Elysées 2012

Etat des lieux

Bayrou au Zénith

La presse s'accorde à voir dans ce meeting l'occasion pour Bayrou de relancer une campagne en panne d'élan. Il est vrai que les sondages sont loin de lui être favorables, qui le font stagner quand il y a cinq ans il culminait, à la même époque autour de 18%.

Il faut reconnaître que même si, politiquement, le problème auquel il s'affronte est toujours le même le contexte lui, a profondément changé. C'est sans doute le moment, à 4 semaines du premier tour de faire sinon un bilan provisoire au moins un état des lieux.

Une campagne paradoxale

A loins d'un mois du 1e tour, le paysage est encore loin d'être figé. Sarkozy semble plutôt bénéficier désormais d'une dynamique qui avait eu du mal à se mettre en place ; Hollande sans s'effondrer revient à des scores raisonnables en tout cas crédibles mais Bayrou stagne au moment même où Mélenchon semble pouvoir lui disputer la place de 3e homme.

Dans le camp Sarkozy, on fait mine de recommencer à y croire sans qu'on puisse réellemet déterminer s'il s'agit d'intox, d'auto-suggestion ou de réelles infformations. Il y a néanmoins quelque chose de juste dans l'analyse (2) que suggère Sarkozy : cette campagne ne doit surtout pas être comparée à celle de 2007. Ici il y a un sortant et, en dépit du rejet de ce dernier, aggravé non seulement par sa personnalité mais aussi par la crise, il ne faut néanmoins jamais sous-estimer le réflexe légitimiste, au moment du vote, cette tentation de remettre les clés à celui qui a de l'expérience qui peut d'autant mieux jouer en sa faveur que le contexte économique et financier est loin d'être au beau fixe.

Mais en même temps, et en face, semble bien s'agiter une tentation radicale que nous avions repérée dès le mois de mai et dont Mélenchon est indéniablement le porte-drapeau. Il est évidemment trop tôt pour avancer que désormais le 3e homme ce serait lui, encore plus précoce d'avancer qu'émergera un courant politique stable capable de s'organiser demain, mais ce qui est certain est que se redessine, à la gauhe du PS un courant de gauche, moins protestataire que radicale qu'on croyait exsangue depuis l'effondrement du PC et à quoi la dimension financière de la crise donne quelque écho sinon légitimité.

Tout ceci au moment où le camp centriste qui ne jouit plus de l'appoint de ces voix de gauche qui refusaient de voter Royal, se voit réduit à la portion congruë, qui est la sienne. Mais dans ce contexte paradoxal où la personnalité même de Bayrou continue à être la préférée des enquêtes.

Toute la question finalement se résume à une seule : sur quoi se déterminera demain le vote des français : sur un fort désir d'alternance ? sur le simple rejet de Sarkozy ? sur une personnalité ? sur un désir de radicalité ?

Or cette campagne tarde à faire émerger un thème dominant comme elle le put en 2007 avec le travailler plus pour gagner plus.

Si l'on se place sur le terrain des institutions, Bayrou a raison : la présidentielle est la rencontre d'un homme, au-dessus des partis, avec le peuple et les deux élections conjointes - présidentielles et législatives - sont l'occasion de rebattre les cartes politiques en supposant que l'électorat donnera au nouvel élu la majorité parlementaire nécessaire.

Si l'on se place au contraire du côté de l'histoire même de la Ve depuis 58, force est de constater qu'à l'illustre exception de son fondateur, tous les élus se seront appuyés sur des majorités fortes, pré-existantes et jamais sur des majorités consécutives à leur élection. Le contre-exemple de Giscard qui a forcé la porte en s'imposant aux gaullistes dans ce contexte particulier d'une élection éclair suite au décès de Pompidou n'a rien de bien réjouissant : comment oublier que dès 76, dès le départ de Chirac du gouvernement, Giscard et Barre eurent toutes les peines du monde à gouverner face à l'opposition larvaire du RPR. On aurait tort de sous-estimer l'opposition au centrisme consubstantielle du gaullisme et de ses héritiers.

