Elysées 2012

Bronca 1

En tauromachie, manifestation bruyante du public en signe de désapprobation ou mécontentement

 

Semaine plutôt négative pour N Sarkozy(2) qui cumule les images négatives et celles de Bayonne en ponctuent le désastre. Sur le fond ... plutôt pas grand chose à en dire : la liturgie gaulliste répète assez qu'une présidentielle est la rencontre d'un homme et d'un peuple. Pourquoi prendre alors cette moue dédaigneuse à l'idée que cette rencontre pût se passer mal. Outre le fait que ces déplacements quotidiens qui se veulent autant de coups de poings marquant l'opinion, doivent bien un peu manquer ça et là de préparation - et l'occasion fut belle pour certains de fustiger l'amateurisme de MAM dont Bayonne est le fief ; outre qu'ils ressemblent assez au style de Sarkozy - ce style Blitzkrieg et matraquage qui est sa marque de fabrique - ils posent néanmoins une série de questions, de problèmes.

Un problème d'image

Celle qui par la force des choses aura immédiatement succédé à celle du président qu'il aura lentement tenté de se forger depuis un an. Celui qui n'aura cessé de programmer des déplacements quotidiens tout au long de son mandat, en organise désormais quotidiennement au point que l'on ne peut pas ne pas de demander quand il est président, faisant nécessairement se télescoper les images sages et léchées des déplacements présidentiels, où les manifestants une fois écartés, les zones sensibles une fois purgées, ne bruissaient plus que ces foules enthousiastes et d'emblée acquises à qui l'on pouvait sans trop de crainte serrer les mains. Subitement, comme par un clash qu'aucun cinéaste n'eût dédaigné, le retour du refoulé ... et la question insoluble : où la réalité, où le maquillage.

Comediante !

Et tout soudain, l'irruption de la foule qui dessine à sa manière, brouillonne, la grande colère du peuple. Nous n'avons cessé ici de la repérer, de la soupçonner non sans avoir précisé combien elle se conjugue en même temps avec la répulsion, bien pire que le désamour, que le personnage Sarkozy semble susciter jusque dans son propre électorat. Sur-moi démesuré, excessive confiance dans son savoir-faire, illusion d'une répétition de 2007 qui ne saurait produire autre chose que l'identique victoire ? comment savoir ? En tout état de cause Sarkozy utilise les mêmes armes, omniprésence, hyper-activité, précipitation qu'en 2007, ces mêmes armes qui l'avaient porté à la victoire, certes, mais aussitôt dévisser dans les enquêtes de popularité, une fois élu. Et tout soudain l'image de l'homme replié, pour e pas écrire réfugié, dans un bistrot contraint de fulminer auprès de quelques proches, d'invectiver la manigance de l'opposition, contraint d'attendre que la horde des CRS vienne le déloger, l'exfiltrer, comme on dirait d'un mauvais roman d'espionnage. L'image non seulement d'un candidat en difficulté, mais encore celle de la faiblesse mais celle surtout, désastreuse d'un président qui ne serait plus maître en sa propre maison.

Tragediante !

On se situe ici au point limite où la puissance encore visible confine à l'impuissance ; au lieu symbolique où le souverain frôle le puissant ! dans le dessin même de la république qui organise par l'élection ce moment si particulier où les puissants ne le sont plus et où le citoyen, bulletin à la main, dans le silence de l'isoloir, est seul à pouvoir rebattre les cartes. Fugace, désordonnée, de l'ordre de l'irruption pour ne pas écrire de l'éruption, l'entrée du peuple dans le jeu, dans l'histoire a toujours sinon de sacré en tout cas de magique. Tout à coup se dessine, dans l'image même, s'incarne dans le moiré des uniformes, l'idée que tout est possible demain et d'abord le renversement des tables, des ordres, des précellences et des excellences. Tout à coup s'impose, indicible, inavouable, l'idée que la défaite est possible !

