé toute sa vie», etc.

L'appel et le «peuple de France»

 

Le fameux «Aidez-moi» répété comme un refrain dans la plupart de ses discours donne le signal de la montée finale. Devant un public en transe, Sarkozy lance un appel, stupéfiant pour un président sortant, au «peuple de France», à «la majorité silencieuse à laquelle on ne pourra plus jamais dire ce qu’elle doit faire». «Dites "maintenant, ça suffit"», «Ne vous laissez pas voler cette campagne», martèle-t-il. Avant de finir toujours par un «Vive la République, vive la France». Le gimmick le mieux partagé des candidats à la présidentielle.