On sent bien la tentation du pays, qui se sait à la croisée, de retenter une alternance qui rebattrait toutes les cartes. Bayrou rêve de 58. Mais ceci peut aussi donner 81 - plus ordinairement. Bayrou veut tout bousculer politiquement mais dans le cadre même d'institutions présidentielles ; il n'est pas étonnant que dans la même veine, Mélenchon le souhaite dans le cadre d'une refonte parlementaire des institutions. Il y a manifestement quelque chose de cartésien dans cette démarche : celle du on efface tout et on recommence ; celle du cogito !

Pour autant que le pays sente que nous serions effectivement allés au bout de la logique des institutions, il n'est pas impossible qu'il penche vers celui-ci ou celui-là. Mais il est plus probable que, conformément à ce qui était ressorti de l'étude de la Fondation Jaurès rappelant qu'en matière de clivage gauche/droite, les français restaient toujours pratiquants s'ils n'étaient plus croyants, finissent par se replier sur les solutions traditionnelles que le scrutin à deux tours les invite à reproduire.

L'itérative question du 3e homme

En bonne logique, c'est celle de l'exclu. Or si l'on peut admettre que dans un esprit parlementaire la troisième force puisse être d'appoint, en Ve République en revanche elle paraît plutôt demeurer celle de la friche. Bayrou l'aura vécu durant tout ce quinquennat : les voix qui se sont portées sur lui auront été inutiles - simplement ; et son influence politique voisine de zéro. Les électeurs peuvent s'en souvenir et se détourner d'autant que cet électorat n'a pas de tradition protestataire et ne se satisfera pas longtemps de n'être qu'un coup fugace de colère, de sang ou de larmes.

Pour autant que les résultats le confirment, ç'aura déjà été un grand acquis que la question soit désormais d'entre Bayrou et Mélenchon et plus d'entre Bayrou et Le Pen. Il est un peu triste que l'on ne doive ce travail qu'à Mélenchon et non pas à Bayrou ou Hollande. Une partie de la légitiité démocratique de Mélenchon, tient à ce travail républicain qu'il aura mené avec efficacité et brio. J'imagine l'élan que l'un comme l'autre auraient pu susciter s'ils avaient fait eux-mêmes ce travail : c'est une faute politique de ne pas l'avoir fait et quelque chose du désamour que Hollande peut susciter, mais Bayrou aussi, vient peut-être de là. En politique il faut savoir désigner sa ligne mais aussi ses ennemis : ils n'ont pas su ou voulu le faire.

Dommage !

L'étrange état de la gauche

Une gauche en état de recomposition, mais une gauche dont il ne faut pas oublier qu'elle est plus divisée que jamais.

Une gauche, d'abord, qui n'est pas majoritaire dans le pays si elle le fut jamais. Si l'on additionne les intentions de voix on parvient à un petit 45% au mieux. Ce qui signifie que de toute manière une éventuelle victoire de Hollande ne pourrait se réaliser qu'avec l'appoint d'une partie au moins des voix de Bayrou.

Une gauche ensuite où, fait inédit depuis 81, le PS n'est plus ni seul ni hégémonique s'il reste dominant. Ce que nous observons de ce point de vue c'est la réelle fin de la donne mitterrandienne qui était parvenue à épuiser totalement le PC. Il était encore à 15% en 81 ; sous la forme du Parti de Gauche, on se retrouve dans les mêmes étiages.

Mais une gauche qui ne se parle pas. On comprend la logique : elle demeure étrangement électorale. Hollande s'appuie à la fois sur la tradition de la gauche - on se désiste systématiquement pour le candidat de gauche arrivé en tête - et sur la logique des institutions. Il ne négocie rien et appelle à le rejoindre ceux qui le désirent ce qui ne peut qu'apparaître comme une reddition pour les partisans de Mélenchon.

On peut lire cette attitude de deux manières : Hollande sait devoir compter demain sur les voix de Bayrou et tout rapprochement, même infime, d'avec Mélenchon rejetterait l'électorat centriste dans les bras de l'UMP. Mais on peut, et sans doute doit-on, en faire une lecture plus politique : le PS se veut, en la personne de Hollande, un grand parti de gouvernement, alternatif, ce qui implique une orientation sociale-démocrate et si l'on veut bien y regarder sociale-libérale. Le PS n'est plus un parti de rupture mais d'alternane : à sa manière il s'est centrisé. On est loin, tellement loin d'Epinay, du Programme Commun ; encore plus loin de 81!

