Elysées 2012

Qu'est-ce que le sarkozisme ?

Le Monde publie un dossier sur la question assez révélateur des mutations et donc des incertitudes de la période actuelle. On pourrait d'ailleurs reprendre le titre d'un ouvrage d'A Badiou De quoi Sarkozy est-il le nom ?

Dossier du Monde : Qu'est-ce que le sarkozisme ?

Le définir relève néanmoins de la gageure tant le sarkozysme parait devoir échapper à toute théorisation.

Trois traits me semblent néanmoins pouvoir caractériser le sarkozysme :

le refus dogmatique de toute théorie

D'ailleurs il ne parle jamais de théorie mais d'idéologie : tout ce qui n'est pas soumission au fait, relève pour lui de l'idéologie. En réalité on pourrait écrire que le sarkozysme est un oxymore à soi seul. Il est la théorie de ceux qui n'en veulent pas ne réalisant pas que ceci déjà est une idéologie.

On pourrait reprendre l'analyse de Badiou, effectivement : sans doute l'homme est-il effectivement inculte mais la question est à peine ici.

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Sans doute est-il pour cela le reflet de notre temps : il a la formation d'un bon petit gestionnaire, ou pire encore d'un sage petit étudiant en Techniques de Commercialisation, à l'appétit vorace de toutes les illusions que la consommation peut offrir ; il a la culture (non le dogme) de l'entreprise, c'est à dire du management qui ne cherche qu'à dresser pour que tout aille dans la même direction. Il a le culte du leader et ne percevra jamais les autres que comme des subordonnés, au mieux des collaborateurs. Cette absence de culture lui permet toutes les audaces comme s'adresser au peuple avec les accents de gauche, des références jaurressiennes sans qu'il y voie seulement l'ombre d'une contradiction. Cela lui permet tour à tour de fustiger les abus du capitalisme financier sans même entrevoir combien sa politique - et notamment le bouclier fiscal - en demeurent la pierre angulaire.

Politiquement on pourrait y voir un de ces artisans de la Realpolitik : mais il n'a pas même assez de culture pour être cynique ; en revanche son libéralisme chevillé au corps lui sied à merveille tant le libéralisme est justement le refus de toute autre théorie que l'affaissement de l'état, le déni du politique, la soumission aux seules lois du marché.

Discours vide de toute valeur, de toute référence ; discours de technocrate qui ne voit jamais le citoyen mais seulement le consommateur ou le producteur. Car c'est après tout cela qui domine : la course échevelée, la spirale production/consommation et l'incapacité à imaginer d'autres valeurs que l'argent.

Le sarkozysme est l'idéal du bourgeois de province qui rêve notabilité, héritage et rentes.

 

le dogme de l'action efficace

Le sarkozysme c'est la culture d'entreprise, un point c'est tout ; quand même on peut sans rire associer culture et entreprise. Et son goût de l'instantané s'en suit assez logiquement. L'entreprise vit au rythme de la concurrence, des marchés à conquérir mais surtout de la circulation du capital. Dans l'attente toujours imminente du retour sur investissement, l'entreprise lui a donné la frénésie de l'impatience.

Le sarkozysme c'est le truchement par excellence, l'outil : avec lui pas d'alternative ou bien on est celui qui tient l'outil et on domine ou bien on est l'outil et l'on est manipulé. Délire de la vérité, il la confond avec la réalité qui est cela seul qu'il croit connaître, seul qu'il veut connaître. Le sarkozysme est prométhéen : à la fois dans la ruse - ou la tricherie - de qui veut dépenser le moins possible pour obtenir le maximum et l'outrance organisée, presque inévitable de qui ne peut que franchir les limites, sans doute résume-t-il sinon le sacrilège tout au moins la démesure en son essence. Il est ὕϐρις - simplement.

Comment ne pas penser à N Grimaldi rappelant que l'action est l'inverse de l'action en regardant agir Sarkozy ? L'action devenant passion, drogue qui ne vaut que pour l'éréthisme qu'il autorise, le sarkozysme y succombe avec tous les symptômes d'une dépendance irréversible, trépidante, capricieuse.

