Palimpsestes

Présidentielles 2012
Quelles convergences entre le Front de gauche et le PS ?

 

"Mais pourquoi voudriez-vous que j'aille me coller dans un gouvernement Hollandréou ?" Au cours de sa campagne qui l'a mené jusqu'à 15 % dans les sondages de premier tour, Jean-Luc Mélenchon s'est fait un plaisir de répéter à quel point il estimait son offre politique incompatible avec le programme "d'austérité" du candidat du PS. Ses alliés communistes lui ont emboîté le pas : "A l'heure actuelle, les conditions [d'une majorité] ne sont pas remplies", a dit Pierre Laurent, leur secrétaire national, mardi 3 avril sur Europe 1.

Du côté du PS, les signaux sont un peu plus ambigus. François Hollande affiche son réalisme face au champion du Front de gauche : il est candidat "non pas simplement pour exprimer une colère", mais "pour gagner, pour changer, pour réussir", comme il l'a dit le 29 mars à Nice. Mais Arnaud Montebourg a joué une autre partition : "On peut négocier avec M. Mélenchon et les partis qui composent le Front de gauche", a assuré le représentant spécial du candidat PS, évoquant les législatives, dans un entretien au Journal du dimanche du 1er avril.

ENTRAVER LA TOUTE-PUISSANCE DE LA FINANCE

Au-delà des formules et des désaccords affichés, les programmes de M. Mélenchon et de M. Hollande sont-ils compatibles ? Sur les 95 pages de celui du Front de gauche, "L'humain d'abord", il n'y a pas qu'une différence de ton avec les 60 propositions de François Hollande. M. Montebourg a certes raison de souligner qu"il y a des éléments de programme qui sont communs". On trouve des convergences dans la volonté affichée d'entraver la toute-puissance de la finance, l'attention portée à l'économie solidaire, ou la priorité au logement. Mais si on prête attention aux points centraux martelés par le candidat Mélenchon et aux axes de campagne de celui des socialistes, les divergences sont réelles.

M. Mélenchon a pris soin de porter des exigences qui le distinguent des engagements de son concurrent socialiste. Ainsi l'augmentation du smic à 1 700 euros brut mensuel (1 398 euros actuellement), le retour de l'âge légal de la retraite à 60ans "pour tous", la titularisation de 800 000 précaires de la fonction publique, sont autant de marqueurs d'un tribun qui se veut proche des préoccupations du peuple. "Ce seront les premières mesures que Mélenchon prendra s'il est élu", assure Eric Coquerel, son conseiller spécial. Des mesures qui doivent montrer la volonté de la gauche de "partager les richesses". "Sur ces points, le programme de Hollande est incompatible pour gouverner ensemble", remarque M.Coquerel.

Il en est de même avec le traité européen sur la stabilité, que M. Hollande veut "renégocier". Considérant que le texte impose "l'austérité aux peuples" et acte "un abandon de souveraineté populaire", M. Mélenchon veut le soumettre à un référendum.

SOCIAL ET AUSTÉRITÉ

Sur les sujets sociaux, le camp de M. Mélenchon souligne aussi que le ton de M. Hollande est bien différent du sien. Le député de la Corrèze a affiché, dès son meeting du Bourget le 22 janvier, une ligne plutôt prudente. Ainsi, il mettra un "coup d'arrêt à la révision générale des politiques publiques" et au non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Sur le sujet de l'emploi précaire dans la fonction publique, il renvoie à la concertation avec les organisations syndicales.

De même, le candidat du PS est resté discret sur les salaires et le smic. Ce n'est qu'en mars qu'il a évoqué "une indexation des salaires sur la croissance". "Chaque fois que la croissance est d'un point, l'augmentation du smic pourrait être de moitié", a-t-il précisé. Pas de "coup de pouce", donc, mais un mécanisme progressif.

Même réserve sur les retraites. Le candidat socialiste ne veut pas revenir sur le cœur de la réforme Fillon. Il écrit dans son programme que ceux qui ont 60 ans, et toutes leurs annuités, "retrouveront le droit de partir à la retraite à taux plein". Mais il précise aussitôt que le reste est renvoyé à la négociation avec les partenaires sociaux "dans un cadre financier durablement équilibré". Ainsi montre-t-il sa réticence à toute annonce de mesure trop dépensière.

Sur l'ensemble, l'obstacle auquel se heurte tout rapprochement des deux candidats de la gauche demeure la volonté de rigueur du socialiste. François Hollande tient son objectif de "ramener le déficit public à 3 % du produit intérieur brut [PIB] en 2013". "On ne peut pas mener une politique de gauche sans relance. Le vrai problème, ce sont ces 50 milliards d'euros d'économies annoncés", remarque M. Coquerel.

A ses alliés, le PS demande en effet une discipline de vote sur le budget. "C'est une exigence que nous avons avec tous nos partenaires", insiste Christophe Borgel, secrétaire national. Les socialistes savent que cette discipline est pour le moment inacceptable pour le Parti de gauche comme pour le PCF. Du coup, le camp Hollande affirme ne pas vouloir de discussion avant la présidentielle.

ENTRE-DEUX TOURS ET TRACTATIONS

Pour l'heure, selon son équipe, la priorité du socialiste est de continuer à "indiquer un sens". "Mélenchon réclame une discussion, mais il sait très bien que la logique de la présidentielle n'est pas l'écriture d'un programme de gouvernement", remarque Christophe Borgel.

"La suite c'est après, ce sont les législatives, il faut respecter les rythmes", a expliqué Pierre Moscovici, directeur de la campagne de M. Hollande, le 2 avril, sur BFM-TV. "L'entre-deux tours d'une présidentielle, ce n'est pas l'entre-deux tours des tractations." "La question de la majorité et du gouvernement se réglera après les législatives", a répondu Pierre Laurent mardi sur Europe 1. "Quand j'entends le PS dire que le programme serait à prendre ou à laisser, ce n'est pas possible !", a-t-il ajouté.

Pour le PCF, il faut d'abord que les propositions du Front de gauche soient "discutées" et que "les conditions [d'une majorité de gauche] soient créées". Mais la porte n'est à l'évidence pas fermée. Le Front de gauche ne cesse de répéter qu'il a "vocation à gouverner". M. Mélenchon assure qu'il peut être en tête au premier tour. Son objectif est encore de faire pression sur M. Hollande. Le ton changera peut-être après le premier tour et le désistement annoncé pour battre Nicolas Sarkozy.