C'est le pari de Mélenchon que de ne pas laisser le PS seul à gauche qui dans ces cas là toujours se centrise ; son pari que de le marquer à gauche ; à la culotte. C'est le pari de Hollande que de considérer que, de toute manière, le Front de gauche devra bien demain se soumettre et le soutenir, même sans participation, au Parlement.

Du coup Hollande fait une campagne terne, plutôt illisible. Et donne l'impression de ne vouloir surfer que sur l'anti-sarkozysme et considérer qu'il ne serait que d'attendre que tombent dans son escarcelle les déçus du quinquennat. A sa manière, prudente, il commet peut-être la même erreur que Jospin en 2002 qui considérait comme gagnée d'avance une élection au nom du supposé rejet de Chirac. Mauvaise sa campagne, parce que rien ou presque ne s'en détache qui permettre d'y voir une ligne directrice, une volonté, un projet. Tout juste une gestion plus sociale, plus juste, d'une crise dont il semble par avance admettre la logique financière. Mauvaise sa campagne parce qu'il prête le flanc aux critiques de l'UMP qui ne manque jamais de pointer le flou, le mou voire l'inexpérience. Etrange que cet homme qui ne manque ni d'humour ni de mordant se bride ainsi pour contrefaire le président, au point de laisser glisser toute Courtoiscritique, toute attaque. Esquive pointait un commentateur il y a quelques mois ! Mais élit-on le roi de l'esquive ?

On voit, en tout cas on peut essayer de deviner, ce qu'est la stratégie adoptée : Hollande est en campagne depuis un an déjà et il sait maîtriser les faux plats - il l'a déjà montré dans l'immédiat après-primaires. Hollande est homme de tempérance et ceci dans les deux sens du terme : il ne cesse de modérer ; il ne cesse de vouloir jouer sur le temps. On peut comprendre que Sarkozy le trouve nul, lui qui ne croit qu'en l'action immédiate. G Courtois, dans le Monde le voit en Sisyphe heureux et il faut bien l'avouer en sa manière de laisser passer les attaques de son concurrent -menteur, Tartuffe - tout semble glisser sur lui comme sur plumes de canard. Pour le moment cela a l'air de lui réussir ; ceci peut-il durer encore un mois et demi ? Hollande est désormais marqué sur sa gauche : pourra-t-il longtemps feindre de l'ignorer ? Car la question finira bien par se poser s'il devait gagner : avec qui gouverner et pour faire quoi ? Or, dans sa conception même d'une majorité on voit bien qu'Hollande épouse jusqu'à plus soif la logique présidentialiste et c'est se payer de mots, comme le firent ses prédécesseurs en candidature, que de déclarervouloir restaurer les droits du parlement.

Tout tient peut-être dans cette Une du Monde de ce soir qui reprend les différents articles consacrés à la campagne.

Les troisièmes qui se bagarrent pour le rester ou le devenir : la tentation de Le Pen de jouer à fond sur les événements de Toulouse et l'occasion trop belle offerte d'à nouveau assimiler immigration et terrorisme parce que c'est son fond de commerce et qu'elle n'a plus d'autre chance de relancer sa campagne que d'abandonner le profil lisse et pseudo-populaire pour reprendre sa boutique de haine, de racisme et de peur. Bayrou, mais nous y reviendrons, qui n'a d'autre choix que de jouer l'espoir, le courage et la conviction et de marquer sa différence mais dont on sent bien qu'il commence à ne plus y croire ; Mélenchon qui après avoir fait son travail anti-FN se pense désormais suffisamment fort pour marquer encore plus Hollande sur sa gauche pour le contraindre à abandonner son profil social-libéral.

Les ultimes semaines qui viennent vont bien devoir décanter tout cela : pour le moment - et encore une fois ceci est inédit - rien ne semble joué ni entre les deux ni entre les troisièmes. Je gage que les choses vont bien finir par se durcir encore.


1) le discours est téléchargeable ici

2) voir l'article de P Ridet dans le Monde : le Président et moi

3) l'article de Courtois