Bien entendu on peut toujours arguer de ce qu'en démocratie tout le monde a droit égal à s'exprimer et parcourir l'espace public et l'on aura raison. Bien entendu on peut toujours jouer de la ficelle toujours un peu trop grosse du complot ourdi par l'adversaire qui serait révélateur de son manque de tolérance. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il aura sur-joué la victime et ceci déjà fait question pour autant que cela suggère la faiblesse - ou l'énervement ! L'homme est colérique et cela se sait ! L'utilisation de l'invective à Hollande sous l'argument que des militants PS se seraient glissés au milieu des indépendantistes basques, l'usage de termes comme épuration dont le moins que l'on puisse dire est qu'il aura été autant outré qu'outrancier, désignent plus l'énervement et une impétuosité rapidement dommageable en terme d'image, que le fruit d'une réelle analyse. (3 )

Comediante !

Mais, en même temps, cet épisode est un élément parmi tous ceux de ce début de campagne qui illustre combien la mayonnaise peine à prendre : les sondages ne décollent pas vraiment mettant résolument à mal le phantasme d'un deus ex machina dont le charisme bouleverserait les données sitôt entamée l'entrée en campagne. Tout à l'air de se passer comme si les recettes qui avaient tant fonctionné en 2007 étaient celles qui justement aujourd'hui étaient les ferments d'une défaite annoncée, ou que les tendances de l'opinion fussent tellement lourdes qu'elles seraient impossibles à retourner.

Tragediante !

De la sortie contre la compagne de Hollande, aux propositions sur l'enseignement dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ont peu marqué l'opinion tant elles semblaient confuses, illisibles et marquées au coin de la duperie ( proposer 25% d'augmentation en moyenne pour un supplément de travail de plus de 40% - qui plus est sans en donner les moyens matériels) ; du retoquage par le Conseil Constitutionnel de la loi sur le génocide arménien au détestable débat, repris du FN, sur la viande hallal, mais qui plus est repris de manière incohérente et contradictoire, force est de constater que si tout le monde, sauf lui-même, s'accorde à repérer une réelle droitisation du discours qui vise indéniablement à lorgner du côté du capital électoral du FN, pour autant le discours peine à se donner une ligne directrice, une cohérence qui ferait de cette entrée en campagne un discours programmatique, donnant plutôt à voir des coups de communication dont l'un chasserait l'autre aussi vite qu'il apparut, visant de la sorte toute crédibilité au discours.

Un problème de crédibilité

Il ne faut pas aller chercher plus loin le sentiment que les uns et les autres peuvent avoir d'une campagne de paillettes, d'une campagne en toc - qui n'aborderait pas les vrais problèmes. (4)

Bayrou n'a pas tout à fait tort de se méfier de ces meetings barnum qui transforment le débat en cirque et mettent tellement en avant les techniques élémentaires de la communication qu'ils brouillent d'eux-mêmes le message. Trop de com tue la com : on en est là ! Exactement.

Ne pas s'étonner alors de la réussite de la campagne de Mélenchon que soulignent à la fois Fressoz et Salmon : même si, comme à son habitude, la presse court toujours un peu trop visiblement vers la réussite au point d'ignorer ceux qui sont à la traîne - voir l'escamotage médiatique de Joly, par exemple - ou qu'il me paraît inexact de définir la campagne de Mélenchon comme une campagne à l'ancienne, elle aura repéré ce en quoi il se démarque résolument de la démarche médiatique des deux autres. En réalité, sous le tribun qui manie assez joliment la langue, il y a bien une démarche pédagogique. A l'ancienne ? non simplement un retour aux fondamentaux de la démocratie ; aux principes de la république qui s'adresse à la raison du citoyen et ne vise pas le sensationnel, la sensation. Entre expliquer et convaincre, entre persuader et suggérer il y a un gouffre : celui, désormais visible, qui sépare le débat que la nation se doit à elle-même, et le jeu de cirque à quoi nous réduisent les grands spécialistes de la communication moderne et la paresse intellectuelle de nos candidats. Rocard ne dit pas autre chose : oui, il y a un vide intellectuel terrifiant qui touche à l'imbécillité - au sens de faiblesse - qui est un cruel défi à l'avenir même de la démocratie.


1) Libé

2) sur les flops de campagne

3) même si par ailleurs ceci relève aussi de l'omniprésence bien particulière de la période de la collaboration dans le registre des discoirs politiques. Voir à ce sujet ce dossier déjà ancien du Monde

4) lire Courtois, Rocard, Fressoz