Non décidément ce n'est pas un humanisme ; tout juste un technicisme. Qui ramène tout à l'objet, qui réifie, qui instrumentalise. Au sens sartrien, il est l'essence de la mauvaise foi ! Au sens métaphysique il ressemble à s'y méprendre au crime contre l'humain à quoi en réalité il répugne.

le dogme de l'instant

Il en est la suite logique : le sarkozysme n'a pas de passé, pas vraiment d'avenir il est la consommation de l'instant - pour cela tragique ! D'où l'indifférence au passé qu'il méconnaît et le peu d'importance accordé au futur dès qu'il n'est pas immédiat. D'où cette incessante trépidation ou même tourmente. Tout doit aller vite et fort : rien ne lui est plus étranger que la lenteur - ou le silence ; il ne connaît que les coups, de com ou politiques ; les surprises ou les renversements d'alliance ou d'opinion. Rien ne lui est plus étranger que les lentes transformations des idéologies, des mentalités : des trois temps de Braudel, manifestement il ne connaît que l'agitation de surface où il se complaît à agiter plus encore le cours. Il n'entend rien aux lentes inerties de la terre, encore moins aux flux amples des groupes qui ne migrent jamais que pour demeurer et dessinent des gestes que seuls écart, prudence permettent de discerner. Non ! le sarkozisme est adolescent impétueux sans doute mais capricieux manquant singulièrement de Sur-moi qui ne sait obéir qu'au principe de plaisir : tout tout de suite.

Il ne laissera pas de trace - peu lui importe ! il n'envisage les changements que sur le mode des tremblements de terre qui ravagent tout sur leur passage ! il bouscule, agite, maltraite souvent : il n'a pas le temps ! pas de temps. Il est de ces surfaces que balaie le vent !

Mais plus encore ...

Qui peut paraître anecdotique mais ne l'est sans doute pas : Sarkozy est le premier de nos présidents à n'être pas provincial, à non seulement n'avoir pas de souche paysanne mais seulement urbaine mais surtout d'être parisien. Il faut relire les pages qu'Attali avait consacrées à Mitterrand dans son Verbatim et l'insistance qu'il met à le définir comme un provincial. Les politiques ont perdu leur rapport charnel à la France s'exclame un sociologue ce soir dans Le Monde : le lien entre les deux est évident. Sarkozy de ce point de vue est effectivement le premier président du XXIe, de ce siècle qui n'a plus de paysan, plus d'industrie, plus de terre ni d'usine mais plus que le champ en friche de ces zones urbaines où bureaux le disputent à agences bancaires, et aires touristiques à haut débit Internet. Sans terre autant que sans avenir, sans espace ni temps, le sarkozysme contrefait le démiurge en oubliant qu'il n'est pas de sacré sans sacrifié.

Et que cet homme-là n'aime pas le vin n'est pas anodin qui contrevient à tout ce qui signe l'épaisse densité de ce pays. (1)


Comment ne pas se souvenir de ceci ?

Le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre, au même titre que ses 360 espèces de fromages et sa culture. C’est une boisson-totem correspondant au lait de la vache hollandaise ou au thé absorbé cérémonieusement par la famille royale anglaise. (…) Pour le travailleur, le vin sera qualification démiurgique de la tâche (« avoir du cœur à l’ouvrage »). Pour l’intellectuel, il aura la fonction inverse : « le petit vin blanc » ou le « beaujolais » de l’écrivains seront chargés de le couper du monde trop naturel des cocktails et des boissons d’argent (le seul que le snobisme pousse à lui offrir) ; le vin le délivrera des mythes, lui ôtera son intellectualité, l’égalera au prolétaire ; par le vin, l’intellectuel s’approche d’une virilité naturelle, et pense ainsi échapper à la malédiction qu’un siècle et demi de romantisme continue à faire peser sur la cérébralité pure ( on sait que l’un des mythes propres à l’intellectuel moderne, c’est l’obsession « d’en avoir »). (…) croire au vin est un acte collectif contraignant. (…) Dès qu’on atteint un certain détail de la quotidienneté, l’absence de vin choque comme un exotisme : M. Coty, au début de son septennat, s’étant laissé photographier devant une table intime où la bouteille Dumesnil semblait remplacer par extraordinaire le litron de rouge, la nation entière entra en émoi ; c’était aussi intolérable qu’un roi célibataire. Le vin fait ici partie de la raison d’Etat.(…) Car il est vrai que le vin est une belle et bonne substance, mais il est non moins vrai que sa production participe lourdement au capitalisme français, que ce soit celui des bouilleurs de cru ou celui des grands colons algériens qui imposent au musulman, une culture dont il n’à que faire, lui qui manque de pain. Il y a ainsi des mythes forts aimables qui ne sont tout de même innocents. Et le propre de notre aliénation présente, c’est justement que le vin ne puisse être une substance tout à fait heureuse, sauf à oublier indûment qu’il est aussi le produit d’une expropriation.

Barthes Le vin et le lait, in Mythologies